J’aimerais avant tout aborder le fait qu’on peut bel et bien guérir l’aspect pathologique des troubles dissociatifs et vivre en harmonie avec son système, et j’aimerais aborder comment j’y travaille moi-même par le biais de la création, de la créativité, de l’imagination, etc.

Avertissements de contenu:

Psychiatrie, burn out, pulsions suicidaires, harcèlement scolaire, dépression

Transcription écrite:

Bonjour à tous, et bienvenue à cette conférence pour la PPWC 2024, sur le thème « Guérir par la création ». Je suis vraiment très heureuse de participer pour la première fois à cet événement et j’espère vous apporter un écho, quelque matière à réfléchir ou pour le moins, un témoignage digne d’écoute.
Avant de poursuivre, je vous affiche à l’écran la liste des Trigger warning. Aucun de ces sujets ne sera abordé dans les détails, toutefois je vous invite à vous préserver s’ils vous sont trop difficiles.
Ceci étant dit, une petite présentation s’impose. Je m’appelle Ophélie et je suis l’hôte du système Oz, qu’on connait peut-être sous le pseudo « Le Chat d’Oz » sur d’autres plateformes comme TikTok, Instagram ou même YouTube. J’ai pris conscience de mon système en même temps que mon Trouble du Spectre Autistique il y a 2 ans, soit à l’âge de 37 ans. Comme quoi, il n’est jamais trop tard pour découvrir qui on est réellement.
Nous formons un système d’une dizaine d’identités connues, et bien que nous entrions dans les critères diagnostics du trouble dissociatif de l’identité il y a quelques années, aujourd’hui nous nous déportons tranquillement vers l’ATDS ou le TDI-partiel, tout simplement parce que nos symptômes diminuent. La dissociation entre les alters est maintenant moins forte, la communication s’améliore significativement depuis la prise de conscience, bien qu’il reste encore beaucoup de choses à travailler, et si les amnésies sont toujours là, elles sont majoritairement partielles ou progressives. Les black out, eux, ne font désormais plus partie de notre quotidien, à moins d’un très gros déclencheur… Et encore.
Bref, en clair, nous sommes sur le chemin de la guérison.
Et donc, nous y voilà : qu’est-ce qu’on entend exactement par « guérison », ici ? Oui, ce terme prête à discussion et je comprends très bien qu’il puisse déranger. D’autant que sa définition est vaste et ne sera pas la même pour tous. Alors je vous apporte ici MA vision des choses. Libre à vous d’employer un autre terme si celui-ci ne vous convient pas, comme celui de rémission ou d’harmonisation, par exemple.
Depuis que je me renseigne sur les troubles dissociatifs complexes et sur la multiplicité en général, que j’écoute des témoignages, etc, j’entends dire partout que le TDI, l’ATDS ou le TDNS, bah ça se guérit pas. Qu’il n’existe aucun traitement pour ça et qu’on est condamné à subir son trouble et ses traumas toute sa vie. Alors oui, c’est vrai, un cerveau qui s’est construit en étant dissocié aura tendance à reproduire ce mécanisme de défense tout au long de la vie. Et c’est, je pense, l’une des raisons qui poussent beaucoup de systèmes à affirmer que les troubles dissociatifs complexes comme le TDI ne se guérissent pas. Mais ça, pour moi, c’est une vision très « singlet-centrée ». La guérison n’inclut pas nécessairement de devenir « normal » aux yeux de la société, car en vérité, le fonctionnement dit « neurotypique » n’est pas le seul qui existe. Il n’est pas non plus le seul qui soit valide. La guérison implique surtout de devenir fonctionnel, c’est-à-dire de ne plus souffrir de ses symptômes. Rappelons le fait qu’avoir un trouble, par définition en psychiatrie, c’est souffrir de symptômes qui impactent significativement notre qualité de vie. La souffrance clinique fait d’ailleurs partie des critères diagnostic du TDI. Avoir un trouble, c’est vivre des manifestations envahissantes, considérées comme pathologiques. Si nous ne souffrons pas de notre condition multiple, alors théoriquement, nous n’avons pas de trouble.
Or, il n’y a aucune obligation à devenir « singlet » ( soit tout seul dans sa tête) pour être parfaitement fonctionnel, et par conséquent, guéri-e d’un point de vue psychiatrique. Oui, il est tout à fait possible d’être multiple sans que ce ne soit pathologique. Et aujourd’hui, il existe des thérapies permettant de traiter les symptômes d’un trouble dissociatif jusqu’à les faire passer sous le seuil de la pathologie. Jusqu’à atteindre la multiplicité dite « fonctionnelle ». Ou la fusion, pour celles et ceux qui le souhaitent.
Aujourd’hui, je ne nous considère pas comme étant guéris. Certaines manifestations sont encore très envahissantes, comme les crises dissociatives, les pensées et les émotions intrusives, ou encore ma mémoire qui s’effiloche avec les jours, les semaines… Certaines identités souffrent encore beaucoup et leurs émotions m’envahissent régulièrement.
Mais une chose est sûre, les symptômes les plus invalidants ont drastiquement baissés au fil des années. En partie grâce à la thérapie que je suis encore actuellement, mais aussi grâce à la création. Plus particulièrement grâce à l’écriture, fictive et non-fictive, au dessin ou à la photo, la vidéo. Comme celle que je fais en ce moment.
Depuis des années, et ce, bien avant que je nous sache multiple, je communique avec les autres alters de mon système à travers mes créations diverses. L’exemple le plus parlant étant celui de Chil, une identité très proche de moi, qui a toujours gardé le lien depuis l’enfance, notamment par le biais de mes dessins et de mes histoires de môme. Il m’est apparu tout d’abord comme un ami imaginaire enfantin, mi renard mi écureuil, avec des ailes et de grands yeux bleus ; une petite chimère toujours penchée sur mon épaule, que j’avais constamment besoin de dessiner. Je racontais ses aventures à travers un monde magique, tout bleu, dans lequel j’adorais m’échapper avec lui. Puis, au fil des années, il a pris différents visages. Notamment ceux de personnages fictifs tirés de mes intérêts spécifiques, comme Frodon du Seigneur des Anneaux, ou plus tard, Link des jeux Zelda, auquel il ressemble encore beaucoup aujourd’hui.
Durant toutes ces années, je n’ai jamais cessé de dessiner ce « personnage », quelque soit son visage. J’écrivais ses aventures à travers des fanfictions, d’abord sur le Seigneur des Anneaux puis plus tard, sur Zelda, et j’échangerais avec passion sur des forums de fans qui lisaient mes histoires. Je n’avais pas encore fait le lien entre mon Frodon et mon Link intérieurs, malgré tous leurs points communs, malgré leur petite taille, leurs grands yeux bleus ou leurs oreilles en pointe. Malgré leur introversion respective ou leur essence de héros solitaire, pourvu d’une lourde mission à accomplir. Je n’avais pas encore compris que ces deux personnages si semblables n’en formaient qu’un dans ma tête, et qu’il vivait véritablement sa vie à l’intérieur de moi. Tout ce que je savais, c’est que ces moments d’écriture à ses côtés comptaient comme les plus importants dans mes journées. J’avais toujours hâte de le retrouver, et je me sentais pleine et entière chaque fois que je le dessinais ou que j’écrivais sur lui. Ces moments de créativité étaient vécus comme des moments de communion entre lui et moi. D’ailleurs, petit fun fact au passage : j’ai rencontré sur ces forums d’écriture l’une de mes plus proches amies aujourd’hui, qui était elle-même une multiple qui s’ignorait. Et ça m’attendrit toujours autant de repenser au fait que nos compagnons mentaux discutaient ensemble à travers nos textes à quatre mains, sans même que nous en ayons conscience, à cette époque. D’ailleurs, nos échanges littéraires nous ont même conduites à voyager jusqu’à l’autre bout du monde pour terminer nos histoires. Même nous n’en revenions pas d’avoir osé cette folle aventure. Bref, l’écriture chez certains multiples peut faire des miracles.
Pour moi, c’était une nécessité. J’avais besoin de donner la parole à cette petite muse que j’aimais tant. À ce garçon qui vivait dans ma tête. J’avais besoin de le laisser cracher toutes ses angoisses à travers la plume et le crayon, j’avais besoin de le rassurer à travers mes histoires, besoin de le laisser dialoguer avec moi, parfois sur des pages et des pages. C’était nécessaire, presque vital pourrait-on dire. De toute façon, je n’avais pas le choix : il était omniprésent dans mon quotidien, toujours dans un coin de ma tête. Au point qu’il m’arrivait souvent de préférer sa compagnie à celle des autres gens. Ce qui m’avait un peu inquiétée à une époque, d’ailleurs.
Pourtant, la compagnie de ce « personnage » n’était pas toujours agréable. Certes, il discutait beaucoup avec moi, il m’apaisait et me faisait rêver, très souvent. Mais il me projetait aussi ses tourments par des flashs violents et des hurlements internes qui me brisaient le cœur. Ces émotions étaient parfois prenantes, envahissantes et déroutantes. Elles me saisissaient parfois sans prévenir, à tout moment de la journée et sans que je comprenne pourquoi. Il m’arrivait d’ailleurs souvent d’étouffer un sanglot dans ma manche dans ces moments-là, parfois en plein cours ou durant un repas de famille. Mais si je ne m’autorisais jamais à exploser ouvertement devant les gens, proches ou non, j’avais tout de même besoin que ça sorte d’une manière ou d’une autre. Alors je dessinais, j’écrivais, je deversais et ça s’apaisait.
On a longtemps trouvé notre équilibre interne comme ça, Chil et moi. Lui créait la matière onirique à travers ses souvenirs et ses émotions, et moi je transformais tout ça en quelque chose de créatif, plus ou moins réussi. Quelque chose de cohérent qu’on pouvait partager avec d’autres personnes pour y trouver un écho. Ce n’était pas parfait, loin de là. A cette époque, je subissais beaucoup d’amnésies dont je n’avais pas réellement conscience. Au point de me réveiller un après midi au beau milieu d’un festival de musique à 2h de chez moi, sans avoir aucune idée de ce que je faisais là, ni comment j’y étais arrivée ! Et croyez-le ou non, j’étais dans un tel déni que je me suis inquiétée de cette absence seulement le temps du trajet de retour, avant d’évacuer complètement la question une fois rentrée chez moi et d’oublier que cet événement avait eu lieu. Oui oui, c’en était à ce point là ! Du coup, inutile de vous dire que je n’étais pas du tout prête, à ce moment-là, à comprendre qui était réellement ce personnage dans ma tête dont j’adorais raconter les histoires.
Jusqu’à mon burn out de 2017 qui m’a conduite à de nombreuses reprises aux urgences psychiatriques. Burn out lié à mon autisme, mais ça, je l’ignorais aussi.
C’est durant cette période tourmentée que mes échanges avec ce personnage fictif (Link, à l’époque) ont évolués.
Un matin d’hiver, alors que je me requinquais difficilement chez ma mère, ce personnage est apparu clairement dans ma tête pour me dire que son nom était Chil et qu’il avait beaucoup de choses à me dire. Il m’a notamment montré par flashs de grands paysages montagneux, tout teintés de bleus ; il m’a certifié que ce paysage, c’était chez lui et m’a raconté une partie de son histoire dans ce monde onirique. Je me souviens si bien de ce jour, ce 14 février 2018, où tout ce monde fantastique est apparu dans ma tête. Une date tellement importante pour nous que le 14 février est devenu la date officielle de l’anniversaire de Chil dans notre système. Et c’est le jour où j’ai eu l’idée d’écrire mon premier roman de Fantasy.
Je ne le savais pas encore, mais ce tout nouveau projet d’écriture allait être le point de départ d’un long processus d’instrospection et de prise de conscience. Dès les premières lignes écrites, il est tout de suite devenu l’espace d’expression de plusieurs identités dont j’ignorais l’existence, leur permettant de révéler leurs noms et leurs secrets, à travers la symbolique inépuisable de la Fantasy. J’écrivais frénétiquement durant des heures, des idées plein la tête, comme si tout le monde voulait parler en même temps. Ça partait vraiment dans tous les sens. Alors moi, je ne comprenais toujours pas ce qui se jouait entre ces lignes mais à l’évidence, mes diverses identités profitaient de l’espace pour « discuter » entre elles ou monologuer sur des pages et des pages. Un vrai salon de thé sous la plume, ce bouquin. Et ça me passionnait. Ce projet me rendait tellement euphorique que le psychiatre qui me suivait à l’époque m’avait parlé d’une phase hypomaniaque… c’est pour vous dire. Bon, du point de vue purement créatif, ce premier jet était vraiment catastrophique. Mais d’un point de vue introspectif, c’était d’une richesse inespérée.
Au fil de mes questionnements, j’ai appris énormément de choses sur moi à travers ce projet de roman. Il m’a notamment mise indirectement sur la piste de l’autisme et celle de la multiplicité. En effet, j’ai appris par la suite que Chil s’était déjà activement renseigné sur le TSA 8 ans plus tôt (chose dont je n’avais gardé aucun souvenir, évidemment), et qu’il me transmettait ses doutes et ses conclusions à travers l’histoire, le comportement et les échanges de son personnage dans le roman. A travers ses attitudes, ses crises ou ses difficultés à communiquer avec les autres, ici symbolisées par le fait que son personnage venait d’un peuple méconnu et qu’il parlait une langue que personne ne comprenait.
Certains souvenirs ou traumatismes m’ont également été partagés symboliquement de la même façon par d’autres identités. Par exemple, des souvenirs précis de harcèlement scolaire à travers une scène de persécution d’un personnage jugé « bizarre » dans le roman. En bonne autiste non détectée durant l’enfance, j’étais souvent rejetée par les autres enfants à l’école et au collège, j’étais la fille bizarre qu’on pouvait maltraiter et humilier publiquement en toute impunité… Comme Beltane, le fameux personnage de mon roman, qui s’avère bien sûr être l’un de mes alters. On peut prendre aussi l’exemple de ma nouvelle « Le Dévoreur de Rêves », un texte plus court qui se déroule dans le même univers avec le personnage de Kéti, et qui raconte symboliquement un épisode de mon enfance où j’ai souhaité mourir…
Je pourrais donner des tonnes d’exemples comme ceux-ci, allant des scènes symboliques à la composition de mon monde interne tout bleu ; bleu comme les murs de ma chambre d’enfant, où mon père me racontait des histoires… de Fantasy, évidemment. Car dans ce roman, dans cet univers, tout à un sens pour nous. Jusqu’à cette fameuse couleur bleu qui teinte un peu tout notre quotidien. Aujourd’hui que j’ai enfin les clés pour comprendre, je retrouve encore des indices criptés partout dans le roman, des messages importants, des souvenirs dissimulés que j’avais oubliés. Le tout est de savoir lire à travers toute la symbolique de l’inconscient qui raconte notre histoire à la manière d’un conte. Un conte comme on les raconte aux enfants. Un conte comme ceux que mon père inventaient le soir, avant de dormir, dans la sécurité fragile de ma chambre bleue.

Pour résumer, ce roman qui n’était à la base qu’un projet détente, a déverrouillé l’accès à ma véritable identité, nos véritables identités.
La création, et plus particulièrement l’écriture, a permis aux alters de s’incarner, de se trouver un nom et une apparence (que la plupart n’avait pas avant l’écriture du roman), et surtout, ça leur a permis de réaliser qu’ils existaient tous indépendamment les uns et autres à travers leurs échanges écrits. Avant ça, la plupart d’entre eux agissait de manière automatique, sans aucune conscience de l’existence des autres. Mais au fil de leurs échanges par l’écriture de ce livre, ils ont réalisé qu’ils étaient tous liés et conscients. Ils sont alors devenus plus bavards dans ma tête et leur identité a commencé à s’affirmer. Leur personnalité s’est développée, leur histoire (souvent symbolique) aussi et j’ai commencé à nouer des relations avec eux, plus ou moins amicales suivant les identités. Les barrières amnésiques ont également drastiquement baissées à mesure que j’écrivais leur histoire.
D’ailleurs, j’ai réalisé au fil de ma prise de conscience que globalement, mes symptômes dissociatifs les plus envahissants avaient eu tendance à baisser ou augmenter tout au long de ma vie en fonction de mon rapport à la création.
Lorsque j’avais des projets créatifs quelqu’ils soient, y compris des fanfictions, les amnésies et les pertes de contrôle étaient beaucoup moins fréquentes. De même que les flashbacks, ou les pensées et les émotions intrusives. Tout simplement parce que les alters avaient à disposition un terrain d’expression où lâcher leurs émotions, assouvir leurs désirs et apaiser leurs peurs, à travers nos histoires aussi glauques que frivoles, à travers nos dessins et nos BD diverses.
A l’inverse, je me souviens de plusieurs années entre mes 21 et mes 27 ans, où les symptômes envahissants comme les amnésies et les crises dissociatives s’étaient aggravés, parallèlement au fait qu’ à cette période là, je ne créais plus grand chose. Les soucis, la vie d’adulte et la dépression pesant trop lourds sur ma conscience, je n’avais plus aucun accès à la créativité. Et mes identités, privées de leur théâtre intérieur, n’avaient désormais plus d’espace d’expression pour canaliser leur émotions. Alors elles se sont exprimées autrement. Elles sont devenues plus envahissantes, débordantes, entraînant parfois des comportements à risques et pas mal d’excès.
Pour nous, la création est une véritable thérapie. Elle est au cœur de nos interactions et joue un rôle fondamental dans notre coopération interne. C’est par ce biais que la plupart de mes identités s’expriment le mieux et racontent leur histoire symbolique. J’ai d’ailleurs compris beaucoup plus de choses sur moi-même par l’écriture ou le dessin qu’avec n’importe quelle autre thérapie.
Et ça n’est pas étonnant. Ce n’est pas pour rien que l’art et la création en général sont si souvent inclus dans les démarches thérapeutiques.
Outre le fait de nous redonner du sens en créant quelque chose de nos propres mains, elle nous permet très souvent d’entrouvrir les portes de notre esprit et nous donner accès à des informations difficiles atteignables en temps normal. Personnellement, c’est avec l’écriture que je le remarque le plus.
Quand je relis certains vieux textes, je suis parfois frappée d’y reconnaître certaines de mes identités, présentes dans mes récits depuis des années sans que je le comprenne. Je les reconnaît parfois via leur apparence ou leur personnalité, mais aussi à travers leur histoire et les thématiques récurrentes qu’elles abordent.
C’est également en écrivant que j’arrive à avoir accès à mon monde intérieur. Je le vois au fil de la plume, je l’explore à travers les personnages, et j’y découvre beaucoup de choses, des lieux symboliques, et même des souvenirs crystalisés. En écrivant, les accès se déverouillent et les portes s’ouvrent d’elles-mêmes. C’est assez troublant pour moi.
Il faut savoir aussi que je n’écris pratiquement jamais seule. Souvent Chil et avec moi, Beltane aussi, et ils me guident à travers la brume sur ce grand continent bleu. Sans la plume et sans eux à mes côtés, je ne pourrais sans doute jamais l’atteindre. Ou pas si facilement.
Pour conclure ce témoignage, je pense sincèrement que mon rapport à la création nous a aidés durant des années à garder un équilibre mental, malgré la dissociation traumatique et les crises autistiques. Elle nous a permis de canaliser nos émotions et de trouver un espace d’expression où exister chacun notre tour, où rejouer nos vécus traumatiques pour les transformer en quelque chose de concret et de satisfaisant. Et depuis la prise de conscience il y a deux ans, la création nous a permis de beaucoup mieux nous connaître les uns les autres, et a considérablement améliorer notre communication interne et notre coopération. Nous ne sommes pas guéris, non, et je ne crois pas que le seul pouvoir de la création artistique suffira pour venir à bout de tout, par contre je sais qu’elle a joué un rôle fondamental dans notre survie et notre évolution globale. Et je crois que nos symptômes les plus difficiles auraient été bien plus invalidants au quotidien sans elle.
Paradoxalement, c’est sans doute en partie grâce ou à cause d’elle que nous avons tenus si longtemps avant de nous effondrer, et que nos diagnostics ou nos prises en charge thérapeutiques ont été si tardifs. Peut-être que sans elle, nous aurions eu des réponses plus tôt, peut-être aurions-nous pu éviter le burn out ? Peut-être. Il y a tant de facteurs en jeu dans un parcours de guérison qu’on ne peut véritablement évaluer tout ça avec certitude.
Une chose est sûre, nous souhaitons retrouver cet équilibre créatif qui nous a permis d’être autonomes durant de longues années. Aujourd’hui, je n’ai toujours pas mené à terme ce fameux projet de roman dont j’ai tant parlé. Mais après deux ans d’effondrement et de questionnements introspectifs, je reprends enfin timidement la correction de mon premier jet. Et je compte bien terminer et publier cette histoire malgré le temps qui file. Ce serait pour nous un véritable accomplissement, un projet commun qui s’incarner à dans le monde réel et renforcera un peu plus notre légitimité à exister.
Cette vidéo touche à fin. Je vous remercie de l’avoir écoutée et vous encourage à laisser aller votre créativité au quotidien, quelqu’un soit la forme. Ce n’est pas toujours possible suivant les périodes et les tempéraments, bien entendu. Mais quoiqu’il en soit, n’oubliez pas que vous avez le droit d’avoir des troubles et d’être créatif, de vouloir faire de votre expérience quelque chose de positif, de beau et de magique, sans pour autant verser dans la glamorisation. Oui, les dissociés aussi ont le droit d’avoir de l’imagination et de créer leurs univers, d’en parler, de le partager avec passion, sans être accusés de simuler ou de s’inventer des alters. L’imagination et la symbolique sont très souvent associées à la dissociation, qu’elle soit pathologique ou non, et c’est notre droit le plus personnel d’en faire ou non un outils thérapeutique au service de notre bien être.
Encore merci et à bientôt.

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