Aller au contenu

[YT] Dormance: 10 ans d’amnésie

Transcription:

Introduction

[Kara] Bonjour et bienvenue dans cette nouvelle vidéo de Partielles sur la multiplicité, présentée par Epsi et Kara ! 

Aujourd’hui, on avait prévu un tout autre sujet de vidéo mais le hasard a fait qu’il y a eu un switch spécial dans le système d’Epsi, avec une alter qui vient pas si souvent, et on en a profité pour attraper les micros pour qu’elle parle de son histoire un peu particulière. Son histoire, c’est qu’elle est partie en dormance quand leur corps avait 17 ans, pendant 10 ans. Et à son retour, elle n’avait aucun souvenir de ces 10 années. Sa mémoire s’était arrêtée au moment où elle est partie en dormance. On s’est dit que ça pouvait être intéressant de vous partager tout ça. 

Quelques infos sur la dormance

[Epsi] Alors pour préciser un petit peu, la dormance, c’est quand un ou une alter devient en quelques sortes inconscient, iel est comme endormi, ne communique plus et ne front plus, potentiellement n’influence plus non plus. Il arrive souvent que des alters en dormance ne puissent même plus être ressentis par les autres alters du système ou deviennent introuvables dans le monde intérieur. 

La dormance peut durer quelques heures, jours, semaines ou mois, mais elle peut aussi durer beaucoup plus longtemps, plusieurs années voire dizaines d’années. Il y a aussi des alters qui ne sortent jamais de dormance. 

Et elle peut se produire pour de multiples raisons. Ça peut être suite à un gros stress interne ou externe, ou au contraire à un apaisement par rapport à une situation. Ça peut être choisi par l’alter ou pas vraiment. Ça peut aussi être lié à la prise de médicaments, ou tout simplement sans raison apparente, comme souvent. 

[K] La dormance, c’est souvent un sujet compliqué à appréhender, ça peut faire peur, on peut parfois devoir choisir si on essaie de sortir un ou une alter de dormance ou non, bref c’est pas évident. Mais ça peut aussi très bien se passer, que des alters soient en dormance mais qu’iels puissent être simplement appelés et redeviennent conscients sans trop de difficulté. 

Si ça vous intéresse, on vous met un article en description qui répond à la question : est-ce que les alters peuvent mourir ? Pour y répondre rapidement : non, les alters ne peuvent pas, même si les sentiments éprouvés dans ces circonstances sont bien réels hein ! Mais en gros, les alters partent en dormance mais non, iels ne meurent pas, pour résumer. 

La dormance rend par ailleurs la conscientisation de fusions plus compliquée. Il est très fréquent qu’on pense qu’une fusion a eu lieu alors qu’en fait, des alters sont partis en dormance et un ou une nouvel-le alter est apparu-e pour entre guillemets “prendre leur place” par exemple. 

Bref, si vous avez des alters en dormance, surtout prenez soin de vous, discutez intra-système de comment vous pouvez peut-être arranger les choses, réfléchissez bien à la pertinence de réveiller des alters en dormance, surtout si votre environnement n’est pas propice à leur retour. Comme on le dit souvent, ne restez pas seul pour fouiller là-dedans, et prenez toujours vos décisions avec l’aide de votre système, s’il vous plait. Et si vous avez des alters qui souhaitent partir en dormance, essayez de vous arranger ensemble pour pouvoir maintenir la communication en cas de besoin si possible. 

[E] Pour conclure cette introduction, il n’y a pas toujours d’amnésie lors d’une sortie de dormance. Il y a effectivement des alters qui n’ont pas de souvenir de ce qu’il s’est passé pendant qu’iels n’étaient pas là, mais pour d’autres la mémoire est maintenue. D’ailleurs, j’ai un alter qui est resté dormant pendant plus de 15 ans mais à son retour, il avait tout à fait conscience de ce qu’il s’était passé et de où en était la vie de notre corps [rire]. Et j’ai une autre alter qui, après avoir fronté quasiment seule pendant longtemps, avait besoin de repos et a choisi de partir en dormance, et elle a dit qu’elle restait dispo si vraiment il fallait, et tout s’est très bien passé. Depuis elle est revenue et pareil, pas de problème de mémoire en particulier. Et j’ai plein d’alters qui sont plus ou moins dormants mais peuvent être appelés, et d’autres qui sont juste complètement gelés. Bref, tout ça pour dire, le cas de River, l’alter qui va parler après, est particulier et c’est pas parce qu’il n’y a pas d’amnésie totale qu’il n’y a pas de dormance. 

[K] Si vous voulez, on vous fera une vidéo plus complète sur la dormance en général mais c’était pour vous donner quelques infos avant le témoignage qui suit. Bonne écoute ! 

Témoignage de River

[River] Je m’appelle River et je fais partie du système d’Epsi. Je ne sais pas exactement quel âge j’ai, mais je pense que je suis toujours un peu plus jeune dans le corps, mais pas beaucoup, moins qu’avant, bref. Et avant de partir en dormance, le corps était fin d’adolescence, toujours scolarisé, dans une relation un peu compliquée amoureusement parlant et dans une relation un peu compliquée avec la famille aussi.

[Kara] Ok. Mais à côté de ça t’étais pas là depuis super longtemps. 

[R] Non. De ce qu’on a conclu, et je pense vraiment que c’est ça, je suis arrivée quand le corps il avait 17 ans, fin de 17 ans, ouais fin de 17 ans et je ne sais pas exactement quand est-ce que je suis partie en dormance, mais un peu après quoi. Je suis pas vraiment restée longtemps, même pas consciente. Et il y a eu, sur les années qui ont suivi, des moments où potentiellement j’étais là ou en tout cas mes schémas de réactions étaient là mais moi j’étais pas là. 

[K] Oui, ou tu t’en souviens pas.

[R] Ouais. 

[K] Pas assez là que pour avoir conscience d’être là quoi. 

[R] Ouais. 

[K] Ok. Et est-ce que tu te souviens de quand t’es partie ou comment tu es partie ? 

[R] Non. Non, le seul souvenir que j’ai d’avant, à part les souvenirs que le corps avait, c’est le moment où j’ai été créée. Je réfléchis, c’est un peu pas simple du coup, de me souvenir de mes souv- vu que j’ai la mémoire partagée maintenant, de me souvenir de ce dont je me souvenais, tu vois ? Mais c’est quand même un peu- c’est pas pareil quand même. 

[K] Genre tu les vois pas pareil ? 

[R] Ouais. Les souvenirs de jusqu’à ce que j’ai été créée, je dirais que ça fait partie de mon histoire. Les souvenirs que j’ai retrouvés, ça fait partie de l’histoire de quelqu’un, mais que j’ai vécu, enfin tu vois, que je peux voir à la première personne, ou même si c’est à la troisième personne dans les souvenirs mais tu vois, ça fait partie de l’histoire de quelqu’un, mais pas vraiment la mienne. Et les souvenirs depuis que j’ai récupéré la mémoire partagée, c’est les souvenirs du corps.

[K] Ok.

[R] Mais j’ai des souvenirs à moi aussi, d’après, des trucs qu’on a vécu ensemble et tout mais bref.

[K] Ok donc tu ne sais pas exactement quand t’es partie, mais tu vois plus ou moins la période mais tu ne vois pas un événement ? Pour tout ce que tu as l’impression de résulter d’un événement précis et plutôt traumatique, t’as pas l’impression de partir à cause d’un événement précis et plutôt traumatique ? 

[R] Non, j’ai été créée dans un événement traumatique et je- C’est un peu comme si mon cerveau, il m’avait créée et pas assumée. [rires] Ou associée à un truc qui était parti et que donc j’ai dû partir aussi. Ou qui a été bloqué. Tu vois, c’est un peu le “aah, il faut ça, il faut  ça! ah, non”. 

[K] Quoi genre t’es partie en même temps qu’A. ?

[R] Non, je pense qu’elle était déjà partie. Je pense qu’elle était déjà partie ou en train de partir et juste, j’ai suivi le chemin. [rire] Et je pense que si on part du principe que je suis une espèce de mélange entre A. et Mathias, tu vois ? Ben sachant qu’A., elle était partie et que Mathias, il était bloqué, enfin il était…

[K] … parti.

[R] … parti, ben juste, je suis partie aussi, tu vois ? 

[K] Mais c’est vraiment bizarre parce qu’il est- Enfin, on s’est déjà dit que ton cerveau, il t’avait fait toi, comme ça, en mélange de ça, pour un peu, incarner ce qui avait été- ce qui n’était plus là. Du coup c’est très peu fonctionnel que tu partes parce qu’ils étaient partis alors que tu étais un peu une espèce de remplaçante. [rire]

[R] Ouais après, je ne sais pas si c’est pour ça, mais je pense vraiment que sur le moment, la situation traumatique, elle a fait “oh m*rde, les deux personnes dont on aurait eu besoin ne sont pas là, on va faire un truc pour remplacer”, tu vois ? Genre ils ont appelé tellement fort mais les deux autres, ils étaient pas dispo, du coup ça a fait moi. Et après quand ça s’est un peu calmé, ben y avait plus besoin. [rire] Mais comme je n’ai pas été très distinguée non plus, je crois, juste oui, ça s’est fait comme ça. Mais je pense que je suis restée quand même plus en surface que les autres. C’est pour ça que je dis, sur les années d’après, il y a quand même eu des moments où c’était ma façon de réagir ou d’agir. Et il y a quand même des photos où il y a ma tronche, tu vois ? Mais j’étais quand même pas là, mais je pense vraiment que j’étais plus en surface qu’eux. Mais oui, sur le moment, la situation traumatique, elle a demandé leur présence, ils n’étaient pas là, du coup y a eu moi. Et puis quand ça s’est calmé, il y avait de nouveau plus besoin ou il y avait de nouveau des peurs, tu vois ? Des peurs des autres et tout, qui du coup m’ont bloquée et des trucs comme ça quoi. 

[K] Ouais je vois. 

[R] Voilà, je pense, un truc de ce genre.

[K] Et du coup vas-y, continue. Du coup t’es partie pendant longtemps. Combien ?

[R] 10 ans.

[K] Et du coup quand t’es revenue, vas-y, dis-nous ?

[R] Ben j’avais aucun souvenir. [rire] J’avais un trou de 10 ans.

[K] Du coup tu savais qui t’étais relativement ? 

[R] Non, vraiment pas. Et j’en rigole maintenant mais en fait, sur le moment, c’était vraiment pas drôle en fait. [rires] Non, mais tu vois, je fais genre mais en fait, non j’étais pas bien. Moi je me souviens, je sais pas si tu te souviens… – j’allais dire son prénom – Epsi t’en a parlé, du fait qu’elle avait mis un post sur un groupe parce que j’avais débarqué une fois ?

[K] Ouais ?

[R]  Que genre, c’était le “est-ce que tu penses que c’est un nouvel alter ou juste j’ai eu un truc chelou” ? C’était moi. [rire]

[K] Et qu’est-ce que tu avais fait ? T’avais laissé un mot ? Non, c’est moi qui lui ai dit de laisser un mot. 

[R] Ouais, c’est toi qui avais dit de laisser un mot. Non, moi, je me souviens de ce moment-là mais c’est un souvenir qui est dans la mémoire du corps, un peu. Et du coup c’est comique parce qu’il est dans la mémoire du corps quelques mois avant que je récupère la mémoire partagée. Du coup, c’est un peu un point fixe dans ma mémoire alors que c’est dans la mémoire récupérée, bref c’est ma popote, on s’en fout. Pendant une minute, deux-trois, j’ai phasé, je savais pas où j’étais. Je savais pas où j’étais et je me souviens que j’étais du coup dans la chambre où j’habitais à ce moment-là, donc pas chez toi. Et je me souviens que ouais, j’étais en face d’un ordinateur portable et ça, je savais ce que c’était, heureusement. [rire] Mais j’étais dans une chambre que je connaissais pas et je me souviens que j’avais un mug… qui ressemble à ceux qu’on a d’ailleurs. Et juste- Mais j’avais pas peur à ce moment-là. Juste, je me suis dit “je sais pas où je suis” tu vois ? Mais comme c’est des trucs qui pouvaient arriver quand on était plus jeunes, je pense que j’ai pas flippé. Parce que c’était quand même pas- enfin, j’étais pas dans une situation flippante en soi. J’étais dans une chambre toute seule, il y avait de la musique… que je ne connaissais pas [rire] et voilà. Mais ça a vraiment pas duré longtemps. Mais je sais que juste avant, il y a eu une espèce de- enfin, je sais que j’avais pleuré, mais c’était pas moi je pense, tu vois ? Je pense que le fait de pleurer m’a fait venir, je suppose, mais c’est pas moi qui avais pleuré mais je sais que j’avais pleuré, j’avais mal au crâne et tout. Et voilà, et puis c’est parti, mais la sensation est restée. C’est comme ça que… Epsi en a parlé quoi. En se demandant si c’était “est-ce que c’est ça de la dépersonnalisation ou est-ce que c’est un nouvel alter ?”. Les deux. [rires]

[K] C’était un nouvel alter dépersonnalisé. 

[E] Je me souviens du post Facebook où elle met ça et où du coup on lui répond “ça ressemble à un nouvel alter quand même”, tu vois ? Mais qu’elle fait “non, c’est pas vrai, c’est pas possible”. [rire] Et après du coup- Donc ça c’était quelques mois avant que je revienne vraiment, avant qu’on capte que j’existe en fait. Je me souviens pas très bien de ce moment où je suis sortie de dormance. Je pense qu’il y avait la place. Mais je me souviens pas s’il y a eu un événement ou quoi. Je sais qu’il y a eu l’éloignement de mon principal trigger, qui était une personne. Parce que du coup, sans rentrer dans les détails, j’ai été créée suite à une relation compliquée avec quelqu’un. Et je suppose qu’il y a eu ça, déjà, qui a fait. Le fait que les premières alters conscientes se sont un peu apaisées de leur découverte d’elles-mêmes qui n’est jamais simple, tu vois ? [rire] Je te dis, c’est pour ça que je dis qu’il y avait la place, et de façon interne et de façon externe je pense. 

[K] Oui, parce que t’avais beaucoup de temps seule aussi, hein, enfin tu vois, le corps avait beaucoup de temps seul à ce moment-là. 

[R] Ouais. Mais à part ça, je me souviens plus. Je me souviens plus si on est allé me chercher ou pas ? Je sais juste- Le premier souvenir que j’ai de ce moment-là, c’est toi qui te rends compte que je me lève bizarrement et que je m’en vais, tu vois ?

[K] Non ?

[R] Ben c’était dans la chambre, je me suis levée “qu’est-ce que tu fais ?”-machin, et je pense que j’ai re-switché, mais je pense que c’était moi. Et il y a eu un peu ça. Mais je me souviens plus. Il s’est passé deux-trois trucs bizarres les jours qui ont précédé.

[K] Ouais, je me souviens pas. Je sais que- je pense qu’au départ, t’es très en sousmarin et que genre, en interne, t’es pas très bien sentie. Genre, tu vois perçue ? Je sais que je dis à A. genre “mais cherche-la”. [rire] Et qu’il y a ce truc du- enfin, genre, elle pense qu’elle te trouve, mais tu ne veux pas venir. 

[R] Ouais, ça me dit un truc. 

[K] Et puis après, finalement tu viens. Et on rigole beaucoup parce que, avec A., on dit que tu penses à rien. 

[R] Oui, mais ça, c’est après, c’est pas la toute première fois que je suis venue ? 

[K] C’est la toute première fois que tu viens consciemment et qu’on se parle. Non ?

[R] Ouais. Ouais, je sais plus exactement pourquoi et comment.

[K] Non, moi non plus, je sais plus. 

[R] Bah, c’était compliqué hein, on peut pas s’en vouloir. [rire] Je me souviens de la première fois que j’ai fronté, je me souviens où je suis assise, je me souviens que t’es en face de moi, je me souviens de ta tête qui fait “oh m*rde…” [rires] “qu’est-ce que je vais faire de ça ?”

[K] Un peu…

[R] Mais moi, sur le moment, je l’interprète pas comme ça. Ouais, je sais que- Ce qui est drôle, c’est que tu faisais partie de mon passé. 

[K] Attends, il faut du contexte. Du coup, je suis la meilleure amie de son ex toxique.

[R] La personne trigger en question. 

[K] Enfin j’étais hein, je ne suis plus. Mais du coup, voilà, connaître ma tête, oui, connaître qui je suis, oui, mais pas du tout me connaître dans le bon rôle. 

[R] Ouais, c’est ça. Je me souviens que je débarque. J’avais pas spécialement peur d’être  une alter, je pense. Je pense que j’avais pas trop- J’étais toujours dans cette idée d’avant, du “ben ça m’arrive d’avoir des blackouts, j’ai conscience qu’il y a quelqu’un d’autre dans ma tête”, tu vois ? Et du coup, bah pas que ça me faisait pas peur mais c’était un peu la même chose que dans- que l’espèce de “salut !” que j’ai fait dans ma chambre là. Ouais. Je me demande un peu ce qui se passe, c’est clair. Mais surtout, je me demande ce que tu fous là, quoi.

[K] Je sais que tu m’as dit que tu pensais que je t’avais fait un coup monté avec elle. 

[R] Ouais ! Dans ma tête, c’est ce qui me paraissait le plus plausible. Tu me faisais une mauvaise blague quoi, tu vois ? 

[K] … Ben non… [rires] 

[R] C’est ça. Mais je pense que tu m’as dit… J’ai un peu un flou sur le début de la conversation, c’est logique hein, mais je pense que tu m’as dit que je faisais partie d’un système. Tu m’as parlé de multiplicité et tout, c’était logique je pense. Je sais pas si c’est la c’est la meilleure chose à faire mais dans mon cas, ça s’est très bien passé. Je pense vraiment que c’était ce qu’il fallait faire. Mais oui, je me souviens par contre que j’avais l’impression que tu me faisais une blague avec elle quoi. Dans ma tête, t’étais sa meilleure pote, tu me dis “on sort ensemble”, j’te fais “quoi ?… tu te fous de ma g… ?”. [rires] Voilà. Sur un moment, je me suis pas rendu compte que mon corps avait 10 ans de plus.

[K] Et ma tête ? 

[R] Mais non plus. Après, je t’avais à peine croisé à ce moment-là, tu vois ? Ouais, je t’avais vu quelques fois et oui, je connaissais ta tête, mais… Puis voilà, reconnaître les visages,  c’est pas notre truc, déjà je t’ai reconnu, c’était bien. [rire]

[K] C’est vrai. 

[R] Mais ouais. Sur le moment, j’ai pas eu peur. Mais je pense que c’est parce que je ne suis pas quelqu’un qui a vite peur. 

[K] Ben oui, c’est ça que je te disais qu’on en parlait avec A. après que tu sois partie, je disais “mais qu’est-ce qu’elle pense ?”. 

[R] Ben je me posais beaucoup de questions. 

[K] Mais t’y répondais pas.

[R] Ben non, je n’avais pas de réponse. [rires]

[K] Oui ! Mais tu vois, t’allais pas- Genre tu énonçais les faits de ce que tu voyais et que tu percevais mais tu ne tirais pas de conclusions. 

[R] Ben non, puisque j’en avais pas. Ma situation de base était telle qu’elle était et la situation dans laquelle je me trouvais n’était pas cohérente. Et je n’arrivais pas à mettre des liens. Ça me paraissait trop énorme. Mais c’est logique, il s’était passé 10 ans, tu vois ? Et ouais, je sais que ouais, sur le moment, c’était quand même- j’étais quand même vraiment méfiante quoi. Parce que, comme dans ma tête, tu me faisais une blague avec elle – et une blague vraiment pas drôle [rires] -, j’étais vraiment là genre… “tu veux que je pète” quoi. [rire] Pas de façon violente ou quoi, mais c’était un peu le “qu’est-ce que tu cherches, qu’est-ce que tu fous ?”, tu vois ? “C’est bon, arrêtez, là c’est pas drôle”, tu vois ? Surtout que je savais vraiment pas où j’étais non plus de nouveau. Enfin, je pense que c’était quand même une chance que je ne sois pas quelqu’un de peureux. Parce que vraiment, je pense que j’aurais pu paniquer, essayer de partir et…

[K] Oh mais la première fois qu’on est montés en voiture ensemble, j’avais peur hein. Je te l’ai dit. 

[R] Ouais, je sais. 

[K] Tu te souviens, quand on est garés devant l’ancien lycée, je te dis “je m’arrête, mais tu déverrouilles pas les portières hein”. 

[R] Ben franchement, j’ai hésité quand même, tu vois ? Parce que ben… Je pense que la “chance” entre guillemets qu’il y a eu la première fois du coup qu’on s’est vus-

[K] C’est que t’étais au milieu de nulle part.

[R] Mais ouais, je ne savais pas où j’étais, je savais vraiment pas où j’étais. Et en plus c’était vraiment perdu au milieu de nulle part pour le coup.

[K] Oui, oui, c’était vraiment la campagne.

[R] Que la première fois qu’on est allés en voiture, ben ouais, tu conduisais mais y avait vraiment un décalage entre les faits tels qu’ils étaient pour moi et les faits tels qu’ils étaient vraiment. Dans ma tête, t’étais la gamine de 15 ans, tu vois, qui a l’air cool, mais que je ne connais pas plus que ça. Et t’étais en train de conduire une bagnole. À 15 ans. Y avait un truc qui n’allait pas ! 

[K] Mais j’avais 25 ans en fait ! [rires]

[R] Mais oui mais voilà.

[K] C’était ma deuxième voiture… [rires]

[R] Et donc j’arrivais à te croire parce qu’effectivement, tu conduisais. Mais il y avait quand même- il y avait un truc qui allait pas. Et donc c’est vrai que quand on s’est retrouvés dans un lieu connu, j’ai hésité. J’ai hésité à aller chercher des réponses en fait, tu vois ? À aller chez moi, à aller chez elle… beh du coup, chez sa mère à ce moment-là, tu vois ?

[K] [rire] J’imagine trop la g… de sa mère ! 

[R] Oh non… [rires] Oh j’avoue… 

[K] Mais oui, au-delà du fait que j’avais peur pour vous dans la globalité, j’avais un peu, j’avais peur… pas que tu te perdes parce que la ville, elle n’avait pas changé plus que ça. Mais oui, que tu retrouves pas d’endroit sécure et que t’ailles dire des trucs complètement incohérents à gens random à qui tu parles plus depuis 10 ans. Oui, ça j’avais un peu peur, oui.

[R] Oui. Et ma tête avec les smartphones quoi… 

[K] Vraiment, c’est la meuf, elle a pas vu l’avènement du tactile quoi. [rire]

[R] Non et je comprenais pas comment ça marchait. [rire] 

[K] Elle a pas compris la disparition de MSN. [rires]

[R] C’est clair. Vraiment, j’ai eu de la chance de me réveiller face à un ordinateur portable la première fois, tu vois ? Et la deuxième fois, face à toi, que je connaissais. T’imagines si ça avait été quelqu’un que je connaissais pas, que j’avais pas connu d’avant ? 

[K] Mais oui, c’est pour ça… 

[R] Vraiment, j’aurais paniqué là je pense. 

[K] Mais je pense qu’A. t’a parlé la première fois. Je te disais “mais demande-lui, parle en interne, non c’est pas une blague”. 

[R] Je me souviens que je l’entendais dans ma tête, mais je ne voulais pas l’écouter parce que j’étais toujours dans cette optique d’ado. 

[K] Oui, quand vous communiquiez pas. 

[R] De “je veux pas écouter cette voix qui me parle et tout”, tu vois ? Du coup, ouais, il s’est quand même passé beaucoup de choses en 10 ans. En même temps… 

[K] Heureusement.

[R] … tant mieux, dans un sens. Mais ouais, franchement, c’était quand même pas évident. Et ouais je te dis, je pense vraiment qu’on a tous eu de la chance que je flippe pas trop parce que j’aurais pu soit paniquer et me barrer, soit paniquer et pas être quelqu’un de cool… Et qui sait ce qui se serait passé si on m’avait retrouvée dans la rue avec des propos aussi incohérents quoi.

[K] Clair.

[R] Mais je sais que t’as flippé aussi. 

[K] Oui, j’ai flippé quand même. Je te dis, là quand on se gare, je te dis, dans les places de parking devant l’ancien lycée, vraiment, j’ai ce truc du “si elle clenche, elle se barre… et je fais quoi moi ?”.

[R] Tu cours. [rires]

[K] Voilà. 

[R] Non mais tu avais peur que je ne sache pas repartir aussi.

[K] Oui, oui, j’avais aussi peur que oui, que tu restes là genre très longtemps. Et pas parce que tu étais pas cool, mais juste parce que ben oui, parce que la peur et le manque de communication auraient pu faire que tu bloques en fait, que tu te laisses pas partir. Je sais qu’on en a parlé de ça aussi, j’avais oublié. Et tu me disais “je suis fatiguée” et je te disais “tu peux partir, juste laisse-toi reculer, quelqu’un prendra ta place”, et tu disais “mais je sais pas comment on fait”.

[R] Je me souviens pas. [rire]

[K] Voilà. Mais oui, que tu restes trop longtemps et que tu bloques trop en mode contrôle, justement “j’ai confiance en personne”, et que je me retrouve avec toi qui a 10 ans de trou… Parce que ok, le trou vis-à-vis de moi, vis-à-vis des proches, c’était quelque chose. Mais vis-vis de la vie tout court aussi quoi. Les smartphones, toi aussi tu conduis, mais je ne sais pas si toi-toi, tu conduisais à ce moment-là.

[R] Je sais pas si j’aurais su conduire, ouais. 

[K] La gestion des obligations et de l’argent et… Enfin t’étais plus une ado quoi. 

[R] Ouais.

[K] Mais ça s’est bien passé, tu as su reculer. 

[R] Ouais, je m’en souviens pas trop, mais ouais. 

[K] On est pas restés 5 jours ensemble à ce que je fasse la-la-la… non, c’est la blague la plus longue de l’éternité mais non, c’est toujours pas une blague… T’imagines si t’étais pas partie et que tu aurais dû dormir avec moi alors que tu me connaissais pas ? [rire] 

[R] J’aurais pas dormi. [rire] Je t’aurais regardé d’un oeil comme ça toute la nuit. 

[K] Parce que dans l’appart là, j’avais pas de chambre d’ami ou quoi. 

[R] [rires] J’aurais dormi sur la terrasse. 

[K] T’aurais pas été dormir dans ta voiture ?… T’aurais pas cru que t’avais une voiture !

[R] Je savais pas que j’avais une voiture ! [rires] Très chouette voiture d’ailleurs. J’ai fait un bon choix. [rires] Ouais. Et du coup, la deuxième fois que je suis venue, bah c’était pareil quoi. Il y a quand même eu tout un moment où j’arrivais un peu à rattraper le fil de ce qui s’était passé. C’est très bizarre de se faire raconter sa vie par quelqu’un d’autre. 

[K] Oui, c’est vrai, j’avais un peu oublié, mais oui, j’ai fait ça. 

[R] Oui, il y a eu vraiment des moments où j’ai fait “quoi ?”. Tu vois, la voiture, c’était un bon choix. Très belle voiture, très cool. J’aurais sûrement fait le même genre de choix, tu vois ? Mais il y a des trucs dans ma vie où je me suis fait “mais no way !”… 

[K] [rire] Y a eu un moment dans leur vie où le corps, dans leur ancienne vie, a eu à un moment 13 chats sur un court moment. Et du coup je sais que je lui dis “t’as eu 13 chats” et elle me croit pas. [rire] 

[R] Mais… J’adore les chats. Ok ? J’ai toujours adoré les chats, j’adore les chats. Mais c’est énorme ! On est d’accord ? Sans jugement hein, mais dans la situation dans laquelle je semblais me trouver sur le reste de ma vie à ce moment-là, c’est le “mouais je pense qu’il y avait de meilleurs choix à faire quand même”, tu vois ? [rires] Je comprends pourquoi la voiture était si grosse.

[K] Et un chien, ça c’était encore le pire. 

[R] Ouais, alors que j’avais peur des chiens, j’avais un chien. Et le chien était pas là en plus ! “T’as un chien, mais en fait, il habite toujours avec l’ex”, quoi ? C’était difficilement cohérent, mais je pense que ce genre de trucs incohérents, c’est ce qui arrive dans potentiellement la vie des gens multiples, tu vois ?

[K] C’est vrai. 

[R] Tu vois, genre pas chez tout le monde, évidemment, mais… Tu vois, nous, on a un TDI cliché, bah jusqu’au bout quoi. C’est un peu le “tu as eu 1000 vies et elles ont rien à voir les unes avec les autres ; tu te souviens d’aucune, attends je vais t’expliquer”, bah p… t’en as pour la nuit hein ! [rires]

[K] Et puis il y a eu tous les trucs qui ne sont pas de ton autobiographie mais qui sont de la vraie vie. Genre…

[R] Rah ouais…

[K] … vraiment, je lui dis, je ne sais pas comment on en arrive là, mais je lui dis “mais si, on est en, je sais plus, 2018” et je sais plus, je lui parle des présidents et j’en arrive à dire que Trump est président en Amérique, et elle se bidonne hein. 

[R] J’y croyais pas. 

[K] Elle me regarde avec cette tête qui dit “mais non”. Genre comme si c’était l’argument que j’avais donné, qui allait faire capoter tout mon mensonge. 

[R] C’est vraiment- t’essayais de me faire passer des trucs gros comme des maisons. Non, vraiment, mais ouais, ça faisaitpartie effectivement des trucs où je me suis dit- mais c’est le même genre d’incohérence quoi, genre pour moi, Tr*mp, c’était un mec super chelou américain dans l’immobilier et tout et jamais je me serais dit “ce mec est président des États-Unis”, tu vois ? 

[K] [rire] Oui.

[R] Vraiment. Encore maintenant, c’est pas évident de réaliser que c’était vrai. 

[K] Après moi j’ai vécu les 10 ans que t’as pas vécu, mais moi aussi je trouve ça bizarre. [rires] 

[R] Voilà, voilà. Et puis oui, c’est effectivement là, devant le lycée, quand j’ai vu que la façade avait un peu changé…

[K] Heureusement que les petits drapeaux devant avaient changé, sinon elle se serait enfuie, j’aurais mis des jours à la retrouver. Mais non, heureusement pour moi, ils avaient un peu changé la façade. 

[R] Du coup, ça a un peu… Je sais pas comment expliquer mais ça a  un peu… 

[K] T’avais l’air mal hein. 

[R] Beh j’ai eu une espèce de mise à jour un peu. Tu vois, c’est un peu comme si, je sais pas, comme si ce qui se passait- comme si le souvenir que j’avais là de juste cette image, là, de la façade, écrasait le souvenir que j’en avais.

[K] Ok. 

[R] En sachant que le souvenir que j’en avais, du coup, c’était pour moi, c’était dans l’instant présent, alors que non, c’était un souvenir d’y a 10 ans. Et donc oui, ça m’a fait douter. Alors que je doutais de toi jusque là, et là, j’ai commencé à douter de moi. Un peu. C’est un truc un peu dans ce genre-là mais c’est super difficile à expliquer. Mais oui, je me suis dit “ok, t’es pas allée jusqu’à changer le drapeau d’une école”. 

[K] [rire] Non.

[R] Je pense pas que mes pensées étaient si claires, mais je pense que oui, y a eu un truc un peu comme ça, genre “on n’est pas dans le Truman Show, quand même pas à ce point-là”, tu vois ? “Bon, vu que j’ai toujours eu des trucs chelou dans ma tête, peut-être que c’est vrai”. [rire] Voilà. Et puis il y a eu d’autres trucs qui ont changé quoi. Effectivement t’avais une bagnole, effectivement j’en avais une. Des trucs comme ça. Par contre, un truc que je pense que je n’ai jamais pensé à faire, c’est genre regarder ma carte d’identité. 

[K] Non, j’y ai pas pensé non plus je crois. Mais je t’aurais fait un faux hein ! [rire]

[R] Ou regarder mon permis de conduire… il était coupé en 3 le machin ! Le truc qui aurait pas aidé… [rires] Y avait rien qui allait dans ma vie. Voilà. Et puis je sais que tu m’as fait un compte Twitter. 

[K] C’est vrai.

[R] Et que tu as demandé à des gens de me dire des trucs de ces 10 dernières années. Et c’était cool en soi, parce que ça canalisait un peu la quantité d’informations que je pouvais trouver. Parce que parce que même Google, il a changé. Punaise ! De mon temps, tu faisais une recherche sur internet, t’avais 3 résultats dont 1 pertinent potentiellement, si tu avais de la chance. Maintenant, c’est super compliqué de trouver l’information. 

[K] Ben nous qui avons vécu l’évolution, ça va, mais…

[R] Ouais mais en fait c’est blindé et ça t’inonde. C’est super chaud ! 

[K] C’est très, très cute ce que tu dis. [rires] 

[R] Mon côté encore un peu hasbeen ?

[K] C’est ça, c’est ce que les gens de plus de 60 ans disent, mais…

[R] “Tu vois, avant, t’avais qu’une seule chaîne de télé.” 

[K] “On est perdus maintenant !” 

[R] C’est ça hein ! [rires] 

[K] Mais oui, tu comprenais pas le concept des réseaux sociaux. 

[R] Bah non. Moi, j’avais quitté les blogs. Et pas les blogs d’aujourd’hui, où c’est des blogs sur un thème genre Partielles ou des blogs sur la cuisine ou des trucs comme ça.

[K] Non, des skyblogs.

[R] Des blogs personnels. [rire] Aujourd’hui, c’est des réseaux sociaux. Voilà. Et donc je me souviens que le compte Twitter, c’était quand même sympa, mais je n’arrivais pas à maîtriser le téléphone. Je ne comprenais pas Twitter, c’était compliqué. 

[K] Mais oui, le tactile. Encore maintenant, je ne sais pas comment tu tapes avec le téléphone. 

[R] Bah ça va mieux parce que j’ai un peu mieux les capacités de tout le monde. Mais je ne vais pas tester. [rire] Après, je pense que j’ai quand même passé un moment où j’avais un peu les deux discours, les deux temporalités qui se chevauchent. Genre je commençais à te croire, mais je doutais toujours. Mais oui, enfin, ça paraissait effectivement plus cohérent, ta version de la vérité que la mienne. 

[K] Bah c’était une blague vraiment très, très longue, hein ! 

[R] C’était une blague vraiment nulle, surtout. [rire] 

[K] Oui, mais au-delà de nulle, ça a quand même duré plusieurs semaines ! 

[R] Oui, c’est ça. Et puis je ne l’ai jamais vue débarquer pour se f*utre de ma g… ou des trucs comme ça. J’ai quand même eu pas de problème. 

[K] Oui, c’est ça. 

[R] Voilà. Je n’ai pas trouvé de caméra non plus, genre mauvaise caméra cachée. [rire] Mais je me souviens, ouais, ça s’est un peu chevauché. Et je me souviens que c’était un peu pareil dans les sentiments que j’avais pour toi. Ouais, ça a été compliqué de me dire “effectivement, je ressens un attachement vis-à-vis de toi… alors que je te déteste”. C’est pas vrai, je te détestais pas mais, “alors que je me méfie de toi”. Et je me souviens qu’il y a eu – attends, je cherche un mot adapté. C’est une impression de te connaître quoi. Et surtout une impression de connaître tes réactions. Et ton corps un peu. Tu vois, j’avais des automatismes avec toi qui n’étaient pas logiques. 

[K] [rire] Tu ne veux pas rouler des pelles à la meilleure amie de ta meuf ? 

[R] … Non. [rires] Voilà. Et ça aussi, ça s’est chevauché quoi, mais je me suis dit voilà, “effectivement…”

[K] Je suis trop cool ?

[R] “… apparemment, on sort ensemble”. 

[K] Après t’étais pas obligée !

[R] Non, non, oui, non j’étais pas obligée, mais j’ai senti que j’étais attachée à toi, tu vois ? Alors que moi, je te connaissais pas. C’était pas genre un crush, tu vois ? C’était pas le… enfin si, t’étais très canon, ça c’est pas la question, mais c’était pas ce “oh, j’aimerais trop qu’il m’aime” ou des trucs comme ça. Genre un crush quoi, tu vois ? C’était installé. 

[K] Mais ça l’était après. [rires] Pour tout le reste du monde.

[R] Oui. Et voilà. Et donc ouais, je sais que j’en ai gardé une distance pendant un moment parce que j’étais toujours dans cet état de “bon, on va se laisser du temps hein, on va se calmer”. Mais ça a participé à ce que je te crois. C’est le fait que, naturellement, j’avais confiance en toi. 

[K] C’est parce que je suis merveilleux. [rires] Ok. Et puis après, t’as demandé à A., parce que vous en avez la possibilité, qu’elle essaie de te mettre à jour ? 

[R] Ouais, ouais. Du coup, j’avais eu quand même une version de l’histoire prémâchée, mais ça restait un truc raconté. Et moi, je me disais juste WTF, vraiment. Et même ce que tu me racontais, je n’en avais aucun souvenir et j’avais vraiment du mal, enfin, j’avais pas l’impression que ça m’était arrivé, j’arrivais juste un peu à me projeter dedans. Oui, je pouvais me visualiser dans les situations, et je suppose que la visualisation que j’avais – j’ai pas gardé ce genre de souvenirs mais – je suppose que c’était proche de la vérité, même si pas vraiment mais tu vois ? Je pense que voilà, j’avais quelques scènes mais je suppose qu’il y avait des lieux peut-être qui n’étaient pas bons ou des trucs comme ça, mais c’était une projection quoi. C’était “demande-moi de me projeter dans une histoire et je le fais”.  Même si ça avait un sentiment un peu de trop réel par rapport à “projette-toi dans une histoire” quand même. C’est pour ça que je dis, je pense vraiment que ça devait être proche de la vérité parce qu’en fait, j’avais le souvenir dans ma tête quelque part. Mais j’avais quand même pas l’impression de l’avoir vécu. Je te l’aurais pas re-raconté de la même façon, je pense, ou de la façon dont ça s’était vraiment passé par exemple. Voilà. Et du coup, on s’est dit, comme j’avais l’air d’avoir des capacités…

[K] [rire] Tu l’as retenu, ça ! 

[R] Ouais, parce que c’était le cas ! [rire] Ben on s’est dit, voilà, vu qu’effectivement, c’est possible et que A. a ce genre de pouvoir sur notre mémoire, qu’elle essaie de me faire passer des trucs. Petit à petit, un peu. Et puis on a mis en place et en fait, je lui ai dit de pas arrêter. 

[K] Quoi, elle  a commencé et t’as dit “vas-y, envoie” ?

[R] Ouais, au départ c’était prévu de faire ça petit à petit, genre elle me donne quelques trucs et on voit comment je gère et tout, et après on voit. Parce que bah notre vie est quand même pas toute rose. Et heureusement, le rose c’est moche. Désolée pour les personnes qui aiment le rose. [rire] Non mais tu vois, il y a quand même des trucs, enfin tu vois, il y avait aussi des souvenirs- Ma mémoire s’était vraiment arrêtée à la mémoire qu’on avait à l’âge où je suis partie, à l’âge où j’ai été créée du coup, vu que j’ai fait un peu les deux en même temps, j’ai fait “salut ! c’est pas moi”. Et du coup, il y avait eu des souvenirs récupérés, genre de traumas ou de trucs comme ça, que je n’avais pas non. 

[K] C’est clair ! Je marchais très sur des œufs, c’était très gênant. 

[R] C’est clair. Il y avait plein de trucs que tu savais que moi, je savais pas.

[K] Ouais mais ça, j’avais l’habitude. T’étais pas mon coup d’essai à ce propos. 

[R] Et du coup, il y a eu, je pense- je sais plus dans quel ordre ça s’est fait, si genre elle m’a donné les souvenirs récupérés du coup d’avant les 10 ans de la vie jusqu’à 17 ans ou si d’abord c’étaient les 10 ans perdus là, je sais plus. 

[K] Aucune idée.

[R] Je sais plus dans quel ordre c’était mais je sais que- enfin je me souviens que je suis allongée, je suis dans le noir complet dans ma tête, t’étais à côté de moi, il y avait de la lumière dans la chambre, mais moi, j’étais dans le noir complet, j’étais vraiment trop dans ma tête. J’avais juste sa voix et sa présence. Et elle me dit “ok, je vais t’envoyer des trucs”-machin. Et je me souviens que j’ai les images qui passent, mais à la vitesse de… vraiment je regarde un film en accéléré. Mais en même temps, c’est tout cohérent, tout commence à s’aligner. Et puis je sens que ça s’arrête et qu’elle me dit un truc genre “voilà, c’est déjà pas mal” et je lui dis “non, non, continue”. Et j’ai mal au crâne ! Oh vraiment, le mal de tête de ma vie. La mienne hein, les autres, je m’en fous. Non, vraiment, j’avais super mal à la tête. C’était vraiment bizarre comme expérience, je pense. 

[K] Ben oui…

[R] Mais je sais que je ne voulais pas que ça s’arrête. C’est un peu le “donne-moi tout, donne-moi les réponses, p… je les veux !”. 

[K] Après je suis sûr qu’il y a plein de trucs que t’as eu et que ça a pas eu l’air d’être des réponses, juste des successions de trucs WTF. [rires] 

[R] Ouais, ça restait incohérent mais au moins, ça avait une espèce de suite quoi, tu vois ? C’était un peu le- voilà. 

[K] Tu voulais pas te faire arrêter dans une série genre ? 

[R] Ouais, c’est ça ! C’est un peu le “ah mais non, on est au plot-twist là, vas-y, non pas à la semaine prochaine, je suis pas d’accord”. Voilà, voilà. Et après ça, je sais que c’était- J’avais vraiment très, très, très mal à la tête. Je pense vraiment que j’ai déconné. Je pense vraiment que j’étais- oh j’étais prête à encaisser tout ça mais ça a été quand même, à mon avis, pas évident d’exploser une barrière amnésique avec cette violence, tu vois ? Je pense vraiment qu’il y a qu’entre nous que ça pouvait arriver ce genre de trucs. Et je me souviens que oui, il y avait quand même des images qui restaient plus en flash, à mon avis c’était plus genre des flashbacks ou des trucs ainsi mais j’étais trop la g… dedans pour ressentir quelque chose vis-à-vis de tout ça. J’étais trop brouillée. Mais par contre, pendant un moment, ça s’est mélangé. Y avait des trucs qui n’étaient pas- J’avais tout, mais pas forcément au bon endroit. Du coup, il y avait vraiment des incohérences dans la logique du truc. Il fallait vraiment que je refasse le fil de toute ma mémoire récupérée pour me dire “non ok, ça en fait, c’était pas il y a 5 ans, c’était il y a 2”, tu vois ? “Parce qu’en fait, la voiture, elle était comme ça” ou des trucs comme ça. 

[K] Ouais, je vois. 

[R] Des trucs ainsi. Et je te dis, il y avait ces espèce de flashs-là, qui étaient quand même pas simples et qui me revenaient beaucoup en boucle. Je pense vraiment que c’était des flashbacks, et des flashbacks à moi pour le coup, mais pas que, mais bon bref. Et puis il y a eu quand même un moment où c’était toujours un peu superposé. La mémoire… les trucs pour lesquels il y avait eu une récupération de mémoire, donc avant mes 17 ans, tu vois des souvenirs traumatiques qui avaient été récupérés mais que je n’avais pas parce que j’ai la mémoire de ce moment-là, machin. Il y a eu quand même des superpositions aussi. J’avais les deux souvenirs en même temps. Et du coup, je savais lequel était le bon parce que je le savais, mais pas…

[K] Pas parce que tu le ressentais ?

[R] Pas parce que je le ressentais, voilà. Si j’avais dû raconter le truc sans faire attention, j’aurais raconté la première version alors que je savais que c’était pas la bonne. Et puis j’aurais fait “ah non, attends, en fait, il s’est pas passé ça, en fait, il s’est passé ça” parce qu’il me manquait des bouts. Genre “ah, ça ne s’arrête pas là, en fait y a une suite, attends”, voilà. Et depuis que ça s’est un peu calmé, parce qu’il a quand même fallu un temps pour que je m’approprie un peu tout ça, que je le remette dans le bon ordre, que je me resitue dedans et des trucs comme ça. Aujourd’hui, c’est ouais, c’est des souvenirs récupérés. Vraiment ouais, je les ai pas vécus. Je peux te les raconter, mais c’est pas la même chose. Vraiment, moi, mon histoire, elle s’est arrêtée il y a 10 ans, enfin il y a, je sais plus, 14-15 ans maintenant, et elle a repris 10 ans après. Et entre, je sais ce qui s’est passé. Je l’ai pas vécu, mais je sais ce qui s’est passé. Voilà. 

[K] Épique histoire. Et du coup, pour conclure, comment tu te sens maintenant et comment tu te sens par rapport aux autres membres de ton système, qui ont vécu la totalité ? Ou en tout cas, pas la totalité, parce qu’il y en a qui sont arrivés après, mais qui ont pas de discontinuité ? Genre est-ce que tu as l’impression que c’est… tu vois ? Je sais pas ?

[R] Beh je sais pas. Je sais que j’ai quand même eu ce truc de… bah qui est factuel en fait, mais du “j’ai loupé une partie de ma vie”, tu vois ? Et je sais que j’avais un peu envie de rattraper le temps perdu. Ce qu’il y a de bien, c’est que j’étais quand même- mon corps était quand même dans un tournant de sa vie qui permettait d’avoir une nouvelle vie. Mais je pense que si ça n’avait pas été le cas, si j’étais toujours dans la vie que j’avais avant, je pense vraiment que j’aurais fait des c*nneries, je pense que je serais un peu partie de mon côté à faire ce que je veux parce que j’en ressentais le besoin. Et tu m’as laissé la possibilité de l’avoir quoi, de…

[K] Bah oui.

[R] … vivre. Bah ça aurait pu ne pas être le cas.

[K] C’est vrai. 

[R] C’est pas forcément évident. Mais tu m’as laissé la possibilité d’avoir des expériences et des trucs ainsi, à moi. Alors que c’était pas nouveau, enfin, sortir avec ta voiture ou des trucs ainsi, en fait c’était des trucs que le corps, il avait déjà fait 1000 fois, mais pas moi. Et voilà, je pense que ça m’a vraiment aidée, de pouvoir vivre.Parce qu’à ce moment-là, j’en avais besoin. Et puis la vie a un peu fait que je suis moins venue, parce que c’est devenu compliqué. Mais…

[K] Je suis pas sûr que c’est parce que c’est devenu compliqué, c’est justement parce que c’est devenu simple. Genre il y avait de la place et donc il y a eu de la place pour d’autres gens. 

[R] Ouais. 

[K] Le cerveau, il a un peu considéré que ton histoire, elle était résolue. 

[R] Ouais, c’est ça. En plus mon trigger principal était plus là. Donc oui, vraiment. 

[K] Oui, c’est ça, t’es plus déclenchée par rien. Et le cerveau, il a mis, au trou qui a été laissé par le calme de la vie, d’autres trucs à régler. 

[R] Ouais, c’est ça. Et je sais qu’il y a eu quand même un moment où je savais pas vraiment quelle était ma place. Parce que j’avais pas vraiment de place à l’extérieur, parce que j’avais eu la possibilité de vivre un peu des trucs et c’était cool, mais je n’avais pas besoin de spécialement beaucoup plus. Mais à l’intérieur, j’avais un peu la pression que j’avais fait mon temps, mais en fait pas, parce que je l’avais pas vécu, mais tu vois ? J’avais un peu ce truc du “j’étais censée servir à ça, mais ça n’est plus là donc du coup…” 

[K] Oui, je m’en souviens. 

[R] “… donc du coup, qu’est-ce que je fais ?”. Voilà. 

[K] Puis tu as signé pour une nouvelle carrière ? 

[R] Ouais, déjà j’ai un peu signé pour une nouvelle carrière avec vous. Quand vous avez pris conscience. Parce que du coup, moi je suis arrivée un peu avant votre prise de conscience et un peu pendant. C’était un peu compliqué. Je sais plus tiens. Moi je suis revenue un petit peu avant, mais je sais plus si j’avais déjà retrouvé mes souvenirs quand toi, tu as pris conscience ? 

[K] Aucune idée. 

[R] Tout ça, c’est un peu mélangé. 

[K] Je ne sais pas te dire exactement quand c’est. 

[R] Je sais plus exactement, mais bref. Mais ouais, du coup, ma réorientation professionnelle, c’était un petit peu au départ d’être quelqu’un pour vous parce que ça venait de m’arriver un peu, tu vois, de prendre conscience que j’existe. Les autres, ça faisait déjà un certain temps et du coup, ça en était plus là. Que moi, ouais, enfin c’est pas que je vous comprenais mieux, mais il y avait un peu cette espèce de lien du “hey salut, on débarque à la vie en même temps”, tu vois ? Et en même temps, oui, j’avais un peu, enfin il y avait- Vu que j’étais un peu à part encore à ce moment-là en fait, je pense vraiment que ça vous a aidé à vous raccrocher à un truc à certains moments. Eh puis No, pour toujours dans mon cœur. [rire] Mais voilà.

[K] … Arrête. 

[R] Oui, parce que sinon elle va venir et elle va pas parler au micro. [rire] Voilà. Et puis après, ça s’est un peu stabilisé chez vous et bah pareil, ça allait du coup je suis moins venue. Puis on a déménagé et tout, bref. Et depuis, on a pris conscience qu’on avait un inner, en fait, qui n’était pas tout noir, mais qu’il existait; et que j’avais la possibilité de faire des trucs dedans. Parce que j’ai des capacités. [rires] Non, mais ça s’est vraiment découvert par hasard. Genre t’as dit un truc. 

[K] Ben oui, c’était au moment encore où tu étais dans ce truc du “je ne sais pas trop c’est quoi le but de ma vie dehors, c’est pas pas cool mais ça me sert à rien” et oui, je t’ai dit, je sais pas, “teste des trucs quoi”. 

[R] Ouais. Et je sais que j’étais au milieu, tu vois, on a un peu une place dans la tête, tu vois ? Et j’étais au milieu. Légèrement à gauche mais j’étais vraiment au milieu. Et c’est vraiment parce qu’une fois, t’as dit que j’avais un mini frigo, enfin que j’étais toujours affalée dans mon canapé avec mon mini frigo… [rire] 

[K] Mais c’est parce que c’est comme ça, c’était comme ça que je te percevais dans la nonchalance de tes réponses. Et le je m’en foutisme, tu vois ? 

[R] C’est ça. Mais du coup, bah j’ai eu un canapé. Et puis après, on a parlé du mini frigo et du coup, j’ai eu un mini frigo. Et là, on s’est rendu compte qu’en fait, moi j’avais la possibilité de faire ça. Et je sais que c’était bizarre quand même. Pas pour moi parce que moi, je trouvais ça très drôle, mais pour les autres de se dire “oh, c’est bizarre de pouvoir créer des trucs”. Alors que eux avaient pas essayé, mais justement je pense qu’ils avaient toujours eu peur d’essayer, mais oui, ils y pensaient même pas quoi. Que t’as un truc et dans mon environnement direct, ça s’est fait et voilà. Donc du coup, depuis j’ai testé des trucs parce que j’ai eu l’opportunité de le faire. Et je sais juste pas bouger les fondations parce que ça vient d’une force supérieure, je peux pas. Mais je peux quand même faire des trucs. Et… ben on a quand même déterminé mon rôle qui, aussi inattendu que ça puisse paraître, est protectrice. 

[K] On se la pète à peine par ici. [rire]

[R] Mais j’ai des capacités, moi. [rires] Non mais tu développeras des trucs sur les rôles, je m’en fous. Mais ouais, en fait, ouais. Mais après, c’est logique vu les conditions dans lesquelles j’ai été créée, que j’ai un truc un peu comme ça, enfin voilà. Et du coup, depuis, sur mon canapé, je garde les littles. On s’y attendait pas au départ. 

[K] Elles font des petites boules sur ses genoux. 

[R] C’est parce que mon canapé est confortable. Grâce à mes capacités. Running gag, on a compris. [rires]

[K] Et il est extensible ? Genre si tu trouves 42 littles, tu va faire un plus grand canapé ?

[R] Mais ouais, t’inquiète y a la place. Mais au départ, je n’arrivais pas à le placer correctement par contre. 

[K] C’est vrai. 

[R] Parce qu’au départ, moi j’avais un fauteuil, il était très bien. Et puis on m’a demandé de faire un canapé. De faire un espace salon, là, au milieu, un espace rencontre pour que tout le monde puisse venir s’y sentir à l’aise si jamais. Et au début, comme je dis souvent, c’est comme les escaliers dans Les Sims, ça rentrait pas, ça voulait pas. 

[K] [rires] Tu as mis des jours ! “Ça va River, qu’est-ce qu’elle fait ?” – “Ahh, elle a toujours pas réussi à rentrer son salon…” 

[R] Mais il voulait pas ! Y avait la place en plus ! Il voulait juste pas se mettre. J’ai essayé de le tourner et tout, ça marchait pas, bref. Et puis finalement j’ai réussi à le placer. Et j’ai attrapé un alter en même temps, sans le faire exprès. Quatre. 

[K] … C’est vrai ! J’avais oublié. 

[R] Tu vois, le canapé, il était coincé entre… l’avant de ma tête… ça va être très compliqué à expliquer cette histoire mais… Du coup, moi je suis au milieu, je voulais mettre le canapé au milieu, au milieu de l’espace de tête, logique. 

[K] Logique. 

[R] L’espace de rencontre, proche du front, proche du conscient mais un peu en arrière quand même, pour qu’on soit confort et qu’on sache ce qui se passe à l’extérieur, enfin, la logique quoi ! Et le truc, il se coinçait devant à moitié ! Et quand je l’ai tiré, il y avait quelqu’un dessus. C’était Quatre. 

[K] Qu’est-ce qu’il faisait en dehors de ta tête ? [rire]

[R] Bah il est pas vraiment en dehors. La proprioception de là où on est, c’est pas tout à fait dans la tête. 

[K] Oui, oui c’est une blague ! [rires] 

[R] Mais ouais, il était plus devant que l’avant.

[K] Oui, c’est ça. Mais il a vu un canapé, il s’est assis. 

[R] Ouais, c’est ça. 

[K] M’étonne pas. [rires]

[R] C’est ça qui résistait, en fait. Il voulait le garder pour lui. [rire] Bref, voilà.

[K] C’était peut-être comme dans Les Sims, peut-être que vu qu’il occupait les carrés au sol, genre ça rentrait pas, tu vois ? [rire]

[R] Du coup voilà. Et ben ouais, depuis, l’espace de rencontre a fonctionné vu que j’ai ramassé tous les littles du quartier et… sauf une hein… elle est toujours pas là ? Non… Et voilà. Et depuis, j’assure mon rôle de protectrice du milieu. Quand il y a des brouilles, je suis là.

[K] Quand il faut s’interposer entre des personnes, tu tends les bras. 

[R] C’est ça. Mon canapé, oh ! [rires] Voilà. C’est même pas un canapé en fait, c’est un trou dans le sol avec des coussins. Soit, on s’en fout. Voilà. 

[K] Merci.

[R] De rien. 

[K] Si vous êtes resté-es jusqu’ici, merci beaucoup. On se retrouve un dimanche sur deux sur YouTube, le reste du temps sur les réseaux sociaux, et à bientôt !

[R] Bye !

Liens utiles