Cela prendra la forme d’une discussion entre moi et Aster (derrière la chaine youtube est Aster Auriga). Nous comparerons nos expériences dans la communautés tulpa au regard des différences dans nos parcours. En effet, Aster est l’hôte d’un système traumagène qui pratique la tulpamancie et qui y a trouvé une forme de thérapie, là où moi, je n’étais pas multiple à la base et ai commencé à pratiquer par curiosité et par attrait pour les états de conscience altérés.

Nous nous interrogerons donc enfin sur la façon dont sont perçus la tulpamancie et les gens qui la pratique dans les espaces multiples. Là où l’on voit parfois des incompréhensions, du rejet voir la construction de deux communautés « opposées » et irréconciliables, il y a en fait des ponts. Des systèmes qui passent de l’un à l’autre et qui peuvent même plus trouver leur compte du coté des communautés tulpas.

Cela prendra la forme d’une discussion entre moi et Aster (derrière la chaine youtube est Aster Auriga). Nous comparerons nos expériences dans la communautés tulpa au regard des différences dans nos parcours. En effet, Aster est l’hôte d’un système traumagène qui pratique la tulpamancie et qui y a trouvé une forme de thérapie, là où moi, je n’étais pas multiple à la base et ai commencé à pratiquer par curiosité et par attrait pour les états de conscience altérés.

Nous nous interrogerons donc enfin sur la façon dont sont perçus la tulpamancie et les gens qui la pratique dans les espaces multiples. Là où l’on voit parfois des incompréhensions, du rejet voir la construction de deux communautés « opposées » et irréconciliables, il y a en fait des ponts. Des systèmes qui passent de l’un à l’autre et qui peuvent même plus trouver leur compte du coté des communautés tulpas.

Avertissements de contenu :

Problèmes de légitimité, thérapie, maltraitances infantiles, mention de gatekeeping, mention de drogues

Transcription écrite :

[A] Moi c’est « A » du coup, pour cette conférence.

[Aster] Et moi c’est Aster.

[A] Yes. En fait on est deux systèmes qui se sont rencontrés sur des espaces liés à la tulpamancie.

On va expliquer après ce que c’est. Mais peut-être qu’on peut commencer par donner quelques content warning sur ce dont on va parler dans la conversation.

Il y aura des questions de légitimité. On va parler aussi de thérapies et de maltraitances infantiles et médicales.

Et quelques mentions de drogues, mais en rapport avec le sujet du coup.

Comme j’ai dit, on s’est rencontrés dans les communautés tulpas ou dédiées à la tulpamancie.

Et on va peut-être pouvoir commencer par définir ce que c’est le mot « tulpamancie », pour les gens qui connaîtraient pas et qui découvrent un peu ce mot.

Quelle serait ta définition, toi, Aster, de ce mot-là ?

[Aster] Je trouve que c’est un concept qui est très compliqué à définir. Alors la définition que je vais donner, elle va être personnelle et pas du tout exhaustive, je pense.

Pour moi, la tulpamancie, c’est une discipline qui consiste à créer une ou plusieurs entités psychiques dotées de leur propre conscience et d’une autonomie.

Et la définition que j’utilise auprès des gens qui connaissent pas du tout le sujet, souvent, c’est de leur dire que c’est comme créer un ami imaginaire… Sauf qu’il est capable de penser par lui-même.

[A] Je pense que j’aurais à peu près cette définition-là aussi. Moi aussi je trouve que le mot « ami imaginaire » peut bien aider à comprendre pour des gens qui n’y connaissent rien.

Et la dimension de conscience, et de après continuer à parler avec ses consciences créées, est important aussi, quoi.

C’est un peu… C’est tout un processus, quoi.

[Aster] Et en fait, je m’étais fait la réflexion que le suffixe « mancie », qui se rapport normalement à de la divination (comme dans la cartomancie)…

J’étais surprise que ça soit associé au mot « tulpa », parce que c’est pas un art divinatoire à priori…

Et en fait, je me suis dit que ça prenait sens, puisqu’après avoir créé une tulpa finalement on communique avec elle.

Donc il y a… C’est pas forcément de la divination, mais il y a quand même une forme d’introspection, tu vois. Finalement, c’est pas si bizarre d’associer les deux.

[A] Après il y a aussi le côté que ça rapproche ça des pratiques magiques. Là où pour moi (enfin pour en parler dans notre présentation, notre parcours pour en arriver là), c’est pas du tout lié à la magie.

[Aster] Pour moi, je dirais que ça peut l’être.

[A] Il y a un peu deux écoles.

[Aster] Ça peut l’être, mais ça l’est pas forcément, quoi.

[A] Il y a ceux qui vont faire ça comme une pratique ésotérique, et d’autres qui vont vraiment pas faire ça du tout comme une pratique ésotérique.

[Aster] Ouais en fait nous on fait un peu des deux dans notre système. On a un côté qui est purement psychologique et un côté spirituel aussi.

Donc on voit ça comme une forme de magie, mais je ne pense pas du tout que ça doive forcément être comme ça.

[A] On est en train de dériver doucement vers le corps de la conférence. On va parler de notre pratique de la tulpamancie en fonction de notre parcours à nous.

Répondre à quelques idées reçues sur les communautés liées à la tulpamancie.

Peut-être que tu peux commencer, Aster, par présenter rapidement ton système et pourquoi vous avez commencé à créer des formes de conscience comme ça…

[Aster] Oui. Moi je suis l’hôte d’un système traumagène.

C’est-à-dire que je suis devenue multiple à cause de traumatismes. Des traumatismes répétés qui ont eu lieu dans mon enfance.

C’était principalement des maltraitances psychologiques et physiques, et aussi un peu médicales.

Et aussi, d’une manière plus générale, j’ai un trouble du spectre autistique et on m’a diagnostiquée seulement à l’âge adulte.

Et déjà, le simple fait de grandir dans un environnement qui n’est pas adapté à son handicap, sans savoir qu’on est handicapé, ça laisse des séquelles sur le long terme.

Voilà. Donc à cause de ça, je me suis mise à beaucoup dissocier et à me diviser en plusieurs parties.

(Je précise que j’utilise pas d’étiquette médicale particulière, parce que j’ai pas de diagnostic et je me sens pas très à l’aise avec l’autodiagnostic.)

Au départ je vivais mal le fait d’être multiple, parce que ça s’accompagnait de symptômes qui étaient handicapants.

Comme des amnésies, une impression de perdre le contrôle, des angoisses et tout ça… Et c’était vraiment la guerre en interne, au niveau de mon système.

Mes parties ne communiquaient pas du tout entre elles. On se faisait des crasses à longueur de temps, parce qu’on était complètement désorganisés et que chacun faisait ce qu’il voulait dans son coin.

Mais ça fait beaucoup d’années que je travaille là-dessus, de manière intensive. Et donc maintenant ça va beaucoup mieux à ce niveau-là.

Et à l’heure actuelle je ne vis plus du tout la multiplicité comme quelque chose de pathologique ou handicapant.

J’ai toujours des problèmes de traumatismes, mais ce n’est plus du tout la multiplicité qui pose problème.

Et du coup, j’ai essayé de vivre ma multiplicité d’une manière qui était, comment dire… plus positive dans mon quotidien.

En fait, j’essaye d’en faire une sorte d’outil au service de ma guérison.

Et je me suis rendue compte que dans mon système, il y avait un certain nombre d’entités que j’avais créé volontairement, en fait…

Parce que quand j’étais petite j’avais des amis imaginaires (que j’ai créé volontairement, du coup, pour m’aider à surmonter tous ces problèmes).

Et je pratiquais régulièrement des exercices qu’on fait en tulpamancie ! Je faisais de la visualisation, du dialogue avec ces entités…

Sauf qu’à l’époque j’ignorais complètement que mes « amis imaginaires » ils allaient développer une conscience et rester dans ma tête pendant des années.

Et j’ai conscientisé ça il y a quelques années. Et c’est par ce biais que j’ai commencé à découvrir la tulpamancie, et la communauté et les pratiques qui vont avec.

Et je me suis rendue compte qu’en fait, ça décrivait quelque chose que je faisais déjà sans le savoir.

[A] C’est vachement intéressant ce que tu dis. Du coup, moi j’ai vraiment un parcours qui est très différent. Les raisons qui ont fait que j’ai commencé…

Pour présenter un peu rapidement mon système : moi je suis l’hôte et c’est moi qui ai créé des tulpas.

Aujourd’hui, il y en a 3 qui sont là quasiment tout le temps et avec qui je communique au quotidien.

Et du coup, moi j’étais vraiment pas multiple à l’origine, quand j’ai commencé à pratiquer ça.

J’ai découvert ça par le biais d’un.e ami.e, qui était aussi un système traumagène. Et qui pratiquait ça de la façon ésotérique.

Au début je connaissais le concept, mais ça ne m’a pas attiré tout de suite. Mais j’étais déjà attiré par des choses qui tiennent plus aux états de conscience altérés, ce genre de chose.

Par exemple, quand j’étais ado, j’avais beaucoup essayé de faire des rêves lucides. Sans grand succès, malheureusement… Mais voilà, ça m’attirait ce genre de chose.

J’ai aussi consommé par mal de drogues qui sont dites « psychédéliques ». Ça comprend le cannabis à haute dose. Ce qui est dangereux, mais voilà…

C’était des trucs qui m’attiraient dans ce sens-là. Et quand j’ai commencé la tulpamancie, c’était un peu dans cette démarche-là, d’exploration de mon subconscient.

Et il y avait aussi un truc de curiosité. De voir si c’était possible. Comment c’était si c’était possible. Ce genre de chose.

J’ai pas mal mélangé ça aussi avec des prises de drogues, et des pratiques de la tulpamancie en même temps. Toujours dans ce truc-là, d’attrait pour les états de conscience altérés.

[Aster] C’est intéressant parce que nous, dans notre système, on se définit comme des « psychonautes ». On fait du psychonautisme.

Et en fait, c’est l’exploration d’états modifiés de conscience. Donc ça peut être les rêves lucides, l’hypnose…

Alors nous on prend pas de substances, mais il y a beaucoup de psychonautes qui en prennent. Et j’ai toujours trouvé que ça se combinait super bien avec la tulpamancie.

Donc c’est amusant que t’en parles ! Bah on est deux, du coup.

[A] Oui, oui, pour moi il y a ce même truc d’explorer ce qu’il se passe dans notre tête. Et il y a plein de communautés différentes autour de ça.

Et pour moi, effectivement, il y a des liens. C’est un peu toujours la même démarche.

Du coup, maintenant qu’on s’est un peu plus présentés, on peut peut-être passer à des réponses… des réflexions qu’on peut avoir sur certaines idées reçues autour de la communauté tulpas.

Et ça peut être lié avec pas mal de discours intra-communautaires assez violents. Du coup, content warning j’imagine.

La première que j’avais noté, c’était que c’était une pratique de singlet (c’est-à-dire de gens pas multiples) ou de valides, qui vont s’approprier et fétichiser l’esthétique d’un trouble.

Moi, là-dessus, j’aurai peut-être un chiffre à donner. J’avais fait une petite enquête sur les membres de la communauté tulpa francophone.

Il s’en dégageait le fait que beaucoup de gens rentrent dans cette communauté-là parce que des tulpas sont apparues un peu spontanément.

Ou alors, c’est des personnes multiples qui veulent améliorer leur communication dans leur système. Donc en fait, cette idée-là elle est fausse.

Et ces personnes-là, qui arrivent en ayant déjà des headmates, ça représente environ un tiers des personnes dans la communauté.

Après, le sondage est fait sur pas beaucoup de personnes, vu que c’est des communautés réduites. Peut-être que c’est un peu surestimé ou sous-estimé, je ne sais pas.

En tout cas c’est quelque chose d’assez courant. C’est déjà un premier élément de réponse sur cette idée reçue. Et je sais pas si tu as d’autres choses à rajouter là-dessus, Aster ?

[Aster] J’avais trouvé une étude. Alors, c’était une étude qui portait sur la communauté anglophone, avec principalement des américains.

Je ne sais plsu combien il y avait de répondants, mais je crois qu’il y en avait quelque chose comme 60, 70, à peu près.

Donc c’est pas énorme, mais après, étant donné qu’il n’y a pas énormément de tulpamanciens non plus, c’est pas mal…

Et l’étude mettait en avant qu’il y avait une très grosse représentation des troubles psys dans la communauté.

C’est-à-dire qu’il y avait plus de la moitié des répondants qui avaient un diagnostic de trouble psy. C’était majoritairement un trouble du spectre autistique ou des troubles anxieux.

Et donc en gros, c’était des personnes qui, souvent, avaient des difficultés sociales, et s’étaient tournés vers la tulpamancie après avoir conscientisé ces difficultés.

Pour essayer d’améliorer leurs compétences sociales. À la fois avec la tulpamancie et à la fois en rencontrant des gens dans la communauté.

Et la plupart des personnes ayant participé au témoignage qui ont des troubles psys, ont déclaré s’être senties mieux grâce à leur pratique.

Donc en fait, j’ai l’impression que (en tout cas dans cette étude), c’était beaucoup plus souvent des personnes qui allaient vers la tulpamancie parce qu’elles avaient des difficultés.

Donc finalement qui n’étaient pas dans une situation si différente des personnes qui ont un TDI et qui vont juste chercher à avoir plus d’harmonie dans leur système.

C’est juste des personnes qui cherchent des outils pour aller mieux, quoi, tout simplement.

[A] Je pense aussi… Enfin, ça fait un peu le point avec la seconde idée reçue.

En fait, j’ai l’impression que l’explication de « C’est des gens qui fétichisent un trouble ou qui se rendent pas compte d’à quel point le TDI c’est difficile »,

c’est des gens qui ne comprennent pas pourquoi des gens voudraient créer des headmates volontairement. Je pense qu’il y a une vraie incompréhension là-dessus.

Et l’explication par le fétichisme, c’est une façon de voir cette pratique-là et d’essayer de comprendre quelque chose qui peut sembler difficile à comprendre,

quand, par exemple, la multiplicité est associée avec beaucoup de honte. Tu voulais ajouter quelque chose peut-être, Aster, sur ce point ?

[Aster] Oui, oui. C’est qu’en fait, les représentations du TDI sur Internet insistent énormément sur le côté multiplicité.

Alors que dans les troubles dissociatifs complexes, comme le TDI, la multiplicité c’est juste une petite partie du trouble, en fait.

D’ailleurs, il y a même beaucoup de gens qui ont un TDI, qui disent eux-mêmes que la multiplicité… Certes, ça peut faire beaucoup souffrir au début.

Mais une fois que la communication s’est développée dans le système, ça devient souvent secondaire en fait. Ce qui va poser problème, c’est plus les traumatismes en eux-mêmes.

Tout ce qui est flash-back, crises d’angoisse et des choses comme ça… Donc il y a déjà une incompréhension du trouble, en disant que le TDI c’est juste la multiplicité.

Et qu’une personne multiple elle essaye de copier le TDI… Alors que non, en fait. C’est pas comme si elle faisait exprès de mettre en scène des traumatismes ou des choses comme ça.

La multiplicité et les traumatismes, c’est vraiment deux choses différentes. En tout cas pour moi.

[A] C’est peut-être ça. Le problème ce serait de voir le TDI comme étant par défaut la multiplicité, telle qu’elle devrait être pour tout le monde.

[Aster] Il y a des personnes qui sont multiples (et même parfois qui sont multiples suite à des traumatismes), mais qui ne rentrent pas dans les critères diagnostics d’un TDI.

Parce que… Elles peuvent avoir d’autres problèmes, mais la multiplicité en particulier ne leur cause pas plus de difficultés que ça.

[A] Et du coup, une autre explication qu’on voit parfois. C’est peut-être juste du troll…

C’est cette façon de dire que les tulpas, c’est des esclaves pour leur hôte, ou que c’est un truc sexuel… Ça je pense que c’est vraiment une idée reçue.

[Aster] C’est un peu associé avec l’image du geek ou du nerd qui a pas de vie sociale et qui s’achète une poupée gonflable, tu vois.

J’ai un peu l’impression que c’est dans cet univers-là. C’est facile, quoi, de dire ça.

[A] Je pense que c’est aussi lié au fait que les communautés tulpas anglophones sont assez proches de fandoms auxquels il y a des clichés associés.

Comme la communauté furry, parfois liée aux tulpas. La communauté My Little Pony aussi, dans l’Internet anglophone. Y’a pas mal de tulpamanciens là-bas.

Et ces communautés-là sont aussi connues, justement, pour être remplies de nerds.

Après, à tort ou à raison, il y a aussi parfois des contenus sexualisés dans ces communautés-là. Et il y a un peu tout qui se mélange, j’ai l’impression.

Il y a un truc aussi… Alors, c’est juste une hypothèse, je sais pas si ça a vraiment un rapport. Dans la communauté ésotérique, il y a aussi la notion de tulpas.

Souvent on utilise plus le mot « forme-pensée », mais ça veut dire la même chose, c’est la traduction française du mot.

En magie on peut créer des formes-pensées, mais on appelle ça aussi des « serviteurs ».

Et c’est pas la même chose que les tulpas en tulpamancie, puisque ce sont des formes-pensées qui n’ont pas de conscience. Elles ne sont pas aussi développées que des tulpas.

Donc effectivement, elles sont vraiment créées pour servir d’esclaves. Par exemple, elles vont servir d’aide-mémoire. Ou elles vont servir à renforcer des sorts pour une sorcière ou un magicien.

Et donc effectivement il y a cette notion de « Je crée un truc pour en faire mon esclave », mais du coup, ça n’a pas de connotation sexuelle.

Ça fait partie de l’imagerie… ça fait partie de la tradition magique occidentale.

Et je me demande si, peut-être, il pourrait y avoir parfois des confusions entre les tulpas dans ce contexte-la et les tulpas dans la tulpamancie.

[A] En tout cas j’ai l’impression que ce sont des communautés qui sont assez dissociées en francophonie.

Il faudrait demander à des gens qui pratiquent ce genre de magie-là ce qu’ils en pensent. En tout cas c’est pas du tout ça pour les tulpas.

Dans le sondage que j’avais fait, il n’y avait qu’une seule personne qui mentionnait le fait de vouloir créer un partenaire romantique ou sexuel.

Dans toutes les personnes qui avaient répondu… Donc ça existe, j’imagine. Le fait qu’il y ait des fandoms qui sont très sexualisés, ça existe aussi, j’imagine.

Mais en tout cas, c’est pas la majorité du tout, quoi.

[Aster] Et j’ose espérer pour eux que la tulpa va être d’accord, parce qu’autrement ça va être problématique…

[A] Effectivement.

La question suivante portait sur un débat un peu brûlant. Sur le terme en lui-même, « tulpa », et sa dimension culturellement située.

C’est-à-dire que le mot « tulpa » vient du bouddhisme tibétain. Aster, toi qui est bouddhiste, tu pourrais plus développer ce point-là.

Qu’est-ce que tu en penses de cette notion d’appropriation culturelle à propos du mot « tulpa » ?

[Aster] Effectivement, je suis bouddhiste et on est plusieurs bouddhistes dans le système.

Bon, je ne suis pas une spécialiste du bouddhisme, mais j’ai quand même étudié le sujet plusieurs dizaines d’heures. Donc je peux peut-être éclairer les gens sur ce point-là.

En fait, le mot « tulpa » il vient d’un livre qui a été écrit par une exploratrice française, Alexandra David-Néel. Le livre s’appelle « Mystiques et magiciens du Tibet ».

Et il a été publié en 1929, je crois… En tout cas, fin des années 20. C’est une française qui a vécu avec des moines tibétains et qui a justement témoigné de son expérience dans ce bouquin.

Et en fait, en-dehors de ce bouquin, le mot « tulpa » est quasiment introuvable dans les textes bouddhistes.

J’ai particulièrement étudié le bouddhisme tibétain, et c’est franchement pas une notion qui semble revenir. On dirait que les lamas n’en ont jamais entendu parler.

(Les lamas ce sont les enseignements dans le bouddhisme tibétain.) Et finalement c’est plutôt logique, parce que « tulpa », c’est un mot sanskrit.

Et dans le bouddhisme tibétain, les moines ils ne parlent pas le sanskrit, ils parlent le tibétain. Ils traduisent tous les termes sanskrits en tibétain.

Et donc le sanskrit, c’est une langue morte. C’est une langue qui n’est plus du tout parlée par la population en Asie. Dans n’importe quel pays : que ce soit au Tibet, en Inde ou ailleurs.

C’est une langue qui est seulement maîtrisée par quelques érudits. En fait c’est l’équivalent du latin en Europe.

C’est une langue qui est utilisée uniquement dans un contexte liturgique, religieux… Et pas du tout dans la vie quotidienne.

Et on peut d’ailleurs voir ça, parce qu’en français on utilise d’autres termes sanskrits, comme chakra, yoga, nirvana ou tantra…

Et c’est que des mots qui sont liés à la spiritualité, parce qu’en fait c’est le seul contexte où on utilise encore cette langue.

Et donc le mot « tulpa », qu’on peut traduire par « forme-pensée » vient aussi de cette langue-là.

Du coup, quand on dit qu’utiliser le mot « tulpa » c’est voler une tradition des tibétains, bah… Pour moi c’est plutôt une preuve qu’on n’a pas étudié le sujet.

Parce que même quand on regarde au niveau des pratiques des tibétains… Alors c’est vrai qu’ils ont des pratiques qui consistent à faire de la visualisation et à travailler avec des entités intérieures.

Mais c’est pas du tout dans le même but que ce qu’on fait en tulpamancie. C’est plus des choses en rapport avec le fait d’éveiller sa nature de bouddha (ou des choses comme ça).

Et donc c’est vrai qu’il y a des techniques qui ressemblent, mais les finalités ne sont pas pareilles. Et en plus on n’utilise même pas les mêmes mots pour en parler.

Finalement, parler de tulpas c’est vraiment juste un emprunt linguistique, mais c’est pas du tout du copier-coller de techniques qui existent déjà.

C’est vraiment une très très libre inspiration. Et je ne sais pas, d’ailleurs, comment ça se fait qu’Alexandra David-Néel a entendu ce mot.

Il y a même des gens qui disent… Alors, c’est difficile à vérifier, mais il y a des gens qui pensent qu’elle a peut-être juste mal compris ce que disaient les moines.

Et elle a mélangé avec un autre mot, elle a mal compris un concept… Voilà.

Tout ça pour dire que non, il n’y a pas des moines tibétains qui sont dans leur temple et qui font de la tulpamancie comme on fait en Occident.

Ce n’est pas vrai, ça ne fonctionne pas comme ça le bouddhisme tibétain.

[A] J’ai peut-être même l’impression qu’on peut affirmer qu’il n’y a pas continuité, vraiment… De volonté de faire une continuité entre ce que faisaient les moines bouddhistes et ce qu’on fait en Occident.

[Aster] Non.

[A] Et j’ai parfois même l’impression que c’est juste à la base l’idée qu’on puisse créer volontairement une identité consciente dans sa tête, qui est la base de la tulpamancie.

La pratique part de cette idée uniquement. Et qui est vaguement liée avec ce livre qui a été fait par cette anthropologue. Mais y’a pas de continuité, quoi, finalement.

[Aster] Oui ! Moi personnellement j’ai une pratique qui s’inspire de certaines pratiques du bouddhiste tibétain, parce que je suis bouddhiste.

Mais c’est vraiment pas quelque chose qui me semble commun parmi les tulpamanciens.

D’une manière générale, j’ai vraiment l’impression de voir des choses qui n’ont rien à voir avec le bouddhisme.

Et j’ai très, très, très peu vu des gens qui appuyaient sur le fait que c’était d’origine bouddhiste et qui s’en servaient pour leur intérêt.

En général, les gens ils utilisent le mot, mais ils sont pas du tout dans le côté « Je m’approprie des trucs bouddhistes sans être bouddhiste ».

[A] J’ai l’impression cependant que sur Internet, les ressources qui présentent la tulpamancie appuient à fond là-dessus.

[Aster] Oui ! Bah en fait je trouve ça paradoxal. Parce que c’est vrai que les ressources elles appuient là-dessus, mais les gens…

J’en ai déjà vu le faire, mais pas beaucoup. Ça semble pas très commun, en tout cas côté francophone.

Mais à mon avis, je pense que tout simplement, c’est parce que les ressources, les gens qui les mettent à disposition ils se renseignent pas.

Et comme tout le monde répète partout « ça vient du bouddhisme tibétain », bah, l’information elle tourne, alors que… ça n’a pas vraiment de fondement.

[A] Cela dit, à titre personnel, je comprends un peu ce malaise-là qu’on peut avoir en tant qu’occidental. Personnellement moi je n’y connais rien au bouddhisme, tu vois.

Et le fait que toutes ces ressources-là existent et répètent tout le temps que c’est du bouddhisme tibétain, parfois ça me met un peu mal à l’aise aussi.

Du coup je vais proposer quelques termes qui peuvent être utilisés en substitut.

Je sais qu’il existe, par exemple… et qui vient de communautés comme Plural Wiki, des choses comme ça (sur des trucs de définitions), qui avait proposé « parogénique ».

Qui est un terme parapluie pour pour toutes les multiplicités qui sont liées à des pratiques volontaires, liées à une culture ou non.

Et du coup, « parogénique » ça donne « parogène » pour désigner les tulpas. C’est un terme qui peut être utilisé en substitut.

Et dans le sondage que j’avais fait, j’avais justement posé une question comme ça, sur les mots qui étaient utilisés par les gens.

Et le deuxième mot qui revenait le plus après « tulpa », c’était « headmate », qui est aussi un terme parapluie. Et assez apprécié, du coup, par les commus parogéniques.

Parce qu’il a ce côté non pathologisant.

[Aster] Je le vois beaucoup, « headmate ».

[A] Il va y voir aussi des choses comme « soul bond » ou « walk in », qui peuvent être utilisées pour désigner des formes spécifiques de parogènes.

[Aster] Et sinon, la traduction française du mot « tulpa », c’est « forme-pensée ». Tout simplement… Après, ça peut être un peu long, comme mot.

Pour moi c’est pas exactement interchangeable, parce que les deux mots n’ont pas la même connotation. C’est sûr que « tulpa », il y a une connotation orientaliste.

Et « forme-pensée » c’est plus lié à… c’est plus connoté ésotérisme occidental. Mais voilà, c’est la traduction la plus fidèle qu’il y a en français.

[A] Après ce qui est difficile aussi, c’est que j’ai l’impression que le mot « tulpa » reste… C’est important pour trouver des ressources, par exemple sur Google, ou pour trouver des communautés.

[Aster] Oui, bah maintenant ça fait plus de 10 ans que les gens l’utilisent, donc forcément, c’est ancré maintenant…

C’est sûr que si tu fais des recherches sur les formes-pensées, tu vas pas du tout tomber sur les mêmes contenus.

[A] Mais oui, c’est ça. Du coup c’est un débat compliqué.

[Aster] Personnellement (et je dis ça en tant que bouddhiste), ce que je trouverais dérangeant, ce serait que des gens utilisent le mot « tulpa » pour se faire, par exemple, de l’argent ou chercher le prestige, sur le dos d’autres cultures.

Mais un emprunt linguistique, c’est pas la même chose… Enfin il y a différents degrés, quoi, entre emprunter et s’approprier. Y’a quand même un curseur qui n’est pas au même endroit.

[A] Oui, par exemple, je pense que ce qu’il se passe avec le yoga, c’est assez incomparable en terme d’appropriation culturelle. Le milieu du yoga est connu pour être vraiment très très blanc.

Il y a des gens qui se font vraiment beaucoup d’argent sur ce côté orientaliste.

[Aster] Oui. Et puis c’est extrêmement édulcoré, parce que par exemple, en Occident, on résume le yoga quasiment qu’au yoga postural.

Alors que le yoga, ça se résume pas du tout à ça à l’origine. (Enfin, les yogas, parce qu’il y en a plein.) C’est vraiment un mode de vie qui englobe, bah vraiment, plein d’aspects de la vie.

C’est pas seulement faire des postures sur un tapis, quoi.

Pour moi ce qui est important, c’est d’être curieux et d’être respectueux quand on emprunte une culture.

Avoir bien conscience que ce qu’on fait, ce n’est pas la même chose que ce que font les personnes dans son pays d’origine. Et éviter de capitaliser dessus.

[A] Ouais quand il y a de l’argent en jeu, c’est là que ça devient vraiment grave. Il y a un gradient, comme tu disais.

[Aster] Oui. Surtout que les tibétains, bon, quand on s’intéresse un peu à leur pays ils ont des problèmes politiques assez importants.

Et en plus de ça, c’est vrai qu’ils se sont pas mal piller leur culture. Par exemple, t’as tout un business autour des bols tibétains. Autour de trucs comme ça.

Je sais même pas s’ils utilisent ça en vrai, je me suis pas renseignée.

Mais c’est sûr qu’il y a beaucoup de coach bien-être qui doivent capitaliser sur des trucs, en expliquant que c’est des techniques moines ancestrales… Et tout ça.

Ça pour le coup, je trouve ça beaucoup plus dérangeant.

[A] Est-ce qu’on peut passer au point suivant ? J’avais mis un truc général pour parler de nos observations sur la communauté tulpas.

Et son lien ambivalent avec la communauté TDI et multiple en général. Parce que c’est un peu le thème de la conférence.

La tulpamancie dans les communautés multiples, dans les espaces multiples. Je peux commencer avec juste quelques observations que j’ai faites.

[Aster] Oui vas-y, je t’en prie.

[A] Sur le fait, par exemple, que j’ai l’impression que les communautés tulpas, déjà, sont très très petites en francophonie.

À ma connaissance il y a juste le Discord Tulpa Fr qui est actif, et le reste c’est un peu mort.

Comme je disais, il y a beaucoup de systèmes qui viennent un peu par dépit, parce qu’ils et elles ne se retrouvent pas dans les ressources qui pourraient être très orientées TDI dans certains espaces multiples.

Et qui eux vont avoir une forme de multiplicité endogénique ou un peu quoigénique, c’est-à-dire qu’ils savent pas trop.

Du coup, les communautés tulpas sont plus accueillantes, j’ai l’impression, parfois, que certaines autres communautés qui seraient TDI ou médicalistes dans leur approche de la multiplicité.

[Aster] J’ai un constat similaire. J’ai fréquenté les deux communautés, moi, du coup. Donc le côté TDI, troubles dissociatifs, et le côté tulpamancie.

Et c’est vrai qu’il y a des ambiances différentes. Parce que du côté TDI il va y avoir, souvent les personnes qui vont les plus mal. Qui sont le plus en détresse.

Et forcément, quand on réunit plein de gens qui vont mal au même endroit, même avec toute la bonne volonté du monde, bah y’a forcément des conflits qui éclatent.

Parce que les gens ils sont à fleur de peau. Et ils vont facilement se sentir très blessés.

Et donc ça devient un terrain miné, parce que tout le monde a peur de dire un mot qui va déclencher quelqu’un et tout…

Et donc finalement je sens constamment une espèce de pression, tu vois. On a peur de dire un truc que quelqu’un va trouver déplacé et tout.

Même quand c’est des communautés bienveillantes, où les gens font tous ce qu’ils peuvent, bah voilà, c’est difficile d’éviter ce genre d’ambiance-là.

Alors côté tulpamanciens, même s’il y a des gens qui vont pas bien… comment dire…

Comme il n’y a pas cette espèce d’aura médicaliste qui plane, j’ai l’impression que les gens ont des attitudes différentes. C’est difficile à écrire, je trouve ça très abstrait.

Mais je me mets moins la pression, en fait.

[A] Je suis très d’accord avec toi, parce que étant trans moi-même et ayant beaucoup été dans des espaces trans militants, je ressens aussi beaucoup ce truc-là, de…

Il y a vraiment plein de gens qui vont mal ensemble, parce que les personnes trans en détresse elles vont se tourner vers des assos trans.

Et qu’en plus il y a un gros turn over, où tous les gens qui sont un peu avancés dans leur transition, et ont réglé certains soucis, ou les tensions se sont apaisées dans leur famille,

du coup elles sont plus dans la communauté trans. Et il y a comme ça, perpétuellement, un turn over de personnes qui vont mal. Je vois tout à fait de quel genre d’ambiance tu parles, du coup.

[A] Et bon, il faut le savoir, quoi. Mais je suis conscient.e que c’est aussi des espaces qui sont nécessaires pour certaines personnes.

Quand on est en crise, forcément, il y a des espaces qui peuvent aider.

[Aster] J’ai l’impression que ce genre d’endroit… Enfin moi, personnellement, la communauté TDI je l’ai perçue comme un soulagement dans un premier temps.

Puisque je me suis dit « Wahou, il y a plein de gens qui ont les mêmes difficultés, les mêmes souffrances que moi. Ça fait du bien d’écouter des gens qui se plaignent des mêmes symptômes ».

Mais au bout d’un moment, quand on a pris du temps, on a pu travailler sur soi et avancer, et qu’on commence à aller mieux, j’ai plutôt l’impression que ça tire vers le bas.

Parce que comme tu dis, il y a un turn over. Il y a tout le temps des gens qui vont mal… Et même quand les personnes commencent à aller mieux, elles sont remplacées par d’autres personnes qui vont mal.

Et donc c’est vrai qu’au bout d’un moment j’ai eu envie de me casser, parce que je sentais que ça me plombait le moral.

Et aussi, ce qu’il y a de très compliqué avec les traumatismes, c’est que les personnes qui souffrent, souvent elles mettent du temps avant d’essayer de guérir.

C’est pas une question de mauvaise volonté ou quoi, c’est juste que quand la personne elle a toujours vécu dans la souffrance, le fait d’aller mieux c’est perçu comme effrayant.

Parce qu’elle a pas l’habitude, tout simplement. Le cerveau il fait un rejet. Donc il faut du temps pour entreprendre un parcours de guérison.

Donc quand on est dans ces milieux-là, il y a toujours des personnes qui, dans un premier temps, vont vraiment être très très négatives.

(Et c’est pas du tout un reproche, hein, parce que je suis passée par là aussi.)

Mais forcément, pour les personnes qui vont mieux et qui aimeraient continuer sur cette pente-là, ça peut être un peu difficile à vivre aussi. Donc comme tu dis, y’a du turn over.

Et j’ai aussi l’impression… Mais ça, j’ai plus l’impression que c’est plus une sorte de psychophobie intériorisée…

Mais la société elle met beaucoup la pression sur les malades et les handicapés, pour qu’ils se fliquent eux-mêmes constamment.

En fait, quand on utilise une étiquette médicale, j’ai l’impression qu’il y a des gens qui ont constamment peur de ne pas souffrir assez pour « mériter » de porter cette étiquette.

Moi aussi, dans mon vécu, on a beaucoup minimisé mes émotions. Donc du coup, quand je dis « J’ai tel problème » ou « Je me soupçonne d’avoir tel trouble »,

je suis constamment en train de me dire « Ah bah non, si ça se trouve en fait j’invente tout, et puis je vais pas si mal que ça », etc, etc.

Alors que quand je vais du côté tulpamancien, comme on n’utilise pas ce genre d’étiquette, finalement on s’en fout.

On est pas là, constamment, en train de se dire « Est-ce que je mérite d’utiliser l’étiquette TDI ou pas ? ». Enfin le mot mérite est pas très bien choisi, parce que c’est une question de mérite…

Mais dans le sens « Est-ce que je corresponds objectivement aux critères ? ».

[A] Je comprends ce que tu veux dire. J’ai aussi l’impression que dans la commu TDI, on revient à ce truc de pas comprendre cette volonté de « devenir multiple » (entre guillemets).

Parce que c’est de ça dont il est question… Que les gens ne vont vraiment pas comprendre et faire un blocage. Et on parlait tout à l’heure de la définition de la tulpamancie.

Et en fait c’était vague, parce que si c’est une question d’aller créer volontairement des êtres conscients dans sa tête, d’accord…

Mais par exemple, moi, dans ma pratique quotidienne, j’ai l’impression que ça va au-delà de ça.

Parce que c’est dans mon quotidien que je vais répondre à des sollicitations de mes tulpas, ou alors moi-même aller solliciter mes tulpas sur certains trucs pour poser des questions, pour avoir leur avis.

Du coup est-ce que c’est encore de la tulpamancie ? Et du coup si le fait d’aller communiquer avec son inner self c’est de la tulpamancie, c’est aussi des choses (dans une certaine mesure) que font pas mal de gens multiples sans le savoir.

Finalement il y a un peu une construction d’un autre, alors qu’on faisait souvent la même chose, dans ces différentes communautés.

[Aster] Pour avoir vu des psys, et surtout pour m’être renseignée sur ce qu’on est censé faire pour soigner les troubles dissociatifs,

les techniques tulpamancie, ça ressemble vachement à ce qu’on est censé faire pour aider les gens atteints de troubles dissociatifs.

Renforcer la communication interne… Souvent, il va y avoir la création d’un monde intérieur avec des ressources.

Et en fait, je me dis qu’l y a vraiment beaucoup de gens, à mon avis (qui souffrent de dissociation) qui trouvent leur compte dans la tulpamancie, sans même savoir qu’ils ont des troubles dissociatifs.

D’autant plus qu’en France, il y a vraiment très peu de psys qui sont formés pour accompagner ça.

Donc finalement, pour moi il n’y a vraiment pas de frontière nette entre les deux communautés.

C’est juste plein de personnes qui ont des problématiques personnelles (pathologiques ou non pathologiques) et qui essayent de trouver des outils adaptés à leurs besoins.

Et voilà. C’est juste que nous… Les gens, après, mettent des étiquettes et essayent de ranger tout dans ces cases. Mais finalement, il y a un peu tout qui se mélange.

[A] Je mettrais un contre-point à ça, parce que je pense pas non plus que ce soit une pratique anodine, ou qu’il faudrait que tout le monde se mette à la tulpamancie et le monde irait mieux.

C’est aussi une autre idée reçue, qu’on n’a pas abordée mais qu’on peut aborder maintenant, c’est la question « est-ce que c’est dangereux ? ».

Parce que la tulpamancie, c’est beaucoup associé à des histoires horrifiques sur Internet.

[Aster] Ouais c’est vrai, quand on tape le mot, on tombe sur 90 % de creepypasta…

[A] Et même au-delà de la fiction, c’est une question légitime aussi qu’on peut avoir.

Si j’ai un trouble dissociatif, est-ce que si je me mets à créer des tulpas, ça va pas être la fête du slip et je vais dissocier H24 ? Je comprends que ce soit vraiment une peur qu’on puisse avoir.

Dans le sondage que j’avais fait, j’avais posé justement la question, pour les personnes qui étaient multiples avant avec des troubles dissociatifs, et les gens qui n’avaient pas de troubles dissociatifs,

s’ils associaient la tulpamancie à des effets secondaires négatifs. Et à mon grand étonnement, il n’y a vraiment rien qui est revenu du côté des gens qui avaient des troubles dissociatifs.

Et il y a quelques retours négatifs pour les gens qui n’avaient pas de troubles dissociatifs.

Notamment au niveau de la concentration, où parfois, le partage de l’espace mental fait qu’on est plus distrait.

Mais c’est vraiment des petites choses comme ça. C’est pas du tout extrêmement dangereux, finalement.

[Aster] C’est vrai que de toute manière, si… La plupart des tulpamanciens, j’ai cru comprendre qu’ils faisaient des choses comme de la méditation.

Et si faire des trucs comme ça, ça suffisait pour complètement détruire le cerveau de quelqu’un, on serait quand même bien dans la mouise…

Mais après, c’est sûr que comme ça exige une certaine introspection, si jamais il y avait des problèmes latents et que la personne n’en avait pas conscience…

Elle est susceptible de s’en rendre compte via la tulpamancie. Et du coup, peut-être qu’elle peut avoir l’impression que c’est à cause de la tulpamancie… Alors que la tulpamancie ça a fait juste remonter le truc à la surface.

[A] Il y a un parallèle qui me vient avec une autre communauté, qu’on associe beaucoup à des choses comme ça, de dangers pour la santé psys…

Je pense aux communautés shifting. Le shifting, c’est transporter son esprit dans un autre monde.

Et pour le coup c’est aussi beaucoup associé à ça. Mais j’ai l’impression de la communauté shifting est « plus dangereuse » (entre guillemets) que la communauté tulpamancie.

Plutôt à cause de ses membres et de l’ambiance de ces communautés. Où comme tu dis, il va y avoir des gens qui sont en détresse qui vont arriver.

Qui vont se dire qu’ils sont en détresse, parce que leur réalité est horrible. Du coup c’est ça qui va les attirer dans le fait de vouloir aller dans une autre réalité.

Et du coup vont se mettre une pression monstre, pour se dire que c’est la solution à tous leurs problèmes dans la vraie vie, quoi.

Dans ce cas-là, c’est un peu l’oeuf ou la poule. C’est pas la pratique en elle-même qui est dangereuse en soi, c’est que c’est un outil qui est mal utilisé.

Je pense que les tulpas ça peut aussi être un repli sur soi-même pour certaines personnes qui seraient vraiment très en détresse.

Dans ce cas-là, je pense que c’est aussi… C’est de voir pourquoi les gens veulent faire ce qu’ils veulent faire, en fait.

Si c’est une fuite en avant, ou si c’est un truc de vouloir communiquer avec des headmates qu’on aurait peut-être déjà d’avant… Ou alors est-ce que c’est de la curiosité…

C’est pour ça que c’est pas anodin, je pense aussi. Je comprends que ça puisse être utilisé comme une sorte de fuite en avant, et que ça puisse devenir une espèce de truc où on se dit :

« Il faut que je réussise à faire ça, sinon ma vie n’a plus aucun sens ». Je pense que ça peut exister aussi, et il faut pas faire comme si ça n’existait pas.

[Aster] Je suis entièrement d’accord. C’est pas, pour moi, un problème qui est propre à la tulpamancie. C’est une question de…

Quand des personnes qui vont mal elles trouvent des outils pour essayer d’aller mieux, et ben elles peuvent mal utiliser ces outils (quels qu’ils soient). Et en abuser, et partir dans des dérives.

Alors, j’ai jamais vu ça dans la communauté francophone, mais je sais que ça existe ou ça a existé dans la communauté anglophone.

Mais dans toutes les choses liées à la multiplicité, tulpamancie ou TDI, y’a des gens qui ont des délires, comme quoi par exemple ils peuvent voler les headmates des autres.

Enfin tu sais, les gens ils se font des attaques psychiques comme ça… Et quand tu mets des personnes qui sont en détresse psychologiquement, et que tu leurs fais subir des trucs comme ça,

ça peut très rapidement partir en cacahuètes. Et ouais, c’est un problème de responsabilité individuelle, de santé mentale en général, et pas de tulpamancie en particulier.

[A] C’est individuel, mais c’est aussi collectif à mon sens, parce que c’est aussi des discours qu’on peut avoir dans la communauté et des espèces de garde-fous qu’on se donne collectivement.

Quand une personne arrive dans la communauté en disant « Je subis vraiment des violences extrêmes dans la vie de tous les jours. Il faut que je réussisse à faire un tulpa pour m’aider, sinon ce sera pas possible »,

Je pense que c’est aussi collectivement à nous de lui dire « Est-ce que t’as vraiment besoin d’un tulpa, là tout de suite maintenant ? ».

[Aster] Oui c’est vrai qu’il faut de la responsabilité collective. Et plusieurs fois, dans la communauté francophone, j’ai vu des gens qui avaient l’air de vraiment pas bien aller.

Qui avaient des idées noires et tout… Et à chaque fois je voyais des gens leur dire « C’est pas normal de ressentir ça, il faut que tu consultes, il faut que tu cherches de l’aide » et tout.

Et ça me rassurait de voir ça, en fait, parce qu’il faut qu’il y ait des réactions comme ça, quand il y a des personnes qui vont vraiment mal.

[A] C’est là justement où je trouve que les communautés shifting sont dangereuses de ce point de vue-là, par exemple. De ce que j’en ai vu en tout cas, en francophonie.

[Aster] Moi pour le coup je connais pas du tout. Enfin, je connais le sujet, mais je suis pas dans des communautés, donc je vais pas m’exprimer sur la question.

[A] Après j’ai dit ça, mais il y avait aussi des gros problèmes (je trouvais) en terme de relais de trucs pseudos-scientifiques. Et le fait qu’on puisse pas avoir son avis…

Par exemple, il y avait des endroits où on disait « Le shifting c’est aller dans une autre dimension. C’est pas un truc psychologique. Et si vous dites que c’est un truc psychologique, bah on vous ban ».

[Aster] Ah oui ça c’est très problématique, ce genre de… J’ai aussi vu ça côté TDI, où… Après c’est un peu plus délicat, parce que comme ça touche à des traumatismes,

Parfois disons que la personne elle a une vision qui est complètement contradictoire avec la science… mais en même temps, elle a besoin de penser comme ça, parce que c’est son seul moyen d’être en paix dans sa tête.

Mais en attendant, y’a des gens qui pensent comme ça, et y’a des gens qui tentent d’éduquer les autres… enfin, de forcer les autres à penser comme eux.

Et ça peut partir dans des dérives sectaires, des trucs dangereux.

[A] C’est un peu vrai pour toutes les communautés, finalement.

[Aster] Ouais, dès que ça touche à la psychologie de près ou de loin…

[A] Je pense qu’on a fait le tour du sujet. Je sais pas si tu voudras ajouter peut-être quelque chose, Aster ?

[Aster] Euh non non, je pense aussi qu’on a fait le tour.

[A] C’est cool ! J’essayerai d’être là pour répondre à des questions, s’il y en a, à la fin de la conférence. Sinon je pense qu’on est bons. Encore merci Aster, du coup !

[Aster] Merci A de m’avoir proposé de faire cette conférence !

[A] Pas de souci.

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