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[PPWC23] Parentalité par Emmanuelle System, Jle Lilou et Psychopompes

Description de la session :

L’idée est de donner le point de vue de différents systèmes sur la façon d’être parent et multiple, en étant honnêtes sur les aspect bénéfiques de la multiplicité mais aussi sur nos difficultés, nos faiblesses etc. L’idée principale est de montrer qu’il est tout à fait possible d’être un bon parent même avec un trouble psy etc., de casser les clichés sanistes à ce sujet. Il s’agit aussi de donner des pistes de réflexions à de futurs parents multiples qui voudraient anticiper certaines difficultés.

Avertissements de contenu :

Deuil périnatal (mention)

Transcription écrite :

[Kara] Bonsoir à tous·tes et merci d’avoir accepté mon invitation pour participer à cette discussion autour de la parentalité. Je pense que pour commencer, on peut peut-être tous·tes se présenter et juste dire votre prénom ou le nom de votre système. En tout cas, comment vous voulez qu’on vous appelle et comment vous voulez qu’on vous genre. Et si vous voulez dire une petite chose de plus à propos de vous, n’hésitez pas.

[Emmanuelle] Moi, je m’appelle Emmanuelle et depuis peu, on a décidé que le système allait s’appeler Système Emmanuelle, c’est le nom du corps. Le corps féminin, donc on s’est habitué·es, enfin on s’en fout, en fait.
[Kara] D’accord.
[Emmanuelle] Sinon c’est un peu compliqué. [rires] Donc en fait, ouais, le corps est féminin. Moi personnellement, je me sens pas féminin, mais ça me dérange pas qu’on me dise elle. C’est plus simple, en mode masking.
[Kara] OK ! [rires]
[Jle Lilou] Moi, c’est Jle Lilou. Le nom du corps, c’est un peu compliqué, parce qu’il est trigger, donc voila. [rires] J’ai 34 ans, j’ai deux enfants et je suis très contente d’être avec vous ce soir ! Et vous pouvez me genrer comme vous voulez, le corps féminin, mais bon, c’est vrai qu’on est essentiellement des filles, donc si vous dites elle, c’est un peu plus logique. Mais sinon il n’y a pas de…

[Psychopompes] Ok ! Enchanté. Nous, le nom qu’on se donne sur Internet pour le nom du système c’est Psychopompes. Officiellement, on a 35 ans, donc à peu près le même âge que Jle Lilou et on a eu deux enfants, mais c’est une histoire compliquée. On a plus qu’une enfant. Donc y aura sans doute des triggers warning pendant la vidéo. Alors je ne vais pas donner de prénom, particulièrement parce que je pense que ça va être le bordel ce soir. Et au niveau du genre, des pronoms, c’est pareil, on s’en fout, parce que ça peut changer et que la plupart d’entre nous, on se considère comme plutôt non binaires. Certaines sont des femmes et d’autres sont des hommes. Et globalement on masque comme si on était des hommes, parce que le corps est masculin. Voilà, vous pouvez dire il, elle, iel, n’importe quoi, ça choquera personne. Voilà.
[Kara] OK, merci beaucoup. Super. Et du coup, pour les personnes qui vont écouter, moi c’est Kara et je n’ai pas d’enfant, je suis juste là pour poser les questions. [rires]
[Emmanuelle] Merci d’être là, Kara.
[Kara] Du coup, maintenant, je veux bien que vous vous présentiez un peu plus en profondeur, plutôt par rapport à votre rapport à la multiplicité et à votre parentalité. Et parler un peu brièvement de vos enfants, en tout cas avec tout ce qui vous met à l’aise.
[Emmanuelle] D’accord. Moi j’ai oublié de dire que j’ai 50 ans et parent de deux enfants qui maintenant ont 30 ans et je suis notamment mamie, mamie et papi, d’un petit bout qui à 18 mois. Alors mise à part le côté qu’on est multiple, il y a une chose qui est importante pour nous de dire, c’est qu’on a un trouble autistique. Et en fait ça, chez nous, ça a eu plus d’impact que le fait d’être multiple. Parce que sur le coup de la multiplicité, on y voit plutôt des avantages. Et à côté de ça, on a un côté borderline, voilà, assez prononcé. Donc c’est à prendre en compte aussi dans notre rôle de parent. Et nous, nous sommes l’enfant d’une personne multiple.
[Jle Lilou] Alors donc, moi c’est Jle Lilou. Alors de base, je ne pensais pas du tout avoir des enfants. J’ai eu une enfance moi même extrêmement compliquée, que je ne veux pas décrire à cause des triggers. Mais j’ai rencontré mon conjoint très très jeune, vers 18 ans. Où lui-même n’était pas forcément dans une situation magnifique non plus et du coup, en fait, on s’est pris la main et en fait, on a grandi ensemble, à ce moment-là. Donc c’est surtout grâce à sa présence que j’ai eu des enfants. Et à l’époque, au moment de sa rencontre, on savait qu’on était multiple. Pendant la rencontre, on lui a même dit qu’on était multiple, donc il était au courant. Mais après, dès qu’on a eu notre premier enfant, en fait, on a eu une sorte de… Je pense que le système, il a eu super peur de la parentalité, puisque ce n’était pas prévu. Et il y a eu une sorte d’hôte qui est né·e en mode déni total, en fait. Je ne sais pas si c’était pour faire un masking de l’espace, mais ça a bien marché pendant plusieurs années, où on a pu tous venir un peu par ci, par là. Mais voilà, c’est déjà pas mal. J’étais sur un monologue de 30 minutes. [rires] On va déjà un peu parler tous.
[Psychopompes] Merci beaucoup à toutes les je-ne-sais-pas-combien. [rires] Déjà, je précise quand même, comme Emmanuelle, qu’on a un trouble du spectre autistique qui a été diagnostiqué avant le TDI, mais on a été diagnostiqué TDI plus tard. Et je pense que c’est plus handicapant pour nous que le TDI. C’est ce qui est le plus difficile, on va dire en termes de handicap. Et voilà, ensuite, donc, on a eu notre premier enfant en 2017 et il est né préma, donc il n’a pas survécu, voilà. Et donc ça a fait un très gros traumatisme, évidemment. Tardif. Évidemment, on a eu beaucoup plus quand on était plus jeune. Et à ce moment-là, on savait pas qu’on était multiple, en fait. Et après ça, on a continué à avancer. On a eu un autre enfant, donc notre fille, qui est toujours avec nous, qui a 4 ans. Et on s’est rendu compte de la multiplicité, je crois, elle devait avoir 2 ou 3 ans. Par hasard, parce qu’on avait découvert entre-temps que ça existait en se disant qu’on n’était pas du tout concerné. Et on a eu un switch un peu plus marqué que d’habitude vers une alter qu’a pas le même genre que le corps, qui est féminine et qui a failli nous faire transitionner en deux jours, alors que ce n’était pas du tout dans les plans de l’hôte à l’époque. Et voilà, c’est un premier indice, puis après y a eu d’autres trucs. Et du coup, on a géré l’essentiel de notre vie sans savoir qu’on était plusieurs, voilà. Et sur la parentalité, on a des alters qui voulaient des enfants et d’autres qui n’en voulaient pas. Et c’est ceux qui en voulaient qui ont gagné au moment de prendre la décision. A ce moment-là, on savait pas qu’on était multiple, mais bref, voilà.
[Kara] Et pour vous, Emmanuelle, vous étiez déjà conscients de votre multiplicité avant d’avoir des enfants ou pas ?

[Emmanuelle] Alors, il y a eu une conscience entre 8 et 12 ans, de ce qu’on se rappelle. A 8 ans, c’était clair, il y avait conscience de la multiplicité. Et à l’adolescence, il y a eu amnésie de ça. Donc nous, on a été parents. Moi, personnellement, je n’étais pas là quand le corps a été enceinte, parce que je suis arrivé·e pendant la grossesse. Mais le corps a été parent à 19 ans et donc dans une période où, scolarisé·e et dans une période où non, il n’y avait pas du tout conscience qu’on était multiple. Parce que là, la reprise de conscience n’a que 2 ans. Donc en fait, pendant toute la période où- Bon, maintenant les enfants ont 30 ans, donc on vit plus avec eux. Mais pendant toute cette période où on a été avec les enfants, y a moi et certains d’entre nous, maintenant on le sait avec le recul, on a eu vraiment une fonction pour aider la mère, parce que c’est nous, la mère des enfants, c’est elle qui est la plus impactée par le trouble du spectre autistique et en fait ça s’est fait tout seul. Il s’est créé des alters autour de tout ça, qu’ont permis une vie sociale, une vie professionnelle, l’école, gérer un tas de choses que la mère des enfants, elle n’a pas là… C’est vraiment rude pour elle, voire même elle est pas capable de le faire. Et donc voilà, on a été parents. Du coup, moi, dans le système, j’ai un peu un rôle de grand frère. J’ai été le premier- Bon, il y a eu d’autres alters avant, mais j’ai été le premier concerné par la grossesse et d’ailleurs j’ai toujours- là d’ailleurs en ce moment, c’est moi qui fait hôte et en fait, j’interviens souvent dès qu’il y a un problème avec les enfants. Même l’adulte, c’est moi qui réagit. Puis après on est plusieurs. Après, il y a d’autres alters qui sont autour de nous, avec qui je collabore parce que moi, j’ai pas trop la fonction- Je vais plutôt être dans le dialogue courtois s’il faut intervenir par rapport à l’extérieur, par rapport aux enfants. Mais après y en a d’autres qui peuvent mettre plus les holà. Voilà, chacun ses qualités, ses défauts. [rires] Mais en fait il s’est créé, oui, je trouve une chouette équipe, mais sur le coup, ça s’est fait tout seul, de façon naturelle, on n’en avait pas conscience.
[Kara] Ok ! Un espèce d’organisation comme ça, consciente ou inconsciente, pour gérer la vie de famille et les enfants ?
[Emmanuelle] Oui, oui, là maintenant, avec le recul qu’on a là dessus, oui, oui, le côté professionnel, financier, il y avait le côté scolaire. On a la chance que les littles se sont régalé·es, à se rouler dans la boue avec les gosses. [rires] On s’aperçoit que de façon naturelle, les choses se sont organisées toutes seules, mais quand même orientées autour des symptômes autistiques. Autant on en est tous arrivés pour permettre à l’hôte d’être maman, puisqu’elle a été maman toute seule et elle les a élevé·es seule. Donc il y a beaucoup de choses qui se sont mises en place pour que les choses soient possibles. Parce que par contre, la mère des enfants, elle, dans son monde, c’était une évidence qu’elle serait mère. Elle, elle l’a su à 12 ans. A 12 ans, elle savait qu’elle serait maman et qu’elle est faite pour être maman. Donc du coup, oui, beaucoup de choses qui se sont organisées autour de- Alors, la mère des enfants ressent les émotions à vif. Donc elle, dans son rôle de mère, elle est pleine d’amour et elle est à vif de tout. Et je pense que c’est son cœur qui nous a appelé·es. Je ne sais pas comment l’expliquer. Voilà. [rires]
[Kara] Ca me parle, je ne saurais pas- Je vois en quoi c’est pas tangible.
[Emmanuelle] Certains d’entre nous, oui, on est là pour des raisons d’amour. On est là pour des raisons d’amour, c’est pas des traumatismes qui nous ont fait venir, certains d’entre nous. Ça a été tout un réseau d’amour, pour que ce soit possible. Et pour que la mère puisse vivre dans sa vie de mère et sa vie en société. Parce que quand t’es mère, t’es obligé·e de sortir de chez toi.
[Jle Lilou] Du coup, tu as des alters qui sont né·es du fait d’être parent ?
[Emmanuelle] Oui oui, certains sont arrivés- et là d’ailleurs, depuis la naissance du petit-fils, on s’est tous sentis perdus. Parce qu’à ce moment, la mère des enfants, elle est pas là, donc voilà, nous on gère. Et du coup il y a une alter qui est apparue toute seule, comme ça et c’est une grand-mère. Et du coup, quand on voit le petit, c’est elle qui- parce qu’on était un peu dans le caca, c’est le cas de le dire. Parce que là, ceux qui étaient au front et tout ça, quand le petit il est né, on ne savait même pas changer une couche. Parce que nous, on a géré plein de trucs, mais la mère, elle, elle était dans son monde, dans la maison, elle s’occupait des bébés, tout ça. Mais quand le petit-fils est né, comme par hasard, oui, on voit apparaître une nouvelle alter. Et comme par hasard, elle, dans son programme, elle sait faire. C’est elle qui s’occupait du petit, parce que tant qu’il était petit, il marchait pas, nous, on était un peu bêtes, on est un peu désemparé·es. Donc en fait, oui, on s’aperçoit que les choses des fois, elles se font toutes seules. Voilà.
[Jle Lilou] Nous, je n’ai pas l’impression qu’on a des alters qui sont né·es pour une fonction en particulier. Parce que nous en fait, depuis qu’on est né·es, en fait, on était en mode survie. On a arrêté le mode survie que quand on a rencontré le mari, donc vers 18 ans. Et c’est vrai qu’à partir de ce moment-là, il n’y a plus vraiment, à part la maman, il y a plus de nouveaux alters, en fait. Alors de temps en temps, on a des anciens qui reviennent, mais des nouveaux non, pas spécialement. Et alors du coup, donc celle qui était parent, qui est du coup née pour le devenir, était dans le déni total de la multiplicité jusqu’à ce que les enfants aient, je dirai, une dizaine d’années, plus ou moins. Je pense que quand ils commencent à être vraiment grands et vraiment pouvoir se gérer un peu plus seuls, on va dire. Et elle a commencé à beaucoup plus penser à elle-même, à vouloir fouiller son passé, parce qu’elle était consciente qu’elle ne rappelait plus de rien. Voilà. Et en fouillant, fouillant, fouillant, forcément, elle a débloqué beaucoup de choses. En plus, elle a fait la bêtise de reprendre contact avec certaines personnes. Et donc quand elle a découvert la multiplicité, puisque chez nous, du coup, on va dire que la prise de conscience n’est pas pour le système entier. On a l’impression que certains vivent leur propre prise de conscience. Je ne sais pas si vous c’est pareil aussi ? 

[Emmanuelle] Oui, oui.
[Jle Lilou] Oui ? Oui, voilà. Donc quand elle a eu sa prise de conscience, elle est juste partie et à ce moment-là, on s’est tous retrouvés parents sans elle. Ben, là c’était un peu plus compliqué. Donc voilà. Après, je ne sais pas si je dois partir sur ce sujet là ou si vous voulez rebondir sur quelque chose.
[Emmanuelle] C’est un sujet qui me parle [rires] Donc ça m’intéresse.
[Kara] De quoi ? La prise de conscience en décalé pour tout le monde ? Ou le fait que des alters partent en dormance ?
[Emmanuelle] De la prise de conscience de- Alors, là je vous ai parlé de la mère des enfants, mais en fait c’est la mère adoptive des enfants. Le nous, la mère biologique, c’est un switch. Et en fait la prise de conscience est récente. Il y a 2 ans, où chaque alter a réalisé qu’elle avait des enfants, qu’elle avait fait des enfants. Donc, et ça, c’est encore- ça fait 2 ans et petit à petit, là, c’est aussi du dialogue. Parce qu’elle réalise qu’elle est mère, mais qu’une des nôtres, puis elle rêvait d’avoir des enfants, mais pas comme ça, les a adoptés.
[Jle Lilou] C’est marrant, c’est vraiment similaire avec nous, ça tu vois. Parce que nous, c’était Lilia qui était tombée enceinte et après elle a disparu. Et c’est donc Jessa qui est devenue l’hôte dans le déni total, la fameuse dont j’ai parlé avant. Et Lilia est revenue, mais genre il y a plusieurs mois, un an, plusieurs mois, je ne sais pas, mais quand elle est revenue, il y a eu comme un bond dans le temps. Elle était, tu sais, des douleurs au niveau du bas ventre, etc. Comme quand elle était enceinte, en fait. Elle a littéralement bondi dans le temps pour venir maintenant et dire je vais accoucher. [rires] Du coup bah non, non, les enfants, ils sont grands, tu vois, ils ont plus de 10 ans, 12 ans, etc. Ça lui a fait un choc, non, j’en rigole, mais c’est pas rigolo, ça lui a fait un choc terrible.

[Emmanuelle] Je comprends tout à fait, c’est tout à fait ça. Il y a des prises de conscience, des fois, qui sont pas évidentes.
[Jle Lilou] Et Psychopompes, du coup, t’as un point de vue à ce niveau là ?

[Psychopompes] Oui, il y a un moment, on a pris conscience d’une alter. La première alter dont on a pris conscience, en dehors de l’hôte. On a pris conscience qu’elle était là pour le côté un peu parentalité. C’est une sorte de maman, en fait. Très émotionnelle, très très affectueuse. Et sachant qu’on a certains alters qui ressentent plus aucune émotion, je sais pas si ça vous fait ça à vous. On a des alters qui sont vides, quoi, qui sont potentiellement borderline pour certains d’ailleurs. En tout cas, c’est des pistes qu’on a avec le psy. Et bref, donc elle est en fait et elle est presque là, je ne sais pas si c’est volontaire ou pas, mais en tout cas, elle sert à ressentir des émotions, parce que certains sont complètement insensibles et c’est assez difficile à vivre. Assez désagréable. Au début de la prise de conscience, comme on la trouvait particulièrement adaptée à la parentalité, on avait tendance à essayer de la forcer à venir tout le temps. Je ne sais pas si vous voyez ce que je veux dire. On avait trouvé pas mal de ces triggers et on essayait vraiment de la- et ça a foutu un peu la merde, parce qu’au bout d’un moment, ça a plus marché. Elle en a eu marre. Et maintenant on laisse les choses se faire un peu toute seule. Mais en fait, quand je dis qu’on n’a pas une organisation constante, c’est peut-être pas tout à fait vrai, parce que, en y repensant… Alors, ça se fait tout seul, on choisit pas trop qui vient, etc, mais grâce à la prise de conscience, on a réglé certaines problématiques. Par exemple, on a un alter qui est, c’est un persécuteur qui est assez difficile à vivre, on va dire, qui est pas pas adapté à la parentalité, mais qui venait quand même des fois, qui était quand même là parfois, à des moments où il fallait interagir avec la gamine. Et ça se passait pas forcément bien, il était désagréable. Et on a discuté avec lui, on a amélioré les choses. C’est pas vraiment l’organisation au sens qui vient à quel moment, ça on ne contrôle pas, mais c’est plutôt comment se comporter. Je ne sais pas si vous voyez ce que je veux dire. Donc on a réglé ça. Et sinon, je sais plus pourquoi, je crois que c’est venu dans la conversation, mais vous parliez de certains alters vraiment né·es pour la parentalité, un truc comme ça. Et nous, elle, on pense qu’elle est apparue au moment de la naissance de notre fille. Parce qu’en fait, souvent, quand elle est là, on sent une espèce d’émotion, d’énergie, qui est exactement… c’est comme si elle était restée bloquée dans l’émotion de la naissance de notre fille, en fait. Et on pense qu’elle est née de- c’est une sorte de choc émotionnel, en fait, pour nous. On pense qu’elle est née de ce choc émotionnel là. Sachant que l’essentiel de nos alters sont plutôt nés de chocs, plutôt très négatifs. Mais elle, non.
[Kara] Et du coup, est-ce que vos enfants, ils sont au courant de votre multiplicité ? Et si oui, comment ça s’est passé et comment ça se passe aujourd’hui ?

[Emmanuelle] Alors oui, les enfants sont au courant, parce que quand on a eu le diagnostic, il y a 2 ans, on leur en a parlé. Ils étaient déjà au courant pour nos autres diagnostics d’avant. Borderline et le diagnostic autistique, il est depuis 2 ans, là. Il est récent celui-là, il est arrivé derrière. Donc ça s’est super bien passé, parce qu’il y a beaucoup d’amour dans notre relation, même si des fois on se comprend pas toujours. Donc ils ne nous ont pas spécialement rejeté·es, tout ça. Par contre, ils sont pas encore prêts à nous rencontrer. Donc là, nous on aimerait bien pouvoir se présenter. Moi, j’adorerais pouvoir me présenter à eux et d’arrêter de faire du masking pour faire semblant d’être leur mère. Mais pour l’instant, ils sont pas prêts. Donc pour l’instant, on est toujours en mode masking avec eux.
[Kara] OK. Et ça déborde un peu sur la question d’après, mais je le pose maintenant. Et du coup, est ce que t’as parlé de- Je ne sais pas, j’ai présumé en fait. Je ne sais pas si vous êtes encore en contact avec votre mère biologique et du coup, est-ce que vous aviez parlé de sa multiplicité.
[Emmanuelle] Alors notre mère, la mère biologique, a 83 ans et en fait on s’était rendu compte de sa multiplicité en reprenant conscience de la nôtre. Et en fait, il s’est produit qu’on a eu confirmation d’un tas de choses parce qu’on a dû vider son logement il y a pas longtemps et que, du coup, comme elle est à la maison de retraite, on a échangé avec la psychologue de la maison de retraite, qu’a demandé à nous parler, parce qu’il y a des choses chez la mère où elle ne comprenait pas. Et en fait, du coup, le fait de parler de notre doute certain de la multiplicité de notre mère, du coup, la psychologue, elle a mieux compris. Et il s’est trouvé que je suis- enfin le corps est trigger pour la mère et du coup la maison de retraite- La sœur aînée, qui ne connaît pas tous les alters de la mère, a vu un switch et du coup, s’est aperçu vraiment que notre mère était multiple et a vu apparaître un alter qu’elle connaissait pas, une partie de sa mère qu’elle ne connaissait pas. Donc je pense qu’elle en prendra jamais conscience, que là c’est un peu tard. Et d’ailleurs nous, on aurait aimé le savoir. Si elle en avait eu conscience, mais on ne sait même pas si elle en avait pas eu conscience et qu’elle l’a pas camouflé. En tout cas, on l’a jamais su. Mais on aurait aimé le savoir, parce que maintenant qu’on le sait, sur le tard, et bien il y a plein de choses qui s’expliquent. Donc limite, on dit ça maintenant parce qu’on a du recul là dessus. Je ne sais pas si on aurait été contents de le savoir à 20 ans, mais je pense que oui. Je vois, nous, nos enfants, surtout un, d’ailleurs il en parle à ses copains, de sa mère qui est multiple et il leur raconte des anecdotes. On a appris ça il n’y a pas longtemps, parce que lui, du coup, il se refait un peu le feedback de notre vie. Et que là maintenant, il sait, y a plein de choses qu’il avait trouvé bizarres, que maintenant il en rigole bien. Quand tu vois twitter des littles et que ta mère, elle a 30 ans ou 40 ans, il y a des trucs… Un jour, on avait tagué- Un week-end, il y a une little qui avait fronté et on avait fait une œuvre d’art, en paillettes collés sur le mur, trois mètres par trois, dans la nuit. Et le gamin, il nous réveille le dimanche, il dit “Maman, qu’est-ce qui s’est passé ?” Nous, y avait des paillettes de partout, dans les cheveux et tout. Et là, on se réveille “Ben quoi?” Et là, on arrive dans la cuisine et oh là le carnage… [rires] Mais à l’époque, on savait pas. Et en fait, on pouvait pas remettre en question que c’était nous. C’était pas quelqu’un qui était rentré dans la nuit, voler le stock de paillettes qui était dans le garage. Et donc du coup, maintenant les fils, ils se rappellent des trucs et rigolent. Tous les trucs, c’est rigolo quand même. [rires] Par exemple, le fils, il parle d’un des nôtres, à ses copains. C’est pas moi qui fais ça, mais oui, il y en a un parmi nous, les gosses, il fallait pas y toucher, que ce soit à l’école ou je ne sais pas quoi. Donc c’est évident que si lui se manifestait, ça rigolait pas et les gamins étaient protégés. Donc autant des fois ça pouvait ressembler à du sketch, mais au final, c’était efficace. Maintenant, on en rit, on en rigole.
[Kara] Mais oui. 30 ans. Et vous les autres ?
[Psychopompes] Donc ma fille elle a 4 ans. Donc de toute façon c’est trop tôt pour lui parler de ça, pour une raison simple, c’est qu’à 4 ans, tu sais pas garder un secret. Donc même, on est diagnostiqué·es autiste depuis un petit moment, aussi. Et même pour ça, on lui a pas dit encore, mais c’est prévu qu’on lui dise d’abord pour l’autisme, quand elle sera en âge de comprendre, sans doute parce qu’en plus elle l’est aussi et que ça sera important dans son développement à un moment qu’elle le sache. Et pour elle et pour nous. Et pour la multiplicité, je pense qu’on lui dira beaucoup plus tard et puis c’est plus complexe à appréhender surtout, qu’un handicap, on va dire comme- enfin un handicap, une particularité comme l’autisme. La multiplicité c’est quelque chose qui est moins facile à appréhender, je pense, surtout quand c’est ton parent. Je dis qu’en fait, il est composé de plusieurs personnes, plusieurs alters, plusieurs parties, ça dépend quel vocabulaire on utilise et on doit encore réfléchir pas mal à la question, déjà. Et avancer aussi dans notre conscientisation, dans notre cartographie du système qui n’est pas très avancée pour l’instant, pour pouvoir lui en parler sereinement. Toute façon elle est trop jeune, c’est clairement pas du tout le moment. Et l’idée, c’est de ne pas la perturber.
[Jle Lilou] Alors oui, ils sont pas au courant. Enfin, pas au courant… Officiellement, je leur ai pas dit “On est multiple”. Mais il y a beaucoup de- Enfin, le jour où ils vont en entendre parler, ils vont tout de suite mettre le doigt dessus, parce qu’il y a beaucoup de choses que même mon mari, des fois il dit “Mais arrête d’agir comme ça, s’il te plaît, c’est trop flagrant.” Un exemple que je donne souvent, par exemple, on a Jessica qui aime trop les TW nourriture, donc les bonbons, donc les M&M’s, les Chupa Chups et je sais plus quoi. Et donc un jour, mon mari en avait acheté à ma fille pour l’école et elle les a pas mangé. Elle les a gardés pour la maison, évidemment et donc elle était à table en train de manger, donc forcément, Jessica ça l’a trigger direct. Elle va la voir, elle dit avec sa petite voix “Ah donne-moi-en, s’il te plaît.” Mais c’était tellement flagrant que c’était une petite que voilà. Et donc, t’as mon mari qui dit “Hé arrête ça tout de suite.” Et il y a ma fille qui dit “Mais moi j’aime bien quand maman, elle est comme ça.” Ça, c’est un truc qui m’avait grave touchée, en fait. Parce que du coup, ils voient le changement de- pas d’identité, du coup, mais de personnalité, en quelque sorte, pour eux. Pour eux, c’est un changement d’état et ils sont capables de dire “J’apprécie maman dans cet état là ou dans cet état là” ou “Je l’apprécie moins dans un autre état”. Donc je pense que le jour où ils entendront parler, ils vont tout de suite mettre le doigt dessus. Après, c’est vrai que t’as des alters qui s’entendent plus que d’autres avec les enfants. Par exemple là, par rapport à leur âge, donc ils ont 12 et 14. Par exemple, ma fille de 14 ans s’entend beaucoup plus avec les ados du système, forcément, de 16-18, pour le shopping et tout ça quoi. Et moins avec justement, une des alters parents où il y a un- pas un froid, mais la communication est difficile. Du coup, je pense, d’ailleurs j’en avais parlé avec Emmanuelle. Du coup, je pense qu’à ce moment-là, la multiplicité, ça aide, finalement, pour voir le côté positif de la chose. Parce que si on était singlet, j’imagine qu’on aurait ce côté, cette petite froideur entre nous, alors que là, les alters ados arrivent et ils vont rigoler avec, ils vont faire du shopping et ils vont… Ça rend jaloux les autres alters qui sont plus adultes, mais ça permet de garder une bonne relation avec les enfants. Je ne sais pas s’il est clair.
[Kara] Pour moi c’était très clair.
[Emmanuelle] Moi je valide ce que tu dis. Moi je vois beaucoup d’avantages, en observation, parce que moi j’ai passé ma vie à observer les autres, parce que t’apprends en observant les autres. Et là maintenant, avec le recul, je m’aperçois qu’au final, les parents qui sont singlets,  il n’y a pas autant de possibilités. Par exemple, moi je pouvais me lever le matin, on pouvait se lever avec un alter moitié déprimé, ronchon et tout ça. Mais dans la journée, il y a un little qui va switcher, du coup, il joue avec les gamins. Après y a si y a ça et que des fois ça permet de pas rester- Je trouve que, pour moi, la multiplicité, grâce aux switchs, ça permet de ne pas rester dans un état. Je ne sais pas si c’est clair. Où des fois on s’est retrouvé·es face à une situation ou là, franchement, si on avait été singlet, on aurait été complètement paumé·es. Je trouve que les enfants ont une une avec beaucoup de créativité, alors que je vois des parents singlets, (ce que, en thérapie, les gens appellent le petit enfant intérieur), eux, il est pas du tout réveillé. Et du coup je trouve ça moins rigolo, parce que je sais pas, c’est complètement différent. Parce que des fois les singlets ils sont adultes tout le temps. Et des fois c’est pas rigolo pour des enfants. Enfin c’est peut être moi, les gens que j’ai croisé dans ma vie. Mais moi je trouve qu’il y a de l’avantage à la multiplicité.
[Jle Lilou] On en avait parlé il y a quelques jours, Emmanuelle. Tu sais, quand j’avais fait l’événement avec les enfants, pour un événement manga et aucun alter ado justement n’a fronté. Il n’y avait que moi et presque que des alters adultes, qui ne savent pas s’amuser et qui avaient- Il y avait beaucoup de pression, parce qu’ils arrivaient pas à amuser les enfants lors de l’événement. Il n’y avait pas cette ambiance, tu vois, familiale comme pour s’amuser. C’était plus justement familial comme si on les surveillait, tu vois. Du coup, ça s’est pas très bien passé et après je t’en avais parlé justement, j’étais dégoutée. Kara, c’est vrai que t’es pas au courant, mais j’étais complètement désemparée, parce que j’avais eu l’impression d’avoir gâché tout l’événement, parce que justement, j’avais l’habitude de voir d’autres alters fronter et s’amuser, s’éclater avec eux. Genre là y avait des châteaux gonflables, on aurait dû sauter dessus avec eux, mais… [rires]
[Emmanuelle] Non, mais des fois, il y a des ratés. C’est normal. [rires] Et oui, voilà. Mais je te comprends tout à fait dans ce que tu dis. Moi sur certaines activités avec les enfants… Tu connais Ninja, si j’ai Fred et Ninja qui sont là pour aller à la fête foraine, ça aide. Moi, le truc, tout seul je vais le vivre, mais au bout d’un moment ça va me gonfler. [rires]
[Jle Lilou] tu veux rentrer, te plaindre, t’as mal partout. [rires]
[Emmanuelle] Ouais, mais c’est pas grave, on a l’avantage d’avoir ces alters-là. Il y a des gens, moi je vois des parents, ils sont que comme moi. Donc sociabilité moyenne, rien que pour la fête foraine, ça traine de la patte. Il y a des gens ils sont en pénibilité à jouer avec les enfants. Voilà, je trouve que c’est l’avantage de la multiplicité. Alors c’est vrai quand le switch se fait pas ou quand y a pas co-conscience ou co-front, ceux qui sont là, ils rament, mais bon. [rires]
[Kara] Non, et vraiment ce que vous dites, ça me parle. Pas dans un contexte de relations avec des enfants, mais dans le reste, je suis tout à fait d’accord moi aussi. Je pense que je le dis souvent, mais c’est pas le fait d’être multiple qui m’handicape dans la vie, c’est tous les trucs qui en découlent. C’est l’anxiété, c’est les conséquences de trauma ou des trucs comme ça. Mais le fait d’être multiple, c’est vraiment pas un problème dans ma vie. Et je vous laissais parler, du coup, c’est un aparté, mais si ça peut te rassurer, moi ça m’arrive blindé aussi. En fait, j’ai l’impression que plus je mets d’espoirs et d’attentes dans le fait qu’un moment se passe bien et plus j’ai de chance que ce ne soit pas un front adapté au final. Parce qu’il y a trop de pression. Et donc c’est beaucoup plus les bonnes personnes qui font les bonnes activités quand il y a de la spontanéité, que si je dois prévoir un truc, aller à un gros événement, t’as beaucoup plus de chances que ce soit quelqu’un de plus relou et coincé, mais qui veut que ça se passe bien et qui du coup s’amuse pas là.
[Jle Lilou] C’est exactement ça. C’est frustrant quand même.
[Kara] Mais à fond. C’est frustrant, parce que ça veut dire que je suis angoissé·e quand je prévois pas. Mais à côté de ça, quand je prévois, je suis relou. [rires] Mais du coup, voilà, ça me parle beaucoup et je pense que c’est normal d’être tellement matrixé·e par le masking et du coup, dans des situations sociales et donc prévues, de ne pas réussir à avoir la personne la plus adaptée et la plus fun au bon endroit, quoi.
[Emmanuelle] Oui, c’est pas évident, je comprends tout à fait ce que tu dis. Mais après, il y a un truc qui est intéressant, enfin moi je trouve. Nous on note beaucoup de choses sur un agenda, mais c’est intéressant de valoriser toutes les fois où ça colle, où ça marche. On a tendance des fois à mettre le doigt sur les fois où le switch s’est pas produit, où ça s’est mal passé, où on est un peu perdu·e et tout ça. Mais si on note toutes les fois où c’est ok, moi je trouve ça aide le système. Parce que des fois, on peut avoir tendance à se flageller tout seul, déjà. [rires] À critiquer l’alter qui a essayé de sauver la mise, mais bon il s’est raté, mais il a fait ce qu’il a pu. Nous il y a une chose qu’on a trouvé, ça aide aussi, c’est vraiment de savoir- et c’est quelque chose qu’on oublie. On a pas appris, petit, à ce qu’on nous valorise pour les petits pas qui sont fait bien. En général, on a passé notre temps à nous dire que c’était pas assez. Avoir un regard sur le système avec beaucoup de gratitude, je trouve que c’est intéressant, parce que les alters, c’est comme les enfants, plus on les félicite sur le bien, plus il aura l’élan pour interagir quand c’est le moment pour lui. Enfin c’est nous, notre recul personnel. Je dis ça, mais des fois on se rate, on se flagelle encore. [rires]
[Kara]Et du coup, comment vous racontez votre histoire à vos enfants, si elle est traumatique ? Est ce que vous vous en parlez ou pas ? Est-ce que vous occultez des parties ou pas ? Ou comment vous avez géré ça ?
[Psychopompes] Alors oui et non. C’est-à-dire que je pense qu’il faut faire attention avec ça, en tout cas c’est mon avis. Je pense qu’il faut faire attention quand on raconte ses traumas à des enfants, parce qu’on peut générer du traumatisme, alors ça a un nom, je crois, mais peut recréer du traumatisme en racontant des choses difficiles qu’on a vécues. Donc, si je lui en parle, ce sera avec des grosses pincettes et avec un vocabulaire adapté aux enfants. Dans les traumatismes qu’on a vécu et qui sont à l’origine de notre multiplicité, il y a des choses entre guillemets classiques, ordinaires, même si c’est très violent quand même, comme du harcèlement scolaire avec violences physiques et verbales, tout ça. Ce qui est fréquent quand on grandit, qu’on est autiste. Et puis il y a des choses qui sont très ordinaires aussi, mais plus secrètes, enfin plus tabous dans la société. Des violences intrafamiliales, d’à peu près tous les types, enfin dans notre cas. Et ça, c’est des choses, je pense que je pourrais pas aborder de façon directe avec elle. Je pourrais pas lui dire “Voilà, j’ai vécu ça.” C’est pas possible. Déjà parce que j’ai même pas l’impression que c’est moi qui ai vécu ça, mais ça c’est une autre question. Et non, ça, je pense que c’est dangereux. Je pense que je peux lui dire “Voilà, j’ai vécu des choses difficiles et du coup, mon cerveau a géré comme ça.” Et après, pas forcément besoin de connaître les détails et si elle veut avoir du détail, je lui en donnerai, mais d’une façon adaptée et appropriée à son âge. Je pense que c’est vraiment important, de pas raconter tout brutalement, comme si on s’adressait à un adulte capable d’encaisser. J’ai pas spécialement envie qu’elle me regarde aussi avec pitié. Enfin voilà, toujours les mêmes trucs. 

[Emmanuelle] Moi j’en parle pas. Ils savent d’où je viens, enfin d’où on vient. Donc ils ont un peu une idée, mais nous on n’en parle pas. Les enfants sont adultes, donc si un jour ils ont envie de savoir, je sais même pas si on- en fait, ce genre de sujet, avec les enfants, c’est arrivé que l’aîné nous pose des questions, mais c’est émotionnel et en fait, on déréalise donc on vit à chaque fois pour parler de ces sujets là et par une étape de flottement. [rires] Et non, je pense qu’on n’a pas spécialement envie de donner des détails ni d’en parler. Si un jour ils veulent savoir, ils demanderont. On trouve pas que ce soit utile. On a un membre de notre famille qui a voulu tout raconter à son enfant, après, chacun a sa version des choses. Et je ne suis pas sûr·e que ce soit un cadeau à donner aux enfants, ça peut être un poids. Ou que l’enfant, du coup, il se sente un peu responsable, enfin pas responsable, mais une forme de responsabilité. Nous, quand on souffre on veut pas leur montrer. Donc on n’a pas trop envie de leur en parler, non.
[Jle Lilou] Nous à ce niveau là, on s’est un petit peu loupé·es entre guillemets. Puisque tu le dis bien justement, il y a une question de responsabilité. On ne leur a pas raconté les traumas, ça c’est clair. Donc on leur a jamais caché qu’on était sans famille ou encore qu’on en a eu plusieurs, etc. Mais on leur a pas dit comme quelque chose, pas comme une plainte, tu vois. On leur a dit “Voilà, nous, on est comme ça. On n’a pas eu un schéma familial classique.” Et après,eux, ils ont appris par eux mêmes. Ces personnes-là n’ont jamais pris de nouvelles de nos enfants. On essayait pas de s’en rapprocher. Rien. Donc du coup, ces personnes qui sont rien pour moi, ne sont rien pour eux non plus. Je n’ai rien eu besoin de faire, c’est avantageux pour moi, entre guillemets, je préfère que- Mais par contre, c’est vrai que j’ai remarqué que dans l’éducation, il y avait cette tendance à nous- Nos enfants nous protègent un peu. Ça on le sent. Et ça, c’est quelque chose que je considère comme raté dans l’éducation. Normalement, ils ne devraient pas se sentir protecteurs envers moi. Pour rebondir sur ce que tu disais Emmanuelle juste avant, comme quoi… Donc ça c’est vrai que pour ceux qui veulent être parent, c’est quelque chose que j’aurais bien aimé savoir avant, de faire attention justement à pas profiter de l’amour et de la protection qu’apporte un enfant, bien sûr que c’est agréable, mais il faut faire attention, il y a une limite à ne pas dépasser, en fait. Il ne faut pas que l’enfant se retrouve à, par moment, consoler le parent. Ca c’est un truc il faut faire vraiment gaffe quand on est multiple, quand même. Et du coup, j’ai peur que plus tard, par exemple, quand ils seront plus grands et qu’ils voudront faire leur vie, j’ai peur qu’ils osent pas, par exemple, déménager loin ou qu’ils vont se sentir responsables en voulant rester pas loin de moi. Alors que non, normalement, enfin ils me doivent rien quoi. Ils sont censés être libres une fois qu’on les a aidés à grandir.

[Emmanuelle] Alors je voudrais préciser quelque chose, parce que là je parlais là, pour l’instant présent, qu’on leur en parle pas et tout ça. Mais on a eu, c’est arrivé, quand ils étaient plus jeunes, où on leur a partagé des choses, parce qu’on était en état de mal être et avec le recul, je pense pas spécialement- parce que nos enfants sont pas nos psy. Et donc il y a eu- Ça n’a pas eu des conséquences, non plus… Mais oui, quelque part nous on a eu la chance qu’on s’en est rendu compte à l’adolescence. Et à l’adolescence on a aussi changé notre comportement pour permettre aux enfants de quitter la maison. Parce que élever seule deux garçons, surtout quand tu sens la mère en fragilité, oui, c’est vrai, tu peux avoir tendance à avoir de la difficulté à quitter la maison. Mais par contre, rien n’empêche à n’importe quel parent de- tous les parents font des ratés, de toute manière. De prendre conscience et de changer son comportement, parce que si on a eu tendance à rendre les enfants, par notre comportement ou tout ça, trop attaché·es à nous, ou si on s’aperçoit qu’ils ont du mal à voler de leurs propres ailes, on peut aussi nous, changer notre comportement et puis les accompagner. Le truc que je remarque, moi, avec les enfants, c’est que la base, c’est aussi l’honnêteté. Parce qu’on s’est raté·es. Y a eu des switch où des fois, les gosses se sont retrouvés dans des situations où, avec le recul, soit on a honte, soit on l’assume. Et quoi qu’il en soit, si on se rend compte que, là on s’est raté·es, mais ça c’est valable pour tous les parents, même les singlets. Et là, tu prends conscience, là t’as pas été fut-fut, tu t’es raté·e. Rien ne t’empêche de discuter avec ton enfant quel que soit l’âge et lui dire “Voilà, je pense que j’étais fatigué·e. J’aurais pu mieux faire.” Et d’en discuter, pour que ça fasse pas un choc ou un trauma pour l’enfant. Nous, il y a plein de choses qui nous ont traumatisées parce que jamais personne s’est excusé. Même des fois, des petites choses insignifiantes qui sont devenues des catastrophes. On n’a jamais eu le droit à “Je suis désolé·e.” Ca peut arriver à n’importe quel parent, singlet, de crier, claquer une porte ou des fois d’avoir des propos qui dépassent l’entendement, parce que t’es énervé. Mais si tu prends conscience, tu t’excuses et puis tu fais tout pour changer de comportement. On peut pas dire parce que j’ai des troubles mentaux et que mon gosse a été face à des crises, que ça va laisser des séquelles pour lui. Nous, nos enfants, n’ont pas de troubles. Et pourtant ils en ont vu. Et des états, même suicidaires, des fois et des crises borderline et des crises autistique et des switchs, enfin bref. Et c’est pas pour autant qu’ils ont des troubles. Et là ils ont 30 ans, donc on a vraiment du recul maintenant là dessus. Mais le principal c’est d’être honnête. D’être honnête et de savoir s’excuser. Je pense que ça aide aussi, par rapport à la parentalité. 

[Jle Lilou] Ah c’est sur. C’est surtout au niveau de, tu vois, le fait de voler de leurs propres ailes, tu vois. Alors quand, par exemple, on a commencé à leur dire “Tiens, tu devrais aller à cette excursion avec l’école.” Et tu vois, ils sont là, non… Et on dirait qu’ils ne veulent pas trop s’éloigner, en fait. Et ça, c’est un truc que… Bon après peut être qu’avec un parent singlet, ça peut être pareil. C’est peut être fusionnel, mais je n’ai pas l’impression que c’est ce genre de… J’ai l’impression qu’ils sont plus inquiets, tu vois.
[Emmanuelle] Alors, moi, il y a une chose que je veux préciser. Quand les hormones arrivent, les enfants changent de comportement. Il y a la phase, on va dire jusqu’en quatrième où le gamin, il est collé à sa mère. Et après nous on l’a vu, ça s’est fait aussi de façon naturelle et en plus on a aidé, mais il y a un moment donné, on le sent que le gamin, il commence à s’intéresser au monde extérieur en dehors de la famille. Et là, je pense que c’est pareil pour les singlets, même si l’enfant il était un peu collé à ses parents ou en mode protection, de sa mère ou de son père, y a un moment donné, il y l’élan, quand même, pour voler de ses propres ailes.
[Jle Lilou] J’espère, j’espère. Que si un jour, ils veulent changer de pays ou autre, ils le feront sans crainte de me laisser derrière. Je le souhaite. Enfin, c’est intéressant tout ça. Il nous faudrait un manuel. [rire] Même en dehors de la multiplicité, comment être un parent idéal ?
[Kara] Je pense que se poser la question, c’est déjà un truc qui manque à plein de gens. Tu vois, se poser honnêtement la question “Comment je peux être la meilleure version de moi-même ?” Et en acceptant de se remettre en question et d’être faillible, c’est déjà tellement cool.
[Jle Lilou] C’est vrai, s’inquiéter des conséquences qu’on peut donner, c’est clair.
[Kara] Oui, évidemment que n’importe qui fait des erreurs. Mais oui, je suis vraiment d’accord, Emmanuelle, sur le fait que c’est la remise en question et les intentions et l’honnêteté qui font la différence.
[Emmanuelle] Et je vais redire aussi, l’éducation. Alors je ne parle pas d’éducation familiale, scolaire et tout ça. Être parent, ça s’apprend pas. Et personne ne peut être parent, quel que soit l’âge, même quelqu’un qu’a pas de trouble, il ne sait pas. D’autant plus si tu n’as pas de repères familiaux. Mais en plus, là, on est quand même la génération Internet. Rien ne t’empêche de te documenter, t’abonner à des profils qui te donnent des infos, poser ta question à Google. [rires] Nous, on a vu, on a eu tendance- ça fait partie aussi du côté autistique qu’on a, c’est qu’on adore apprendre des trucs. Mais c’est vrai que nous, à l’époque, on n’avait pas Internet. Donc qu’on allait à la bibliothèque, parce qu’avec les gosses, on savait pas faire, mais vraiment. Parce que voilà, on avait pas appris et tout ça. On a lu des magazines à l’époque, il y avait des magazines dans les kiosques, on a consulté beaucoup de pédopsychiatres, alors pas pour les gosses, mais pour leur poser des questions, pour savoir qu’est ce qu’il fallait faire ou qu’est ce qu’il fallait dire. Parce que là pour nous, la phase qu’a été la plus, on va dire, difficile par rapport aux troubles autistiques,  c’est quand les enfants commencent à parler et quand les enfants commencent à poser des questions. Là on était un peu- Et ça on a demandé énormément conseil, pour savoir, pour comprendre, parce qu’on comprenait pas les enfants. Au début, même encore maintenant, on pose souvent la question sur Google ou on essaye de lire un livre et tout, parce que même encore des fois on a du mal à les comprendre. Mais on a la chance quand même aujourd’hui d’avoir la formation gratuite de partout. Pour nous, c’est valable pour les singlets, pour n’importe qui. Parce qu’être parent, ça s’apprend pas. Enfin ça s’apprend, c’est pas inné. Et comme la plupart du temps, il y a très peu de gens qui disent “Moi, je veux être la copie conforme de mon père et de ma mère.” Du coup, faut aller chercher l’inspiration ailleurs. Comment on fait ? Si je ne veux pas être mes parents, comment je fais ? Donc du coup, t’es obligé·e de te documenter ou d’observer comment ça se passe chez les autres. Nous ça nous a sauvé·es de chercher à comprendre comment ça marche. Là, nous, on a été élevé·es dans une communauté close. Donc, quand on s’est retrouvé·es, enfin moi j’étais pas là à cette époque, mais quand les autres se sont retrouvé·es à 18 ans avec une valise devant la gare, alors qu’ils ne connaissaient que la communauté, avec un seul sujet de conversation au sujet de la communauté, heureusement qu’il y a eu le déclic : Il faut apprendre comment fonctionne le monde, comment fonctionnent les gens. Et un an après, le corps était parent et avec des bases, on va dire, catastrophiques. Comme quoi, tout est possible.
[Jle Lilou] C’est marrant, nous aussi, notre premier enfant à peu près un an après, avoir pris le train et changé de pays.
[Kara] Je comprends. Et du coup, en partant du postulat que ton vécu a eu un impact sur ton attachement et sur comment tu gères les relations. Comment tu fais pour dealer avec ça, avec ton enfant ?
[Psychopompes] On a pas tous le même niveau de trouble de l’attachement, on va dire, dans le système. Et on a un alters qui s’appelle- Donc lui est bien identifié, parce qu’il est assez différent de moi, qui s’appelle Phaëton. Et je pense que si on parle en termes de rôles un peu classiques, on pourrait dire que c’est une sorte de persécuteur ou protecteur persécuteur, qui a un attachement vraiment chier. C’est lui qui a pris un peu une bonne partie, je pense, c’est lui qui a pris une bonne partie des traumas d’attachement. Quand c’est lui qui est là, ça pose des problèmes. Pas forcément avec notre fille d’ailleurs. Mais ça pose des problèmes de jalousie, des problèmes de peur, de l’abandon extrême, des crises de panique, quand il a pas de nouvelles pendant un certain temps de certains proches, de notre femme, par exemple. Nos parents, en particulier notre mère, on un attachement- enfin notre mère a un attachement vraiment pourri, parce que son père était quelqu’un d’extrêmement violent. Ma mère a grandi dans une secte, en gros et son père, c’est un pédocriminel, voila. Dans ma famille, ça a été reproduit. C’est quelque chose qui est transgénérationnel, en général et c’est le cas dans ma famille. Et nous, on a été un peu impacté·es par ça aussi, sans rentrer dans le détail. Et c’est sans doute une des raisons principales pour laquelle on a développé un système. Et donc le fait que notre mère ait un attachement vraiment à chier, ça a eu un impact négatif sur nous. C’est-à-dire qu’elle nous considérait comme une sorte de doudou affectif, si tu veux. Et on était là essentiellement pour satisfaire ses besoins d’affection, etc. Et donc une de nos craintes, c’est de reproduire la même chose avec notre gamine. Pour éviter ça, on est en thérapie et on travaille beaucoup là-dessus. Mais il y a certains alters qui sont pas du tout concerné·es par cette problématique, c’est ça qui est assez ouf. Certains alters qu’ont aucun problème d’attachement et il y en a d’autres pour qui c’est très compliqué. Ce qu’on a essayé de faire aussi, c’est d’essayer, quand il y a des fronts un peu, on va dire des alters qui sont là, mais qui sont pas les plus approprié·es pour gérer un enfant. Souvent, ils essaient de se barrer, quoi. Et ça, ça, c’est un peu réglé- En ce moment, on communique très mal, pour ne pas dire pas du tout. Il y a eu une période autour de la prise de conscience où on a commencé quand même à régler les choses. Et on s’est rendu compte que tel alter avait des comportements un peu trop colériques, un peu trop impatients, un peu trop- enfin liés à des traumatismes que ces alters avaient, etc. Et on a discuté et on a dit “Si t’arrives pas à gérer la situation, à ce moment-là, essaye de laisser la place. Demande.” Voilà, sachant qu’on ne contrôle pas nos switchs, mais ça fonctionne quand même un peu. On n’a pas encore réussi à trouver un moyen de contrôler vraiment le switch. De temps en temps on y arrive, avec certains triggers et tout, mais c’est pas quelque chose de- On n’a pas la maîtrise de ça, quoi. Mais voilà, en tout cas, c’est comme ça qu’on gère, en essayant de soigner les alters qui ont des soucis d’attachement. Mais notre thérapie avance très lentement, parce qu’on a une vie très chargée, donc on a du mal à avancer. Et de toute façon c’est des thérapies assez longues et difficiles, vu les traumas qu’il y a à soigner. Donc soigner les traumas des alters qui sont concerné·es par ça. Et l’autre truc c’est, quand ils sont là et que c’est inapproprié, que leur comportement et pas forcément adapté à la parentalité, on essaie de faire en sorte qu’ils restent pas là, quoi. Je pense que c’est le principal problème qu’on peut avoir dans notre parentalité, qui est liée à la multiplicité, où il y a beaucoup d’alters de notre système qui ont énormément de culpabilité, dès qu’on fait la moindre erreur, etc. Mais ça je crois que c’est le cas de beaucoup de parents, qu’on soit multiple ou pas. On veut vraiment faire bien, on culpabilise tout le temps. Le fait de culpabiliser aussi ça doit être lié au fait d’avoir un attachement pourri, d’ailleurs, pour pas mal d’alters. Ca peut aller avec la culpabilité et avec les traumas aussi d’ailleurs. Et oui, j’ai un peu perdu le fil de ce qu’on était en train de dire, mais en tout cas, ce que ce que je veux dire, c’est que la multiplicité c’est pas non plus tout beau tout haut. On ne peut pas dire “Ouais, on est des parents parfaits, etc.” C’est pas la multiplicité en soi qui pose des soucis, d’ailleurs, on entend bien dans ce que je dis. C’est plus les effets de certains traumatismes sur certains alters, quoi. Mais si on n’avait pas d’alters différents et qu’on était une seule personne unie, cette personne unie aurait des traumatismes et ces traumatismes auraient un impact aussi sur la parentalité. Après, il y a deux façons de gérer. Il y a le déni, on voit rien, on fait rien et on se comporte comme un con ou on essaie d’améliorer les choses et de réparer les dégâts qu’on fait d’autres personnes avant, quoi. Voilà, on est un système adulte, ça veut dire qu’on doit être responsable vis à vis des enfants, donc de notre fille en l’occurrence. Et ce n’est pas à elle de porter un traumatisme et d’en subir les conséquences. On travaille là-dessus. Mais je pense que c’était plus un problème au début et ça l’est beaucoup moins maintenant. On a déjà pas mal avancé à ce sujet là. Pas guérit des traumas, mais on gère de façon à ce que les alters qui sont un peu plus concerné·es par ces problématiques là ne soient pas là quand il ne faut pas, quoi. Quand ils sont là et qu’ils font de la merde, souvent- Enfin, quand je dis faire de la merde, c’est crier un peu trop fort, un truc comme ça. Il y a souvent un autre alter qui après se pointe et il va s’excuser en disant, bon, en faisant comme si on était une seule personne “Voilà, excuse-moi, j’aurais pas dû crier. J’étais fatigué·e. C’est pas de ta faute.” Enfin, tu vois. Après, ça n’arrive pas souvent, mais quand on fait une erreur en tant que parent, en tout cas, on essaye collectivement de pas dire à la gamine “C’est ta faute, t’as eu tous les torts, etc.” Quand on estime qu’on a fait une erreur en tant que parent, on essaie de s’excuser, lui dire “Là, c’est nous qui avions tort.” Et puis d’expliquer un peu pourquoi.
[Jle Lilou] En général, ici, c’est assez positif, quand même. J’ai parlé un peu du côté un peu négatif, parce qu’il faut parler tout, je pense. Il faut s’attendre un peu à tout. On ne peut pas dire que, enfin c’est logique, c’est pas à 100 % parfait. Mais dans l’ensemble, ça se passe quand même plutôt bien. Je pense qu’il faut faire, à partir du moment où on sait que la plupart des alters sont responsables, mais qu’il n’y en a aucun qui a- Enfin chez nous, en tout cas, c’est le cas. On sait que personne n’est dangereux pour la parentalité. Alors du coup, on a appris à, quand l’hôte principale a décidé de disparaître quelque temps et de nous laisser devenir parents. On a appris à se laisser aller et à être chacun nous-mêmes. Donc, par exemple, imaginons il y a Chad qui passe par là et qui croise mon fils- enfin notre fils du coup, en train de jouer à Mario Kart. Du coup, il voit venir, il va jouer avec lui, il va trop rigoler, enfin, il se laisse aller, tu vois. Même si on voit une différence un peu avec un autre alter, on essaie de ne pas trop se prendre la tête, en fait. Si sur le moment il va se passer quelque chose de positif et tout, on laisse aller, en fait. On ne sait pas trop se prendre la tête, mais de laisser les événements arriver assez naturellement. Je ne sais pas si- J’ai l’impression que ma bouche, elle parle presque toute seule. Et après je me dis est-ce-que ce que j’ai raconté c’était logique ou pas. [Rires]
[Kara] Ca l’était. Et c’est drôle que tu dises ça, parce qu’il n’y a pas grand monde qui dit ça, alors que je pense que beaucoup de gens le vivent, mais c’est pas un truc que beaucoup de gens disent, mais c’est un des premiers trucs que j’ai dit. C’est un des premiers signes de multiplicité que j’ai vu. Je disais “Mais je ne comprends pas ce qui m’arrive. Moi, j’ai l’impression que ma bouche, elle parle et j’ai l’impression de découvrir ce que je vais dire après que ce soit sorti de ma bouche.” Si c’est un truc trop bizarre. Parfois, j’ai l’impression de dire des trucs trop cool et je fais “Woaaah !” Et parfois je dis de la merde. [rires] Je pense vraiment qu’il y a plein de gens qui vivent ça, mais juste personne le dit jamais comme ça. Du coup ça m’a fait rire.
[Jle Lilou] Mais c’est ça. Et toi, Emmanuelle ?
[Emmanuelle] Alors nous on a un gros problème d’attachement et c’est un point qu’on est encore en train de- nous, y a le côté borderline, qui des fois, par rapport à l’attachement et tout ça, c’est encore un peu rude pour nous. En fait, nous, nos enfants, ils vivent plutôt le détachement par rapport à nous, parce que du coup, ils ont appris vraiment à aussi s’autogérer seuls. Donc du coup, ils sont tellement indépendants que du coup, on aimerait qu’ils soient plus attachés. [rires] Mais c’est bien comme ça. Voilà, c’est bien comme ça.
[Kara] Et est ce que vous avez un conseil à donner aux multiples qui veulent devenir parent ou qui sont déjà parents ? Et si oui, qu’est ce que c’est votre conseil ?
[Psychopompes] Alors, pour ceux qui veulent devenir parents, s’ils en ont la possibilité, je leur conseillerais de bien bosser sur leurs traumas avant, quand même, s’ils y arrivent, dans les meilleures conditions possibles, pour commencer. S’ils ont le temps, parce qu’on n’a pas forcément dix ans devant soi. On conseille aux gens qui sont déjà parents- Franchement, c’est chaud de donner des conseils, parce que chaque système est très différent, on a pas le même vécu. Il y a des personnes multiples qui ne sont pas forcément traumagènes (donc qu’on pas forcément- Ils peuvent même avoir des traumatismes d’ailleurs, mais il peut y avoir des systèmes qui n’ont pas de traumatismes, par exemple.) Nous, dans notre cas, ce qui peut le plus problème, c’est les conséquences des traumatismes et le fait de manquer d’entourage. Donc ce que je peux conseiller pour les gens qui sont comme nous, c’est de se trouver et de se créer un entourage sain et qui leur convient, surtout, qui respecte leurs limites et leurs besoins. Pour s’aider, quoi. Parce que c’est difficile d’être parent tout seul. Il faut avoir de l’aide. C’est presque impossible d’élever un enfant tout seul ou à deux. On a besoin d’un entourage, en fait. Et l’autre truc, s’ils peuvent, c’est d’essayer de gérer, de soigner un petit peu, de faire ce qu’ils peuvent, de prendre soin un peu des alters qui sont traumatisé·es, pour essayer de faire en sorte que les conséquences des traumas aient le moins d’impact possible sur leur propre enfant. Il y a aussi un conseil que je peux donner, c’est d’essayer de ne pas trop culpabiliser quand on n’est pas parfait, quoi. C’est pas évident. Ca, c’est pour tous les parents.
[Emmanuelle] Donner des conseils, c’est un peu délicat. Mais en tout cas, pour nous, c’est une expérience merveilleuse. C’était vraiment une expérience merveilleuse. Et avec le recul, on s’aperçoit que c’est pas parce qu’on a des troubles que ce soit TDI ou quelque soit le trouble, qu’on peut pas être des parents épanoui·es et avoir des enfants épanoui·es. S’il y avait un conseil à donner, en fait de pas oublier que nous tous là, tous les alters du système, c’est comme ça que nous on voit le point commun qu’on a tous ensemble, c’est le cœur. On est tous reliés par le cœur. Et ça, c’est vraiment quelque chose d’important aussi, quand on veut avoir des enfants. Parce que si on veut avoir des enfants c’est pour, à la base, donner de l’amour, en recevoir. Dans la parentalité, il y a quand même beaucoup d’amour. Pour nous qui avons cruellement manqué d’amour, vivre l’amour à travers la parentalité a vraiment été une source de guérison. Pas facile, comme n’importe quel parent, voilà, mais vraiment une expérience merveilleuse.
[Jle Lilou] Ouais, je suis d’accord. Moi aussi, c’est pareil au niveau de, comme j’avais dit avant, avec le TW, que j’avais pas de famille. Avoir des enfants et avoir la chance d’avoir sa propre famille, c’était et c’est encore une chouette expérience. Il faut juste faire attention, en conseil, il faut juste faire attention à laisser les choses se faire naturellement et pas vouloir trop en attendre d’eux, on va dire.
[Emmanuelle] Et je voudrais rajouter quelque chose. Alors nous, il se trouve qu’on a été parents sans avoir conscience qu’on était multiples. Mais là, avec le recul, on s’aperçoit que pendant toute la période où on était en responsabilité des enfants et de les élever, ça s’est fait tout seul, mais il y a une partie du système, parce que nous on a aussi un système programmé, il y a vraiment une grosse protection qui s’est faite autour des enfants. Et il y a, nous, une grosse partie des alters et des systèmes qui étaient complètement en dormance et qui ont fait que quoi qu’il en soit, aucun de nous qui avons eu la responsabilité des enfants, nous voulions mettre les enfants en danger. Et ça, nous avec le recul, c’est intéressant parce qu’il y a, par exemple, le système programmé, on l’a découvert il n’y a pas si longtemps que ça. Et du coup, on s’est aperçu·es qu’il était pas actif. Ils étaient tous en dormance. Et ça, ça s’est fait sans calcul. Voilà ça s’est fait sans calcul, donc quelque part, aussi, avoir confiance dans le cycle de la vie. Mine de rien, le TDI, il s’est mis en place aussi par un système de protection et que y’a aussi tout un système de protection interne qui peut se mettre par rapport à la parentalité. Certains de nos alters, même encore maintenant, c’est pas qu’ils nous font peur, mais c’est sûr, jamais les enfants ne les verront. Ils ne les ont jamais vu. Donc quelque part, oui, c’est une forme de confiance. Avoir confiance au système.
[Jle Lilou] Oui ça se fait naturellement quand même. T’as vu, comme je disais au début, quand on ,nous on avait une alter qui est née vraiment pour être, sûrement parce qu’on avait peur de la parentalité, la peur de pas gérer, etc. Les choses se font un peu toutes seules, en fait. Et pareil, j’imagine que quand quelqu’un, multiple, décide d’être parents, nous c’est venu par surprise, mais si un parent multiple décide de l’être, j’imagine très bien que sa première peur c’est “Est ce que certains alters vont fronter et que je les pense complètement inadéquats ? Est ce que ça va mal se passer à ce niveau là ?” Et en fait non. J’ai l’impression que l’équipe se régule, je sais pas comment on dit, toute seule, en fait.
[Emmanuelle] Oui, oui, en tout cas, en tout cas chez nous ça s’est passé comme ça.
[Kara] Et si vous aviez un conseil à donner aux enfants de multiples, qu’est ce que ce serait ?
[Jle Lilou] Que leurs parents, c’est un ensemble d’alters et même si nous, dans le débat, on a parlé d’une alter maman ou d’autres systèmes parlent d’un alter papa, je n’en sais rien, mais ça reste quand même un ensemble d’alters qui est parent. En vrai, tout le monde, beaucoup se sentent responsables, dans le système, des enfants. Après la relation est pas 100 % pareille. T’en as qui vont plus jouer un rôle un peu grand frère et grande sœur, tout en étant responsable, en étant parent. Je sais pas si- c’est dur à expliquer… T’as des alters qui vont vraiment se sentir comme un grand frère, par exemple, mais seront parfaitement capables d’être responsable de l’enfant. Je me suis répétée, en fait. Mais qu’importe le caractère de l’alter, en réalité, ils seront tous responsables et ceux qui le sont moins vont juste pas venir, en fait, ça les intéresse pas spécialement. On va dire que ça sera leur contre-trigger, quelque part, les enfants. Tu vois, au lieu d’être trigger, ils vont voir l’enfant, ils vont être contre-trigger. Ca se fait plutôt comme ça. Je pense que c’est pareil pour toi, non, Emmanuelle ?
[Emmanuelle] Oui, oui, bien sûr. Et si j’avais quelque chose à dire à des enfants multiples. C’est pas le fait d’apprendre que son parent est multiple que ça le change, parce qu’il est comme ça depuis toujours. Mais le message que je voudrais laisser, pour moi le vivre et pour mes enfants le vivre, déjà pour ceux qui apprennent que leur parent est multiple et qui l’apprennent alors qu’ils sont adultes. Si vous vous sentez pas prêts à- Parce que ça peut être un peu violent. Moi, ce que je vois avec mes enfants, autant ils acceptent la multiplicité, les diagnostics et tout ça. Mais entre comprendre que ton parent est multiple et percevoir ton parent en dissociant les alters…De pas culpabiliser, même si le parent est demandeur, comme nous on voudrait pouvoir se montrer. Mais c’est normal et puis il ne faut pas culpabiliser. Même si votre parent- nous, on a tendance à, par exemple, nous, la semaine dernière, il y a eu un switch, c’était la première fois qu’un des enfants recevait un texto pas masqué. Et du coup, il a appelé son frère parce que ça l’a perturbé. Parce qu’il sait qu’on est multiple, mais là, c’était la première fois où, dans le texto, il a vu que c’était pas du masking. Donc nous on comprend que les enfants sont pas prêts. Donc si vous en tant qu’enfant de multiple, vous n’êtes pas prêts, c’est OK. Et en tant que multiple, si les enfants ne sont pas prêts, on peut pas leur imposer. Donc c’est accepter, même si on en meurt d’envie, de faire du masking. Moi je trouve que le masking est difficile maintenant qu’on a vraiment conscience, parce que ça s’est fait de façon naturelle avant. Là maintenant qu’on sait, on aimerait beaucoup se présenter aux enfants, mais ils sont pas prêts. Donc en tant qu’enfant de multiple, c’est OK si vous n’êtes pas prêts. Mais comprendre que pour le parent, c’est beaucoup d’énergie. Quand tu sais que t’es en train de te forcer à faire du masking, parce qu’avec les enfants on se force et on n’a pas le droit de ce rater. Franchement, avec la vie sociale, on a moins la pression de vraiment- parce qu’être la mère des enfants, c’est le masking, pour nous, qui est le plus difficile. Et c’est le gratin là, dans le masking. Parce qu’il y a aussi ce côté empathique qu’a la mère des enfants qu’on n’a pas tous. Et il faut savoir masquer quand les enfants ont l’habitude, quand on leur dit bonjour, on les serre contre nous, on leur fait un bisou, parce que la mère est très câline et ça nous demande énormément d’énergie pour que l’enfant n’ait pas l’impression d’être face à un corps figé ou qui lui a plus de mal avec le contact. Donc oui OK on peut et c’est OK que vous voulez pas rencontrer les alter et que votre parent continue à faire du masking, mais il faut prendre en compte aussi que ça va demander à votre parent encore plus d’énergie, encore plus d’efforts. Enfin nous c’est ce qu’on vit, mais on le fait parce qu’on les aime. Ah oui, ça c’est important à dire, que tous autant qu’on est, même ceux qu’ont pas changé les couches, les gamins, on les aime et leur bonheur est essentiel pour nous.
[Kara] Est ce que vous avez envie d’aborder encore autre chose ? Est ce que quelqu’un a encore quelque chose à dire ?
[Psychopompes] C’est que, de manière générale, sans parler de multiplicité uniquement, quand on est handicapé·e, que ce soit parce qu’on a un TDI, toute forme de multiplicité qui peut être un peu source de handicap en tout cas ou des traumatismes qui sont sur des handicaps ou d’autres particularités qui sont, mélangées avec notre environnement, source de handicap. On peut être parent, en fait. On peut être de bons parents aussi, je pense. Mon psy, qui est multiple aussi, j’aime bien m’entourer de professionnels qui sont concernés, m’a dit que dans tous les parents multiples qu’il rencontrait, souvent étaient de très bons parents, parce qu’ils étaient conscients des dégâts que peuvent faire des parents sur leur enfants, souvent. Et donc souvent très impliqués. Et souvent, en fait, dans les systèmes que lui rencontre, il y a des alters qui sont vraiment dédiés, qui sont des alters qui sont vraiment fait pour être parent. Par exemple, dans notre système, on a une alter qui s’appelle Maddy, qui est une maman, qui est une femme trans et c’est grâce à elle qu’on a découvert qu’on était multiple, d’ailleurs. Et elle, au niveau… c’est une super mère, c’est un super parent, quoi. Et lui me disait que c’était assez fréquent qu’il y ait des alters comme ça dans les systèmes qu’il rencontre. Son hypothèse, c’est que souvent, c’est parce que nos cerveaux ont créé les parents qu’ils auraient aimé avoir, mais je pense que c’est un peu plus compliqué que ça. Le message, c’est qu’on peut être un système, qu’on peut être handicapé·e de manière générale et être un super parent. Et que, par contre, la société nous met quand même beaucoup de bâtons dans les roues, en tant que personnes handicapées, pour être parent. Il y a énormément de validisme qui fait qu’être parent et handicapé·e, c’est compliqué. Parce qu’en fait si tu dis trop que tu es handicapé·e, au lieu de t’aider à être parent, on risque de te reprocher d’être un mauvais parent, sans rentrer dans le détail. En résumé, le validisme fait que c’est compliqué de faire des enfants quand t’as un handicap. Je connais beaucoup de gens, mes frangins sont handicapés aussi. J’ai trois frères et tout le monde est autiste, traumatisé, je pense. Et 2 de mes frères, qui sont en âge d’avoir des enfants, ne veulent pas avoir d’enfants. Mais clairement, il y en a un qui m’a dit que c’est parce qu’il sait qu’il peut pas, qu’il serait trop fatigué, qu’il a trop de difficultés, qu’il pourrait pas y arriver, en fait. Et le problème c’est pas tant son handicap. Le problème c’est le fait qu’il ait pas des moyens qui soient mis pour que des personnes handicapées puissent faire des enfants et les élever, quoi. C’est une forme d’eugénisme un peu passif. Et donc c’est pareil pour les personnes qui ont un TDI ou de manière générale les personnes qui sont multiples. On a un peu le même genre de problématique, c’est à dire qu’on est obligé de cacher qui on est vraiment, nos particularités, pour ne pas être préjugé·es comme mauvais parents. Et on a besoin peut-être parfois d’un petit peu plus de soutien en tant que parent et on ne peut pas vraiment le demander. Enfin, souvent, c’est compliqué de le demander, quoi. C’est risqué.
[Kara] Merci beaucoup. C’est une très cool conclusion.

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