Cette session parle de la multiplicité dans les luttes politiques, et de son évolution future, pour aider les systèmes voulant s’engager à y voir plus clair.

Cette session parle de la multiplicité dans les luttes politiques, et de son évolution future, pour aider les systèmes voulant s’engager à y voir plus clair.

Avertissements de contenu :

Débats intra-communautaires, validisme, psychiatrie, mention d’agressions sexuelles sur mineurs

Transcription écrite :

A : Salut L’Arpetani !

L’Arpetani : Salut A. !

A : Yes… On voulait du coup proposer une discussion sur le sujet des luttes politiques en rapport avec la multiplicité Dans cette conversation, on va d’abord commencer par donner quelques Content Warning sur ce dont on va parler vu qu’on va toucher à des luttes politiques en cours, ou des rapports de force qui ont eu lieu dans le passé on va forcément parler de débats intracommunautaires avec toute la violence et la crispation que ça peut générer chez les différentes personnes. Nous on va essayer d’aborder ça du point de vue un peu de l’histoire des idées et de façon un peu dépassionnée, parce que c’est aussi j’imagine notre façon de vivre la chose, toi et moi mais ça peut être difficile, et du coup on va mentionner du validisme et aborder le fonctionnement de la psychiatrie en général

L : Oui

A : Je sais pas si t’aurais quelque chose à ajouter là-dessus l’Arpe ?

L : Euh… pas grand chose, à part peut-être que on va aussi vite fait parler d’autres discriminations après ça sera pas central, mais voilà.

A : Ok. Est-ce que tu pourrais commencer par te présenter, peut-être parler un peu de ton système et de ton parcours militant ?

L : Oui tout à fait. Donc mon système, alors ça va aller vite parce que en vrai j’ai pas énormément de choses à dire dessus, juste que mon système est endogénique, c’est à dire qu’il n’est pas d’origine traumagénique, il est apparu autrement je suis aussi un système médian et mes alters ne sont pas très fortement distingués y a des systèmes dans lesquels les alters peuvent être très séparés, c’est pas le cas du mien Et sinon après qui je suis à part ça, et pourquoi j’ai voulu faire cette conférence ? C’est aussi parce que personnellement je milite dans des milieux anti-validistes et je voulais explorer la problématique de l’avenir des luttes politiques de la multiplicité et aussi un peu de comment ça s’articule dans l’anti-validisme et il faut aussi savoir que personnellement, la politique c’est un sujet qui me passionne je pense pouvoir dire que j’ai un intérêt spécifique sur la politique, je déconne pas, et voilà donc du coup c’est un peu pour ça que je voulais proposer ce sujet et aussi pour pouvoir donner aux personnes multiples, aux systèmes des clés d’analyse, de compréhension pour savoir où est-ce qu’on en est un peu niveau politique dans les luttes sociales pour la multiplicité où sont nos intérêts en tant que personnes multiples, pour savoir comment lutter le mieux possible.

A : Ok, du coup je peux me présenter rapidement aussi le pseudo que j’utilise pour cette conférence ça sera A. nous on a un système parogénique, ça rentre dans le spectre des multiplicités qui sont volontaires et/ou culturelles donc il y a des pratiques culturelles, et concernant mon parcours militant, il sera un peu différent enfin, moi j’ai commencé comme beaucoup de gens de ma génération à la fac par rapport à certaines réformes qui ont toujours lieu encore après j’ai aussi beaucoup navigué entre des milieux féministes et j’ai produit quelques ressources pour des assos trans aussi et c’est par les assos trans, (parce que je le suis moi-même) que du coup j’ai pu avoir parfois accès à des discours ou des idées que je qualifierais du coup d’anti-psychiatriques parce que c’est une lutte importante actuellement pour la transidentité la question de la dé-psychiatrisation des parcours trans et du coup c’est par là que j’ai découvert en fait certaines idées anti-validistes et anti-psychiatrie c’est remettre en question le pouvoir qu’on peut donner à un psychiatre est-ce que c’est normal ou pas, est-ce que ça c’est bien ou pas qu’un psychiatre puisse être un peu un garde-fou pour avoir accès à certaines choses, ce qui m’a amené·e aussi à vouloir participer à cette discussion parce que, moi je pense aussi pouvoir dire que ça m’intéresse beaucoup l’histoire des idées je trouve ça passionnant de voir un peu les liens qui peut y avoir entre différentes idées, c’est un peu dans l’air du temps comment ça va se décliner en fonction de certains sujets et la créativité politique aussi et le renouveau de certaines luttes, je trouve ça très intéressant c’est toujours passionnant, de pouvoir réussir à faire des liens à se rendre compte qu’un peu tout est lié quoi.

L : Oui, et aussi un autre petit truc que j’ai oublié de préciser dans ma présentation, c’est que je suis non-binaire et mon pronom c’est yel.

A : Du coup, je peux dire aussi que mon pronom c’est iel aussi. Peut-être qu’on pourrait commencer par faire un état des lieux un peu des différentes formes que peuvent prendre les luttes multiples aujourd’hui peut-être quand est-ce que ça a commencé vraiment ? Sur la multiplicité en tant que tel effectivement je pense, ça a commencé vraiment dans les années 2010 avant c’est difficile de trouver des choses là-dessus précisément enfin parce que il y a toujours eu évidemment des personnes des aliéné·e·s ou des personnes folles qui ont produit des choses sur leur folie ou sur des expériences qu’on pourrait qualifier de multiplicité aujourd’hui mais en tant que tel l’héritage militant qu’on a surtout actuellement en France vient plutôt des années 2010 donc effectivement avec les micro-identités et les drapeaux qui se sont déclinés sur des wikis, j’ai vu que tu parlais de Pluralpedia tout à l’heure, et moi j’avais noté Pluralwiki enfin c’est des communautés un peu comme ça qui sont arrivés jusqu’en francophonie parce qu’à la base c’était des ressources anglophones cette approcha de la multiplicité va plutôt avoir pour objectif de changer l’image culturelle qu’ont les gens de la multiplicité c’est à dire que avant ça, on peut penser à des films comme Split qui sont tristement connus pour une certaine représentation la multiplicité avec des thématiques liées au crime, à la violence, tout ça et là où cette démarche de faire des drapeaux, de faire des listes de définition il y a une idée communautaire un peu d’auto-support et de se découvrir, mais de façon non stigmatisante en fait parce qu’il y a ce truc de définition qui sont très larges qui sont inclusives les drapeaux sont quand même assez colorés quoi il y a une idée de joie un peu dans ce genre de militantisme et d’ailleurs je trouve vachement intéressant, c’est que cette démarche un peu de produire des néologismes c’était vraiment le ça le coeur du truc, c’est un truc très commun dans les années 2010 aussi dans les communes LGBTIA évidemment, qui sont les plus connues pour ça, et les plus visibles pour ça et les communautés otherkin aussi, qui étaient des communautés qui sont… il y a des personnes qui passent d’une communauté à l’autre et inversement quoi c’était… c’était vraiment… j’ai l’impression que c’est très lié, enfin aujourd’hui quand on regarde ça avec leur recul ça s’est un peu calmé j’ai l’impression, ça se fait plus trop encore que, je suis sûr·e qu’il existe encore des communautés qui produisent encore aujourd’hui de nouveaux drapeaux c’est la première grande catégorie de pratiques militantes que j’ai noté, c’est évidemment cette pratique de faire des drapeaux pour des définitions, de produire des définitions non stigmatisantes pour du coup changer l’image culturelle qu’on a de la multiplicité. L’autre grand pôle que j’avais noté concerne plutôt chaînes de vlogs, ou de présentation d’alters qui ont, pareil, commencé à émerger dans les années 2010 c’est un renouveau dans la manière de parler de la multiplicité, même c’est un registre très particulier qui va émerger aussi, dans toujours cette lutte culturelle en fait pour changer l’image de la multiplicité en se disant : « la qualité de vie des personnes multiples va s’améliorer si les gens comprennent » en fait et il va y avoir beaucoup… on reparlera plus tard un peu de la psychiatrie mais dans ces lores là un peu de créateurs et de créatrices de contenu on trouvera aussi souvent des formats de définition de termes psychiatriques en fait par exemple on va prendre le DSM, et on va dire c’est quoi les critères diag du TDI, on va définir le trouble borderline on va vraiment proposer des définitions psychiatriques en appuyant bien sur le fait que c’est scientifique, enfin il y a cette idée là un peu de recherche de légitimité plus tard on reparlera des politiques de respectabilité et ça va être un peu lié à ça. Et enfin il y a un troisième pôle que j’avais noté, peut-être que tu pourras nous en parler un peu plus L’Arpetani ? C’est tout ce qui concerne les luttes multiples plus proches de l’anti-validisme.

L : Oui tout à fait, c’est à dire que la multiplicité, c’est quelque chose qui de manière générale en tout cas dans notre société occidentale, française etc. c’est quelque chose qui est souvent très lié à des neuro-divergences disons que les seuls cas éventuellement que je verrais ou ça pourrait ne pas être le cas ça pourrait être par exemple si la multiplicité est d’origine culturelle mais même là, enfin dans le cas de culturel dans lequel je parle, c’est quand même souvent un fonctionnement qui est pas très commun disons que la limite avec la neuro-divergence est assez floue, et du coup j’ai quand même beaucoup l’impression que quelque soit notre handicap, notre neuro-atypie etc. on garde quand même relativement des intérêts de classe similaires, et que finalement on appartient un peu toustes à un même groupe social handicapé je sais que c’est un point qui peut faire polémique parce que tout le monde peut ne pas se revendiquer handicapé mais moi je pense que malgré tout on a quand même des intérêts politiques en commun et que on a intérêt à s’allier et à lutter ensemble et je pense que, enfin j’inclus totalement la multiplicité là-dedans.

A : Est-ce que tu pourrais donner quelques exemples de ce que tu entends par intérêt de classe ? Des choses que les différents handicaps pourrait même s’ils ont pas le même diagnostic par exemple ?

L : Oui tout à fait. Alors, en fait ce que je veux dire par là, c’est que ce qui est probablement le produit du validisme dans notre société donc le validisme c’est la discrimination contre les personnes handicapées l’origine du validisme, c’est… enfin non peut-être pas l’origine, mais en tout cas la manière dont ça se manifeste aujourd’hui le plus c’est lié aux productivisme c’est à dire qu’en fait le capitalisme a besoin d’avoir beaucoup d’individus qui sont productifs et il s’avère que quand on est handicapé c’est beaucoup moins facile d’être autant productif que quand on est valide pour plein de raisons, que ce soit les handicaps physiques ou psychologiques pour les handicap physiques, bon évidemment ça va être lié, par exemple si vous avez une mobilité réduite bah du coup, vous allez avoir plus de mal par exemple pour fournir du travail physique bon ça c’est un exemple très très basique mais voilà je pense que vous voyez l’idée et du côté des handicaps psy, là par exemple, si vous faites de la dysfonction exécutive par exemple ça peut aussi affecter votre productivité et donc du coup, on est discriminé·e à cause de ça c’est à dire que effectivement le validisme dans notre société actuelle, c’est une question de productivisme du fait que on peut pas produire de travail comme les personnes valides et du coup, bah oui effectivement, je pense que la multiplicité ça rentre totalement là dedans parce que bah tout simplement quand on est multiple, souvent ça s’accompagne aussi de tout un tas d’aménagements qu’il faut avoir pour nous ça peut être soit à cause de l’amnésie qui est pas systématique mais qui est courante ça peut être aussi à cause des traumas, et puis même au-delà de ça de manière générale, on va pas se mentir en général il y a beaucoup de personnes multiples qui ont aussi divers handicaps et diverses neuro-atypies à côté donc bah ça va pouvoir être, je pense que vous le savez dans nos systèmes, on est nombreuxes à avoir des alters qui sont autistes, qui sont bipolaires, etc etc et même au-delà de ça, je pense que la multiplicité, elle émerge pas juste parce que par exemple, on aurait eu une enfance difficile toutes les personnes qui ont une enfance difficile ne deviennent pas multiples et je pense qu’il y a aussi quelque chose qui, de base, favorise, va provoquer un terrain favorable à la multiplicité même dans le cas de multiplicité traumagénique. Et ce terrain là, c’est un terrain qui est lié aux neuro-divergences au fait d’avoir une condition neurologique qui n’est pas typique.

A : Et puis pour rebondir sur ce que tu disais sur le capitalisme je pense que c’est quelque chose qu’on comprend assez intuitivement de se rendre compte que lorsqu’on réussit pas à faire quelque chose, ou qu’on se rend compte que on n’arrive pas à être aussi productif que les autres on se sent mal par rapport à ça quoi et c’est évidemment à relier avec le capitalisme et l’idéologie qui l’accompagne, qui est un peu diffuse dans notre société aussi quoi.

L : Oui.

A : Ok, du coup ça me semblait assez clair, et je pense qu’on a vu un peu des idéologies qui existent sur différentes façons de parler de la multiplicité d’un point de vue militant et on voulait aussi re-situer toutes ces façons de militer et de parler de multiplicité parce que elles prennent place en face de « critiques » de la multiplicité, qui prennent aussi différentes formes et dans un premier temps, on peut parler déjà de critiques qui viennent de médecins. Pendant longtemps la multiplicité a été décrite par des psychiatres dans un premier temps sous le nom de « trouble de la personnalité multiple » depuis le DSM 5, ce sera désigné sous le terme de « trouble dissociatif de l’identité » avec d’autres diagnostics dissociatifs qui peuvent recouvrir des formes de multiplicité aussi mais il y a encore une forte réticence en fait de certains médecins, même dire que ça existe en fait il y a différentes critiques qui viennent des médecins même, qui vont remettre en cause l’existence de la multiplicité ces attaques-là, elles existent parce que les médecins sont un corps de métier hétérogène mais qui vont quand même avoir une culture particulière au niveau du validisme et qui sera plus structurel, est-ce que tu pourrais nous en dire plus l’Arpetani là-dessus ?

L : Je vais essayer, voilà. Je sais pas à quel point j’ai beaucoup de choses à dire là dessus mais disons que rien que le fait que les médecins soient quand même généralement des personnes qui ont souvent fait des très longues études et en fait si vous faites des longues études, en général c’est que vous êtes quand même enfin vous appartenez à des catégories sociales de la population qui sont privilégiées donc voilà, blanche, bourgeoise, évidemment valide, etc et du coup bah forcément, ça fait que tout le travail médical, il est fait majoritairement par des personnes qui sont valides et qui ont un regard de valide sur la multiplicité. Un regard de, en d’autres termes, c’est un regard de personnes pas concernées qui peut avoir un intérêt au niveau politique à maintenir une emprise aussi sur les personnes psychiatrisées de manière générale et ça bien évidemment ça inclut tous les systèmes multiples ça va aussi avec la mauvaise description de comment la multiplicité fonctionne il y a aussi le fait que chez les médecins, il y a souvent tendance à dire « voilà la multiplicité c’est ça, c’est le TDI, éventuellement l’ATDS » et alors les autres formes ça passe à la trappe, et voilà.

A : Est-ce que y aurait pas un biais, vu que leur métier c’est d’aider les gens dans un terme anti-validiste, on dirait plutôt qu’ils font en sorte que les gens redeviennent productifs le plus vite possible est-ce que c’est ça leur métier, ils ont pas un biais à forcément voir aussi la multiplicité dans sa forme pathologique et finalement, ils sont moins intéressés par les formes qui seraient plus normales parce que évidemment dans notre société occidentale, le fait d’être multiple est forcément vu comme une déviance ou comme un truc anormal mais je veux dire, plus fonctionnel, enfin est-ce que ce serait pas un biais dans ce sens là aussi ?

L : Oui, très probablement, c’est vrai que par exemple, si vous regardez ma multiplicité à moi elle est passée sous les radars de beaucoup de monde, parce que justement j’arrive à compenser, à faire en sorte qu’elle ne soit pas trop visible et je pense que bah ouais effectivement c’est un bon exemple de comment est-ce que les multiplicités les plus visibles, les plus handicapantes, et celles qui finalement impactent le plus la productivité ce sont celles qui vont être aussi les plus pathologisées et les plus psychiatrisées. Et effectivement si on a cette grille d’analyse du validisme par la volonté de mettre tout le monde au travail, de rendre tout le monde productif bah oui clairement le rôle de la psychiatrie et de la médecine est lié a la volonté de faire rentrer les individus dans une norme productive quand on va voir des formes de multiplicité qui vont être très handicapantes, elles vont être beaucoup psychiatrisées et du coup oui effectivement il y a totalement un biais dans ce sens là.

A : Et là où ça devient complexe je trouve, c’est que même… on a du coup fait un peu le distinguo entre deux formes de multiplicités celle qui impacterait ta productivité et donc serait pathologique et intéresserait la psychiatrie et les médecins et donc l’autre côté, toutes les autres formes de multiplicités qui passerait sous le radar mais là où je trouve que ça devient vraiment encore plus complexe c’est que ça crée aussi des rapports de force dans la communauté multiple elle-même. Tout à l’heure je parlais des ressources qui reprenaient des termes psychiatriques, pour les expliquer dans un but militant et je pense c’est pas un hasard si ce genre de ressources sont souvent produites dans des milieux et par des personnes qui vont du coup avoir des positions qu’on va appeler « sysmed » c’est à dire « system medicalism » et donc adopter en fait cette vision biaisée des psychiatres sur la multiplicité et du coup rejeter les formes de multiplicité qui auraient pas ce tampon « étudié par la science » ce qui est dommage finalement aussi. Y a un peu toujours cette ambivalence entre contester le savoir médical qui va te pathologiser, c’est quelque chose de stigmatisant et de l’autre dire : « non vous en faites pas les médecins, c’était une maladie vous devez me respecter en fait » il y a vraiment cette ambivalence entre les deux. Je sais pas si tu veux peut-être parler du lien entre stigmate et psychiatrie, ce serait intéressant parce que aller voir la légitimation du fait d’être reconnu·e que notre condition existe et que du coup on est reconnu·e par la médecine et de l’autre côté, comment l’objet d’un diagnostic c’est aussi être associé à une stigmatisation c’est ça où c’est un peu ambivalent aussi. Je sais pas si t’aurais quelque chose à rajouter là dessus, l’Arpe ?

L : Non pas vraiment à vrai dire, par contre à partir de là on peut essayer de faire le lien avec la politique de respectabilité alors pour expliquer très rapidement la respectabilité c’est une notion qui consiste en gros à vouloir se rendre respectable, à « bien présenter » aux yeux notamment des classes dominantes c’est très lié avec ce que tu disais au début avec la volonté de produire un truc culturel d’avoir toute une culture qui permet de rendre l’image de la multiplicité plus respectable et tout. Je pense que c’est pas forcément ça qui va être le plus efficace parce que finalement en fait c’est pas quelque chose qui va permettre de combattre vraiment les structures qui créent notre oppression comme je disais avant, le validisme ça se manifeste beaucoup par le fait que on ne serait pas assez productif et qu’il faut nous mettre au travail et ben en fait si on essaye de donner une meilleure image de la multiplicité ben si on reste dans un paradigme validiste ça va faire : « ah mais oui regardez, même les personnes multiples, même les handis de manière générale peuvent travailler, y a pas de problème » mais sauf que moi je pense que c’est pas forcément une bonne chose à faire.

A : C’est ce qu’on voit pour certains handicaps qui pourraient avoir cette politique là

L : Oui, et…

A : Pardon, je t’ai coupé·e

L : Mais il y a un peu il y a un peu ce truc de : « nan nous ça va, on arrive à ce conformer, on peut rentrer dans le moule » etc mine de rien ça c’est un truc qu’on a pu retrouver aussi par exemple dans d’autres luttes : dans le féminisme, il y a eu toute une période où on a eu un courant féministe culturel qui a émergé à côté du féminisme radical le féminisme radical il était vraiment sur une analyse de la classe sociale femme contre classe sociale homme alors que le féminisme culturel lui il voulait redonner une meilleure image de la femme mais du coup ça ne permettait pas vraiment d’abolir le patriarcat de la même manière que dans les communes transgenres on peut avoir des personnes trans, et en général c’est des personnes qui vont être « binaires », très médicalisées etc qui vont avoir des discours qu’on appelle trans-médicalistes et qui vont jeter sous le bus toutes les personnes qui ne rentrent pas là-dedans notamment les personnes non binaires, les personnes qui n’ont pas accès à des formes de transition médicale, ou qui n’en ont pas envie et ça bah du coup c’est un problème qu’on retrouve dans toutes les politiques de respectabilité c’est que souvent y avoir une ou quelques catégories qui vont réussir à émerger et à un peu prendre le dessus mais ça va jeter toutes les autres à la poubelle quoi et moi je pense que on ne devrait pas jeter telle ou telle catégorie sous le bus, et militer ensemble pour nos droits en commun sans chercher à se rendre plus respectable, parce qu’en faisant ça dans clairement on ne fait que entretenir une domination.

A : Du coup si on devait résumer ça, c’est qu’en fait, face à une oppression et un système oppressif que ce soit le patriarcat, la psychiatrie en général il va y avoir du coup des mouvements de rejet de la stigmatisation ça peut être par le rejet d’un diagnostic, ou par une critique radicale d’un système et après il peut émerger d’autres formes de militantisme qui seront du coup plus culturelles comme tu disais qui vont du coup moins s’attarder sur comment est produit le stigmate en fait finalement et du coup dans le cas de la multiplicité, il faut s’interroger sur la psychiatrie, mais du coup on va plus le faire et on va se concentrer sur des politiques de respectabilité qui seront forcément plus lisses du coup et forcément excluantes d’une certaine façon, parce que on va mettre en avant uniquement des choses qui sont on va se rapprocher de la norme finalement pour faire accepter une différence.

L : Oui tout à fait, et puis en plus de ça il y a aussi un truc dont j’ai oublié de parler mais qui est très important c’est que en général quand on est dans des politiques de respectabilité souvent c’est toujours les mêmes que ça avantage c’est à dire qu’en gros ça va être bah, les personnes blanches, les personnes bourgeoises les personnes qui permettent de bien présenter de bien rentrer dans la norme etc et toutes les personnes qui sont à la croisée de plusieurs discriminations c’est elles qui vont être jetées sous le bus le plus facilement.

A : On en avait discuté un peu avant, j’ai l’impression quand même que on doit apporter une nuance c’est important à porter une nuance sur le thème de la multiplicité en particulier parce que j’ai l’impression que contrairement au luttes homosexuelles ou trans par exemple, avec la multiplicité on est un stade de militantisme, enfin c’est pas possible d’imaginer une dé-psychiatriation de ça ne serait-ce que parce que la psychiatrie a encore le monopole de l’accès aux soins aujourd’hui en France on ne peut pas imaginer encore des structures qui soient alternatives à ça dans un premier temps on en est pas encore là, et on pourrait parler par exemple, tu parlais du coup de notion de privilège et j’ai l’impression que c’est clairement pas un privilège d’avoir un diagnostic par rapport… on parlait des différentes formes de multiplicité qui étaient plus ou moins handicapantes et je pense quand même que c’est important d’apporter une nuance sur le fait que c’est pas parce qu’on rentre dans des catégories diagnostic du DSM et que du coup on peut sortir la carte de « respectez-moi parce que la science, ça existe vraiment, les psychiatres l’ont dit » je pense que c’est important de dire que c’est pas un privilège d’avoir un diagnostic c’est il y a souvent cette confusion qui est faite, parce que sur les réseaux sociaux ou dans le militantisme multiple en général va y avoir beaucoup de ressources pour faire une démarche de diagnostic et du coup dans cette optique là, l’obtention d’un diagnostic c’est le début d’un parcours de soins et du coup, l’accès à certains aménagements, l’accès à de l’aide au quotidien là où en fait le diagnostic aide, c’est pas forcément systématique et tous les diagnostics ne sont pas posés en ces conditions là, il y a des diagnostics qui sont posés et on n’est pas au courant, on le redécouvrira peut-être 10 ans après, parce qu’on va demander notre dossier médical il y a des diagnostics qui n’offrent pas de l’aide particulièrement, parce que la psychiatrie, parce que l’errance médicale donc ce lien là il est pas forcément évident mais… du coup c’est ça qu’on peut dire quand le diagnostic n’est pas un privilège on parle simplement en fait de discours politiques, et de comment on va se situer par rapport à la psychiatrie quand on parle de multiplicité.

L : Oui oui tout à fait je suis d’accord, d’ailleurs si on prend par exemple mon exemple personnel moi personnellement, j’ai pas été psychiatrisé j’ai toujours plutôt pas trop mal réussi à passer sous les radars de la psychiatrie et je trouve que ben en vrai dans ma vie personnelle, globalement ça va je trouve que j’ai pas spécialement de problèmes de ce point de vue là donc voilà, disons que la manière dont on va vivre individuellement, ça va dépendre de énormément de choses, de nos conditions d’existence par ailleurs d’autres privilèges qu’on peut avoir en terme de racisation, blanchité, en termes de genre en terme de est-ce que on peut bien rentrer dans la norme par ailleurs, est-ce qu’on a un travail etc etc mais oui globalement je pense que il y a pas d’un côté les personnes qui auraient un diag et qui serait privilégiées par rapport aux personnes qu’ont pas de diag parce qu’elles au moins elles peuvent recevoir des soins ou alors à l’inverse, il y aurait pas de : « ah les personnes qui ont des diags, elles sont stigmatisées de partout par la psychiatrie alors que les autres sont passés sous le radar » non c’est pas comme ça que ça marche. Je pense pas que l’un ou l’autre procure statistiquement plus un avantage que l’autre

A : En fait on parlait surtout de comment l’aura de la psychiatrie influence aussi la façon dont vont se positionner les militants multiples pour parler de multiplicité en fait. Quelle position avoir par rapport à la psychiatrie et on voit que c’est ambivalent en fait, parce que la psychiatrie peut valider le fait que la multiplicité existe et en même temps la psychiatrie appose un stigmate, vu que c’est elle qui étudie ça quoi

L : Oui. Donc c’est forcément ambivalent quoi. Peut-être qu’on peut passer doucement à un point où on va un peu faire la synthèse de tout ça et se demander est-ce que un backclash est inévitable ? J’ai dit plus tôt que la lutte multiple n’en était pas au même stade et n’a pas les mêmes enjeux que d’autres luttes de personnes psychiatrisées dont les personnes trans par exemple et comme on voit actuellement un espèce de backlash transphobe actuellement par la montée en puissance de militantes ou militants transphobes qui ont une place médiatique sur certains plateaux pour expliquer qu’il y aurait une contagion transgenre, ou que les transgenres vont trop loin par rapport à différentes victoires que les militant·e·s trans ont pu gagner on se demandait finalement si cette visibilité et cette lutte culturelle de militant·e·s multiples va pas nécessairement entraîner un backlash un peu de la même façon que pour d’autres luttes sociales et je sais pas si ça t’inspire quelque chose, L’Arpetani, ce sujet ?

L : Oui oui ça m’inspire beaucoup de choses. Alors moi personnellement, pour être très honnête je sais pas si le militantisme plus culturel, c’est vraiment ça qui va déclencher une contre-offensive réactionnaire ou quoi parce que tout simplement, je pense que peu importe la forme que prendra le militantisme il y aura de toute façon une contre-offensive, parce que un moment on va bien voir que ouais on arrive à s’organiser, que on arrive à faire avancer nos droits et que on part sur des formes radicales ou culturelles, en vrai de toute façon il va y avoir un backlash et du coup oui effectivement, quand je vois par exemple, enfin c’est un truc et qui est très courant j’ai l’impression dans beaucoup de luttes c’est à dire que à chaque fois que une lutte devient plus visible médiatiquement, et plus sur le devant de la scène que ce soit en bien ou en mal du coup oui forcément il y a une contre-offensive effectivement, c’est ce qui est arrivé dans les luttes trans : au début des années 2010 la transidentité c’était un sujet qui était assez peu connu, maintenant tout le monde sait ce que c’est pas forcément très bien et pas forcément très à jour, mais tout le monde en a au moins entendu parler avec ce plus de visibilité, on se retrouve effectivement avec une contre-offensive transphobes, y compris des TERFs et du côté de la multiplicité, mais même plus généralement du handicap aussi je pense que c’est quelque chose qui nous pend au nez parce que bah en ce moment bah oui, l’anti-validisme et de plus en plus visible, la multiplicité aussi et du coup, dans les prochaines années, il faut s’attendre clairement à une contre-offensive réactionnaire de la part des institutions, de la part de personnalités réactionnaires, de la part d’idéologies politiques réactionnaires etc enfin moi par exemple alors ça peut paraître pas grand chose, mais il y a un truc je le vois venir gros comme une maison avec tous les débats qu’on a eu récemment sur la transidentité, toutes les polémiques avec le pronom iel moi je vois très vite venir toutes les polémiques sur la (transidentité) *multiplicité avec les pronoms pluriels

L : …alors c’est qu’un exemple La multiplicité du coup. Voilà c’est ça ça a l’air pas grand chose comme ça mais je pense que c’est un truc qui va arriver.

A : Ouais, moi je pensais par exemple à des idées de… je sais que par exemple pour d’autres formes de neuro-atypies, il y a les trolls d’extrême droite, disent déjà qu’en fait c’est des gens qui veulent se rendre intéressants, ou que c’est des gens qui veulent juste pas travailler et peut-être il va y avoir ça ce genre de réaction là peut-être des médecins aussi, peut-être sur les plateaux on peut prévoir finalement ce genre de réactions mais on pourrait se demander aussi je pense que notre sensibilité de gauche radicale structuraliste Foucault à toustes les deux nous fait nous dire aussi que cette réaction est un peu inévitable peut-être elle sera plus ou moins violente, ça on peut pas le savoir, on peut pas trop savoir quelle forme elle prendra aussi mais on se disait que un militantisme qui ne questionne pas la production des normes et notamment les structures qui produisent des normes, dans notre cas la psychiatrie et le capitalisme tant qu’on les questionne pas, et ces institutions sont pas questionnées dans des luttes plus libérales sur l’image culturelle qu’a la multiplicité sur le fait qu’on est normal, ces luttes-là ne questionnent pas ces institutions on se demandait est ce que ça sera suffisant et finalement on voulait faire une ouverture sur l’avenir des luttes anti-validistes et des luttes multiples et je pense que on voudrait toustes les deux que les critiques anti-psychiatrie, dans leur multiplicité j’allais dire, dans leur variété ces idées là infusent dans les espaces multiples, pour que les militants et militantes aient une meilleure compéhension de comment ça fonctionne, la création des normes sociales

L : Oui. Un autre truc que je voulais dire aussi, c’est que même si ça peut faire peur cette contre-offensive réactionnaire qui va nous arriver dessus un truc que je pense c’est que il faut aussi bien voir que quand y a une contre offensive réactionnaire c’est que en face en fait on avance. Même si aujourd’hui pour beaucoup de luttes enfin par exemple on parlait des luttes trans tout à l’heure, si on a une contre-offensive transphobe c’est aussi parce que la transidentité, elle progresse, et les luttes trans elles progressent et je pense que ça sera pareil dans le futur avec l’anti-validisme et la multiplicité moi je pense que à terme, on va gagner, on va y arriver et effectivement, la contre-offensive c’est quelque chose qui va arriver c’est quelque chose qui sera désagréable à vivre, clairement mais pour moi ça sera quelque part un bon signe, pour voir un peu le positif et apporter une lueur d’espoir parce que ça veut dire qu’en fait on est en train de progresser

A : Je pense aussi, ‘fin après on peut en discuter, mais je pense aussi que quand on est dans les espaces militants on a aussi tendance à beaucoup voir que le négatif, c’est à dire qu’on va voir les articles de gens qui vont expliquer que c’est de la contagion sociale on va voir des hommages à des gens qui ont pas survécu à la psychiatrie, qui se sont suicidées, des choses comme ça et c’est plombant en fait et je pense aussi que en tant que militant·e·s, on a un peu ce truc là de n’importe quelle présent psychophobe, c’est trop en fait là où j’ai l’impression aussi que même si dans les médias par exemple, on va voir des transphobes qui sont invité·e·s et qui vont dérouler leur argumentaire transphobe les gens en fait, ils ont déjà une idée, et souvent c’est pas juste l’exposition un propos psychophobe ou transphobe qui va convaincre les gens au contraire ça peut aussi les radicaliser dans l’autre sens en fait et que du coup c’est toujours dynamique en fait les histoires des idées c’est pas, genre, une personne va voir une idée, et va y adhérer tout de suite en fait il faut toujours se dire que faut voir les choses globalement

L : Oui. Et ça permet aussi de mieux vivre les attaques transphobes qui sont jamais agréables, tu disais ça c’est aussi être capable de prendre du recul en fait, par rapport à ces débats là, comme tu disais voir le positif, enfin c’est l’idée que je voulais faire passer en tout cas L : Un autre truc qui nous permet aussi de voir à quel point la multiplicité et le handicap c’est très lié la multiplicité c’est quelque chose qui est très compatible avec un fonctionnement anti-validiste dans le sens où quand vous allez avoir une orga qui veut avoir un fonctionnement qui soit anti-validiste ou n’importe quoi ou n’importe quel projet qui contient des personnes handicapées de manière générale quelque chose qu’on apprend très vite c’est que bah il faut respecter les limites de chaque personne et que bah voilà oui effectivement, on a des limites, non on les explique pas toujours et puis bah faut faire avec, parce que ben voilà tout le monde a des exigences et des contraintes qui lui sont propres et bah du coup la multiplicité pour moi ça rentre totalement là dedans parce que bah ouais, quand on est multiple, on a aussi des exigences qui nous sont propres et qui en plus peuvent changer pour différents alters, donc là ça peut même être encore plus compliqué à gérer et que bah oui selon moi c’est clairement avec un fonctionnement anti-validiste que la multiplicité peut être gérée la mieux possible, au niveau d’un collectif par exemple

A : En t’écoutant parler, ça m’a fait penser à une autre convergence qui me semble un peu fondamentale pour un peu prendre vraiment en compte des problématiques multiples dans des luttes d’extrême gauche c’est la question effectivement de la reconnaissance des violences sexuelles dans l’enfance de leur existence et de leurs conséquence et de leur aspect structurel aussi même si ça concerne pas évidemment tous les systèmes, c’est une grosse problématique dans la communauté multiple, notamment traumagénique et j’ai vu des gens mettre en parallèle le fait que d’un côté les violences sexuelles sont abordées dans des luttes d’extrême gauche, comme dans le féminisme mais la question des violences sexuelles dans l’enfance, c’est plus compliqué par exemple et du coup, c’est un peu cette non prise en compte, cet impensé va faire par cascade que la multiplicité sera moins crue, vu que c’est moins dans la tête des gens que ça existe et ben la multiplicité semblera moins grave ou moins présente, ou des choses comme ça et ça c’est semble être aussi un point de convergence qui est indispensable en fait, pour vraiment tout articuler d’un point de vue radical de vraiment comprendre comment la psychophobie peut marcher avec le sexisme aussi L : Oui, en t’écoutant parler de ce sujet, moi ça me fait penser que en vrai ça aurait été bien, mais bon maintenant c’est un peu tard, mais je pense qu’on aurait dû plus parler de la domination adulte dans la conférence parce que ça aussi c’est une lutte qui est encore je pense, très en retard par rapport à beaucoup d’autres et ben effectivement, comme la multiplicité pour beaucoup de systèmes c’est lié à des violences durant l’enfance bah oui effectivement, il y a clairement des ponts à établir là dessus

A : Ouais, et puis comme tu disais tout à l’heure il y a sans doute un lien entre la non prise en compte et le fait que la minimisation du fait que ça existe et l’impensé enfin tout est lié en fait finalement

L : Oui

A : On a parlé de l’avenir des luttes tel qu’on voudrait qu’il soit, mais peut-être qu’on… ça c’est notre souhait à nous on peut pas prédire l’avenir, j’ai envie de te dire Sans doute que va y avoir toujours des gens qui vont être dans de la respectabilité d’autres gens qui vont être radicaux, et les deux vont coexister. Je pense que c’est ça qui va se passer

L : Oui complètement

A : Est-ce que on aurait quelque chose à rajouter pour finir ?

L : Je voudrais rajouter juste un tout petit truc : j’ai l’impression, alors je sais pas à quel point c’est vrai mais j’ai l’impression à titre tout à fait personnel que la multiplicité n’est pas, à mon sens n’est pas encore assez présente dans les milieux anti-validistes j’ai l’impression qu’il y a encore du mal à faire la jonction entre les deux, il n’y a pas encore assez de liens à mon sens et je pense que clairement, c’est quelque chose qui est à faire, qui va clairement nous aider dans les deux sens puis bah voilà c’est là dessus que je terminerais. Je sais pas si toi tu as quelque chose à rajouter ?

A : L’émission va être diffusée en direct et on sera à présent·e·s pour répondre à des questions, si vous en avez si vous voulez cramer la psychiatrie, on pourra en discuter aussi je sais pas quoi ajouter d’autre L’Arpetani, donc si c’est bon pour toi

L : Pour moi c’est bon aussi, donc bonne journée, prenez soin de vous, et puis à tout de suite en direct

Session présentée par :

  • L’Arpetani
  • A