Comment sommes-nous devenu·es Plurals après avoir vécu la multiplicité de 1000 façons ?

Comment sommes-nous devenu·es Plurals après avoir vécu la multiplicité de 1000 façons ?

Avertissements de contenu :

Légitimité, rejet (interne et externe), plural-phobie, sanisme, fusion, injonction aux traumas
Mentions: possession, mort, médicaments, fakeclaim, accident de voiture

Transcription écrite :

[Kara] Bonjour à toustes! Ce soir, on a envie de vous parler un peu d’’étapes par lesquelles on est passés, de notre évolution, de plein de trucs, enfin appelez ça comme vous voulez, entre tous ces trucs qui étaient très ancrés dans la normativité et donc la norme plutôt singlet – du fait d’être un – à comment on se sent aujourd’hui, qui est plutôt, si on devait le dire comme dans le titre, la fierté plurale. Du coup, pour commencer, on s’est dit que ça pouvait être cool de refaire un petit topo sur qui on est et un peu d’où on vient en termes de multiplicité plutôt au moment de notre prise de conscience. Je suppose que la majorité d’entre vous nous connaissent, mais peut-être pas tout le monde, du coup, voilà. Petite précision: étant donné qu’on n’est pas sur notre chaîne, on avait envie de prendre des Vroid, qui sont plus représentatifs de notre apparence physique et qu’on n’a jamais l’occasion d’utiliser, et du coup, voilà. Et en plus, on s’est dit que ça pouvait être cool pour illustrer les différents points de vue de différentes personnes qui vont participer à cette vidéo. Bah du coup, je te laisse faire?

[Epsi] Bah du coup, moi c’est Epsi et ça, c’est mon apparence en tant qu’hôte. Si vous me connaissez pas par Partielles, notre corps a 32 ans, on habite en Belgique et on est en couple avec le système de Kara depuis plusieurs années. On a un TDI et plein d’autres trucs, que ce soit physiques et mentaux. Mais ici, on est là pour parler de multiplicité et donc on a un TDI mais on se définit plutôt comme multiple ou plural parce que la définition “trouble dissociatif de l’identité” ne nous correspond pas à 100 % et surtout la vision psychiatrique ne nous correspond pas à 100 %. Et donc on préfère simplement l’étiquette multiple. Même si le TDI est là.

[Kara] Et moi, le nom que j’utilise sur Internet, c’est Kara. C’est aussi un truc qui ressemble à mon apparence d’hôte. Et, je suis d’accord, moi aussi, je préfère multiple à TDI pour le même genre de raisons. J’ai 30 ans. Et voilà. Ce que je fais dans la vie, c’est essentiellement créer du contenu sur le blog qu’on a créé avec Epsi, et les réseaux sociaux qui vont avec, qui s’appelle Partielles et qu’on a créé début 201…8? 9?

[Epsi] [rire] Fin 2018, début 2019.

[Kara] Parce qu’à ce moment-là, il n’y avait pas de contenu sur la multiplicité en français. Et donc voilà. Au départ, c’était un blog et maintenant c’est des vidéos sur YouTube, des réseaux sociaux, etc. Mais je suppose que la majorité d’entre vous, comme je le disais, le savent. Et quand on a créé le blog, et même un peu avant, on a commencé à le réfléchir, moi, je n’étais pas du tout au courant de ma multiplicité. Et même si j’y avais réfléchi, j’en étais arrivé à la conclusion que non. On se connaît avec Epsi depuis longtemps, on est plus proches depuis 2014. Depuis 2014, je suis au courant de ce qu’ils savaient de leur multiplicité, qui n’était pas ce qu’ils en savent aujourd’hui mais on y vient. Et je me suis posé la question et je suis arrivé à la conclusion que non. Jusqu’à, pareil, plus ou moins par là quoi, vers 2019, où je me suis posé des questions sur le C-PTSD et sur mon rapport aux traumas. Et du coup, de fil en aiguille, sur une éventuelle multiplicité, qu’au départ je pensais être plutôt sur le spectre mais pas réellement du côté TDI mais plutôt plus fragments ou un truc comme ça, mais en fait non. [rire] Juste, les manifestations étaient différentes que pour Epsi. Peut être qu’on parlera un peu de ça aussi. Je ne sais pas exactement où on va. Et du coup, voilà. Moi, quand j’ai ma prise de conscience en 2019, je vis dans un climat qui est open et sécure au niveau de la multiplicité. Dans le sens où pour Epsi c’est complètement ok et pour des gens que je côtoie sur internet qui sont devenus maintenant des ami·es multiples, c’est ok aussi. Et donc j’ai vraiment une prise de conscience qui est pas marquée par la honte et par la stigmatisation. Évidemment le TDI et la multiplicité sont stigmatisés. Évidemment j’ai des biais plural-phobes et validistes, etc. Mais j’ai la chance de ne pas du tout me dire des trucs comme “qu’est-ce qui m’arrive? est-ce que je suis possédée? est-ce que je suis folle?”, avec tous les clichés autour de la possession et de la folie, enfin on s’entend, mais ces phrases qu’on entend souvent. Moi, j’ai vraiment la chance de ne pas du tout vivre ça. Et donc j’ai une prise de conscience sur le fait que “ok, c’est ça” plutôt simple, avec de la communication qui vient assez vite et qui est vraiment vite facile parce que j’ai plein de clés que je connais déjà et parce que je suis dans un environnement propice en fait. Je pense que ma prise de conscience a été si tardive – “si tardive” entre guillemets, j’avais plus de 25 ans -, parce qu’avant, juste, il fallait avancer et j’avais pas le temps et je ne voulais pas prendre le temps et je ne voulais pas me retourner pour regarder. Et voilà. Du coup, bah c’est jamais simple, mais c’était quand même simple au niveau de la prise de conscience en tant que telle. Par contre, il y a eu plein de trucs plus difficiles au niveau de la légitimité, au niveau de la honte de copier, de mentir, de la culpabilité, enfin des trucs qui étaient liés à l’extérieur mais pas à l’intra-système. Voilà, ça, c’est un peu mon topo de base.

[Epsi] Alors que pour le coup, nous, ça a été un peu différent au niveau de la prise de conscience. Déjà, ça s’est fait en deux grosses étapes. La première, c’est tout début de l’adolescence, fin de l’enfance, où “j’ai”, entre guillemets, pris conscience d’une alter. Même si je n’avais pas du tout les mots pour la définir comme ça et je ne savais pas du tout ce que c’était la multiplicité ni le TDI. Et j’en ai pris conscience vraiment parce que j’avais des symptômes qui aujourd’hui sont assez clairs et des manifestations qui sont assez claires, mais qui, à l’époque, pour moi, ne l’étaient vraiment pas. Du genre des choses qui se déplacent, ne pas se reconnaître dans le miroir de façon vraiment forte, croiser des gens que je connais pas mais qui me connaissent, etc… parce que j’ai un TDI un peu cliché. [rire] Et parce que j’avais une voix dans ma tête qui n’avait pas du tout la même façon de voir les choses que moi et qui avait sa propre personnalité, toute une personnalité d’ailleurs. Et la deuxième étape, c’était du coup au moment du diagnostic du TDI, avec une prise de conscience d’une partie du reste du système, en tout cas de l’existence de ce système, de l’existence d’autres alters que celle-là, de ma propre existence, etc. Et, contrairement à Kara, on a eu évidemment très peur. J’ai eu évidemment très peur. Parce que j’étais seule pour tout ça, parce que je n’osais pas en parler, parce que j’avais peur d’être possédée, d’être folle, toujours dans ces clichés. Mais surtout, j’avais peur de moi-même. Même si, petit à petit, au cours de l’adolescence, c’est toujours resté quelque chose qui était à côté de moi et que je considérais comme une bizarrerie dont je n’osais pas parler, sauf à certaines personnes, et ça ne s’est pas toujours bien passé d’ailleurs. Et donc, quelque part, je n’osais pas trop y réfléchir non plus. Et puis, au moment du diagnostic, qui, du coup, était bien plus tard, la peur était toujours là et il a fallu quelques années et beaucoup de soutien, notamment le soutien de Kara pour commencer et puis d’autres personnes plus ouvertes que les personnes que j’avais rencontrées jusque-là, pour que ça se passe de mieux en mieux et pour qu’en fait on arrête d’avoir peur les uns des autres en interne et qu’on ne se rejette plus et qu’on commence à se faire confiance. Et c’est un peu l’objet de cette vidéo. C’est un peu toutes ces étapes de vie par lesquelles on est passés pour arriver à ça. Mais à côté de ça, nous, on n’a pas eu de problème de légitimité comme Kara, de peur de copier, etc, étant donné qu’on était seuls et qu’à ce moment-là, on ne connaissait personne comme ça. On avait juste peur de ce qu’il y avait en nous, mais pas du regard des autres, vu que les autres, même s’ils nous voyaient, nous, on regardait pas le fait qu’ils nous voyaient. [rire]

[Kara] Oui, c’est ça. Et moi, j’y pensais parce que j’ai lu un truc comme ça sur TikTok il y a pas longtemps: j’ai déjà eu du mal avec ma légitimité et pourtant, ma prise de conscience elle est avant la médiatisation du TDI.

[Epsi] Oui.

[Kara] Je lisais un commentaire sur TikTok de quelqu’un. Et c’était quelqu’un qui disait “je pense que tu fakes que parce que rien que dans mon collège, j’en ai vues 4, des personnes multiples”. Et tu vois, moi j’étais déjà honteux de ça alors que c’était ma propre honte, c’était mes propres perceptions. Personne m’a shamé et m’a dit que je fakais spécialement.

[Epsi] Oui. Oui, pareil. Moi, le diag, il date même d’avant la sortie de Split et tout, donc j’imagine pas ce que c’est maintenant.

[Kara] Ouais c’est ça.

[Epsi] Clair.

[Kara] Du coup, je ne sais pas exactement, enfin on ne sait pas encore comment on va structurer cette vidéo. Parce qu’on le dit souvent, on a l’impression d’avoir vécu 1000 vies et du coup, d’avoir vécu la multiplicité de 1000 façons. Et du coup, c’est un peu chaud à structurer. Mais je pense qu’on va essayer d’organiser ça comme ça: un peu une situation passée qui était pas agréable, pas adéquate, honteuse, douloureuse, enfin des mots négatifs, mais qui semblait être dans la norme et semblait être ce qui était attendu de nous, versus comment on le vit maintenant avec, pas toujours tout rose, mais avec en tout cas des mots plus positifs et moins de honte, moins de mal être, etc, et du bonheur et de la joie. Mais des situations qui, au premier abord, d’un point de vue extérieur, pourraient paraître plus bizarres, moins bien, moins normales, etc.

[Fox] Puisqu’on est dans une vidéo sur la fierté plurale – même si on n’est pas obligé·es en fait de se montrer et de se dévoiler avec notre apparence et avec notre nom -, j’ai changé l’apparence que j’ai parce que je ne suis plus la même personne qu’avant, parce qu’on va parler de l’adolescence et la personne d’avant n’y était pas alors que moi oui. [rire] Pour reprendre ce qu’elle disait, on a eu conscience d’une alter, qui s’appelle A., qui était très différente de moi du coup, à ce moment-là. Moi je suis quelqu’un d’assez extraverti, qui parle, déjà, et qui n’a pas trop de problèmes à vivre la vie telle qu’elle est, [rires] telle qu’elle est vraiment, ce qui n’est pas vraiment son cas. Elle est plutôt solitaire, avec des notions bien à elle de ce qu’il faut faire et ne pas faire, et avec, surtout à cette époque-là, des comportements qui étaient assez différents des miens, même si c’est toujours le cas aujourd’hui. La prise de conscience de son existence en tant que juste “entité”, ce quelqu’un d’autre dans ma tête, parce que justement, elle avait son flux constant de pensées qui n’était pas totalement synchro avec le mien et des comportements qui m’étaient rapportés, mes comportements qui m’étaient rapportés et qui n’était pas à moi parce que, à ce moment-là, surtout, j’avais beaucoup de blackouts avec elle, ce qui perdure toujours mais c’est quand même moins le cas et surtout, c’est moins flippant qu’à ce moment-là. Et du coup, j’en parle vraiment en rigolant maintenant, parce que de l’eau a coulé sous les ponts et parce que maintenant, on s’entend bien et qu’on a vraiment une confiance mutuelle. Mais à l’époque, ce n’était pas le cas parce que c’était vraiment assez flippant. Avoir un autre courant de pensées vraiment assez désagréable, jugeant, qui veut se faire entendre et qui, s’il n’est pas entendu, fait les choses à ta place ou te donne mal à la tête, ce n’est pas agréable, surtout avec une vision des choses assez drastique. Et malgré tout, je n’en ai pas parlé. Parce que même si je le savais, même si- Je voulais pas l’entendre, je ne voulais pas le voir et je ne voulais pas savoir ce que c’était parce que juste pour moi, c’était un truc bizarre et flippant qui m’était très désagréable. Du coup, l’adolescence a été assez chaotique, on ne va pas se mentir, Beaucoup de difficultés, des problèmes scolaires, des problèmes relationnels, des problèmes alimentaires et autres trigger warning, et d’autres alters qui se sont formé·es, d’autres traumas par rapport à ceux qui existaient déjà mais dont on n’avait pas conscience. Bref. Une adolescence de TDI telle qu’elle peut exister. Et cette alter-là a un peu pris pour elle tout ce qui était désagréable. Parce que je n’avais conscience que d’elle et elle n’avait conscience que de moi. Et en fait, il y avait une multitude d’autres alters derrière chaque mais ni elle ni moi ne le savions. Puis, ce qu’il s’est passé, c’est qu’on est entrés dans une relation qui est devenue de plus en plus compliquée au fil des années, mais surtout qui, au début, a beaucoup pris le pas sur la solitude qu’on avait à ce moment-là. Parce que j’étais souvent seule et donc j’avais souvent la possibilité d’avoir ce genre de pensées, de manifestations, etc. Ce qui, après, a été moins le cas suite à cette relation qui était omniprésente dans ma vie, de façon malsaine. On peut être omniprésent dans la vie de quelqu’un de façon saine, mais là c’était pas le cas. Et suite à d’autres trucs en plus, cette alter-là est partie en dormance. Ça a vraiment complètement disparu de mes considérations pendant plusieurs années, malgré le fait que ça pouvait revenir de temps en temps. Parce que, même si j’avais l’impression que ça avait disparu fin d’adolescence, début de l’âge adulte, j’avais l’impression que vraiment ça n’arrivait plus, qu’il n’y avait plus ces trucs chelou qui se passaient. Juste, en fait, j’en avais encore moins conscience parce que c’était moins avec une alter qui pouvait se remarquer. Et donc ponctuellement, ça revenait dans mon esprit, mais j’avais quand même vraiment laissé ça de côté. Et puis elle est revenue quelques années après, suite à d’autres événements. Et toutes les peurs sont revenues avec, parce que j’avais peur d’elle. Au-delà d’avoir peur d’être bizarre, j’avais peur de ce qu’elle pouvait faire, j’avais peur de ce qu’elle pouvait détruire dans ma vie, j’avais peur de ses comportements, j’avais peur de ses réactions, et elle considérait toujours que j’étais pas suffisamment forte. Alors que, et elle et moi, on était dans le faux. Mais à ce moment-là, on n’arrivait pas à le comprendre. Mais c’est avec les années et les prises de conscience et la discussion et les essais et erreurs beaucoup, qu’aujourd’hui, ça va vraiment mieux.

[Kara] Merci pour ton intervention. [rires]

[Fox] De rien, avec plaisir.

[Enochi] Du coup, pour contextualiser, moi je suis celle qui a vécu, du coup, du début de l’âge adulte à un peu après la prise de conscience. Enfin, on ne savait pas que c’était moi, mais maintenant on le sait. Et je suis celle qui a vécu le plus et qui a, entre guillemets, “pris le rôle d’hôte” pendant ces années-là. Et donc j’étais là notamment quand l’alter dont Fox parlait juste avant est revenue. Mais même si ce n’était pas moi à l’adolescence, j’avais quand même tous les souvenirs et toute cette peur. Parce que c’est dans la mémoire commune et dans les sentiments qu’on a tous en commun. Et du coup, quand elle est revenue, j’ai moi même effectivement eu très peur parce que j’en avais parlé à la relation avec laquelle j’étais à ce moment-là mais j’en avais parlé au tout début et puis ce n’était plus vraiment revenu comme sujet parce que, comme elle le disait, c’était resté un peu plus loin de notre esprit. Et je sais que quand elle est revenue, ma relation, ce n’est pas la première personne à qui j’en ai reparlé parce que j’avais trop peur en fait. Et j’avais honte aussi parce que j’avais honte de redevenir bizarre, alors qu’en fait je n’avais jamais cessé de l’être mais je me voilais un peu la face, mais je m’en rendais pas compte. Et j’avais vraiment peur qu’elle mette ma vie sans dessus dessous. Alors qu’en fait, à ce moment-là, je ne le savais pas, mais ce qu’elle cherchait à faire, c’était à me protéger parce que ma vie était déjà sans dessus dessous et ne me convenait pas du tout. Mais je n’arrivais pas à le voir alors qu’elle était très clairvoyante sur le sujet. Mais je ne voulais pas l’écouter parce que j’avais vraiment peur d’elle. Et c’est vraiment plus quelque chose qui arriverait, je pense, aujourd’hui, parce qu’on s’est rendu compte que même si les alters s’expriment d’une façon parfois particulière ou qui va à l’encontre de ce qu’on pourrait penser être la bonne façon de faire ou de voir les choses, ou même si leur façon de l’exprimer est mauvaise et s’exprime par de la colère, du rejet, de la rancœur, souvent, il y a un besoin à combler derrière et souvent c’est pour aller dans la bonne direction. Même si parfois, c’est juste de la peur, mais la bonne direction, c’est d’aller dans le sens de rassurer ces alters et pas juste de les rejeter. Mais ça a pris quand même un certain temps pour qu’on s’en rende compte. Et donc finalement, j’ai quand même parlé à cette relation du retour de cette alter et ça s’est pas très bien passé parce que ce n’était pas une relation saine et c’était justement de ça dont l’alter voulait me protéger. Mais surtout, c’est une relation qui a été assez longue et qui a duré aussi pendant la deuxième prise de conscience, c’est-à-dire le moment du diagnostic, etc, et donc la prise de conscience du reste du système, et donc d’autres alters, dont par exemple des alters comme Fox juste avant, ou même des littles. Et on a vécu de façon plus intime encore le rejet de la multiplicité en tant que telle. Parce qu’avant ça, on avait déjà parlé de ce “truc bizarre” qu’on avait dans la tête, de cet autre quelqu’un qu’on avait et ça avait déjà posé des problèmes dans certaines relations parce que c’était trop bizarre pour être accepté ou parce que ça avait un côté effrayant pour les gens, alors que ça ne l’était pas en fait mais voilà. Mais là, c’était vraiment plus intime et dans notre quotidien, parce que c’était effectivement une relation qui était omniprésente et ça a mené à beaucoup plus de honte encore. Parce qu’au-delà d’avoir honte et d’avoir peur de ce qu’on était, on avait peur pour notre relation extérieure qui avait peur de nous. Et même si cette relation-là n’était pas saine, je sais que ça arrive même avec des gens qui veulent pas mal faire au départ, mais qui ont les mêmes conséquences. C’est-à-dire que ne pas vouloir voir certains alters, les rejeter, ne pas comprendre que parfois, effectivement, il y a des interactions qui se passent pas bien mais que ça donne pas l’autorisation de dire “je ne veux plus voir cet-te alter”, “je ne veux plus voir que toi” ou des choses comme ça, en fait ça ne se fait pas du tout et ça fait très mal aux alters concerné·es et ça apporte beaucoup de honte et de culpabilité aux alters “choisi·es”. Parce qu’on ne peut pas toujours contrôler et parce que très intimement, en fait, c’est un rejet d’une partie de ce qu’on est. Même si je ne considère pas que tous les alters sont des parties d’une seule personne, on est quand même une partie d’un tout qui est notre corps, qui est notre entité multiple. Et se voit rejeter une partie de ce qu’on est, c’est aussi un rejet envers soi-même en tant qu’alter. Et on peut avoir envie de se plier parce que justement, on peut avoir peur ou avoir honte, et donc on se dit que c’est la bonne chose à faire. On veut faire plaisir à l’autre. Souvent, on a aussi des traumas relationnels qui poussent à vouloir bien faire les choses. Et on a l’impression qu’on fait bien les choses en essayant de contrôler ou en essayant de cacher quand on n’arrive pas à contrôler. Mais au final, ça amène juste à plus de difficultés et de sentiments négatifs. Alors qu’aujourd’hui, et depuis plusieurs années maintenant, on est dans une relation qui nous a toujours acceptés, individuellement et en tant que tout, et même avant de savoir combien on était et même avant de savoir qui on était vraiment, etc. Et ça nous a apporté une énorme liberté. Ça n’a pas été facile, ça a quand même mis longtemps avant qu’on se dévoile et qu’on ose se dévoiler et qu’on ose exister. Et encore aujourd’hui, on a parfois honte d’avoir des réactions inappropriées parce qu’en fait ça vient de quelqu’un d’autre ou que quelqu’un d’autre ait des réactions inappropriées. Mais on sait que le problème est pas la multiplicité, mais plutôt, par exemple, des réactions à des traumas ou à des vieux schémas. Et ça apporte vraiment une liberté d’exister qui nous a jamais été autorisée avant et que la société généralement ne nous autorise pas. Et ça fait du bien. Ça permet d’être moins épuisés parce qu’au final, on est fatigués. Ça permet de déculpabiliser. D’exister, simplement, en fait. Et donc voilà, c’est vraiment quelque chose que je souhaite à tout le monde: c’est de trouver quelqu’un, singlet ou pas, qui accepte la multiplicité vraiment et pas l’accepte comme “oui c’est bizarre mais ça se contrôle” ou des choses comme ça, ou “oui, mais en fait, intimement, je préfère tel-le alter et sans vraiment donner l’injonction, en fait je donne l’injonction de ne vouloir voir que tel-le ou tel-le alter, ou en tout cas de ne pas avoir tel-le ou tel-le alter”. Et voilà,je souhaite à toutes les personnes multiples et à tous les alters de pouvoir exister en tant qu’eux dans leur relation. Dans mon cas, c’était une relation amoureuse mais je sais que ça arrive aussi dans les relations familiales, avec les parents qui ne comprennent pas et qui veulent voir “leur enfant” alors que leur enfant, c’est l’entité. Et donc voilà, c’est vraiment quelque chose qui, je pense, est commun pour beaucoup de personnes multiples, de vivre ce rejet de façon plus ou moins forte. Et je sais que ça arrive aussi malheureusement vis-à-vis de la psychiatrie, etc., et que ça, c’est encore un autre stade. Mais c’est aussi toujours ce même problème de considérer que la normalité, c’est d’être 1, d’être singlet, alors qu’en fait ce n’est pas la normalité, c’est juste la norme, c’est ce qu’il y a de plus commun. Mais ce n’est pas parce qu’on est multiple qu’on n’est pas “normal·e” et donc il faut accepter la multiplicité en tant qu’une normalité comme une autre.

[Kara] Oui, et je pense que tout ce qui est induit par l’extérieur dans ce truc de préférer quelqu’un ou ne pas accepter les alter moins adapté·es, ben je pense que pour plein de personnes, et ça a été notre cas dans une certaine mesure même si je pense pas qu’on est les personnes les plus concernées par ça, ça a un impact interne de, on va le dire beaucoup le mot mais du coup, de plural-phobie intériorisée, de ne pas vouloir laisser fronter certains alters de peur que leurs réactions ne soient pas adaptées. Et je pense que ça amène aussi à tous ces questionnements de vouloir être le “préféré” soi-même. Et du coup, d’avoir peur de laisser fronter des gens de peur qu’ils volent la place. Je sais que ça a posé question à certains moments, de se dire “ah, et si en fait tu préfères Bidule à moi” ou des choses comme ça. Et je pense vraiment que c’est induit par ça, c’est induit encore par cette norme singlet qui dit qu’on peut aimer qu’une personne. Avec tous les clichés sur le polyamour, parce qu’est-ce qu’on peut réellement dire que sortir avec plusieurs alters, c’est être polyA ou pas, c’est un grand débat. Mais oui, c’est induit par de la plural-phobie qui dit qu’il y a une personne et donc qu’il faut être la personne du lot. Et clairement ouais, il n’y a pas grand-monde de pas multiple, mais même pas grand monde tout court, qui imagine à quoi ressemble notre couple et à quel point la diversité d’interactions est grande et à quel point on est tous en relation avec tout le monde, quel que soit le type de relation. Et oui, clairement, ça, c’est vraiment un bon exemple de trucs qui, sociétalement parlant, on pourrait pas en parler, ça pourrait pas être compris alors que c’est tellement mieux et tellement plus bénéfique et tellement plus sain en fait. Parce que oui, je suis vraiment d’accord sur le fait que c’est être sois-mêmes (au pluriel). Et je sais qu’au début, ça vous semblait pas limpide. Comme je le disais dans l’introduction, moi j’ai pas cette honte d’être plusieurs. J’ai des peurs sur le fait de ne pas l’être ou des trucs comme ça, mais je sais que ça vous semblait pas limpide d’imaginer qu’on soit plusieurs en couple, même si vous vous me perceviez comme une seule personne, mais que je sois avec plusieurs d’entre vous.

[Enochi] Je pense que ça venait aussi du fait qu’on avait toujours été deux entités très séparées et que les gens l’avaient toujours soit aimée elle, soit nous avait aimés, nous. Et avec toujours un rejet de l’autre. Et du coup, la première chose que vous avez fait, même quand vous pensiez être que 1, c’est d’aimer les deux de façon égale et ça a déjà changé énormément de choses.

[Kara] Un autre truc qui a beaucoup changé et évolué, c’est un peu la notion de “qu’est-ce que la multiplicité?” et “qu’est-ce qu’il faut en faire?”, un peu. Ça a aussi été une grande étape, différente pour vous que pour moi, mais grande quand même. Parce que même si maintenant on est très ok et très au clair avec le fait que ce qui nous pose problème dans nos vies, ce n’est pas être plusieurs, mais c’est tout plein de trucs qui sont associés, mais pas le fait d’être plusieurs, bah ça n’a pas toujours été le cas, particulièrement pour vous. Je me souviens qu’en 2014, au moment où, avant le diag, je vous disais “vous êtes sûrs que c’est pas un TDI?” et tu me disais “non, parce n’est que deux” [rires], je sais que je suis tombé sur des directives de l’ISSTD. Du coup l’ISSTD, c’est un truc américain, je sais pas c’est quoi l’acronyme mais c’est “du trauma et de la dissociation”. Mais c’est en clair les directives sur comment on est censé traiter les personnes avec un TDI. C’est des directives qui ont été écrites il y a quelques années déjà, il y a une v2 qui est en cours mais qui n’est toujours pas sortie, enfin bref. Ne lisez pas les directives de l’ISSTD, c’est nul. Et je sais que j’ai lu les directives de l’ISSTD. Et dans les directives, il y a des trucs très, genre, il faut pas, pour les personnes extérieures, il ne faut pas parler aux alters, il faut pas donner de l’importance et des trucs comme ça. Et surtout, surtout, il faut pousser à la fusion. Donc c’est un truc écrit pour les psys. Il faut pousser à la fusion, avec beaucoup moins de nuances que ce qu’on en entend maintenant. Maintenant, les théories, même les théories pro-fusion, disent des trucs comme il faut considérer les alters pour qu’ils puissent régler leurs traumas, pour qu’après on puisse les intégrer, ce qui est déjà pas ce que je pense, mais maintenant au moins ça dit ça. Que les directives de l’ISSTD, c’est même pas ça quoi, c’est Il faut avancer et pousser à ce que la personne, elle fusionne et redevienne normale, en étant une seule personne parce que c’est comme ça qu’on est une bonne personne. Et je sais, je me vois lire ça, et je me vois me dire… [rire] Je me vois me poser la question du “est-ce que je fais bien?” avec vous, à l’époque de… bah ouais, de parler à A., de vous considérer, de vous aimer comme des personnes différentes. Et vraiment je me pose la question. Et je ne sais pas pourquoi je fais le bon choix, mais je fais le bon choix.

[Enochi] C’était difficile de faire autrement avec A. de toute façon.

[Kara] Pourquoi?

[Enochi] Parce qu’elle était trop différente.

[Kara] Oui.

[Enochi] Difficile de ne pas la considérer en tant qu’elle.

[Kara] C’est vrai.

[Enochi] T’aurais pas pu agir comme avec nous, avec elle. Il y a des gens qui ont essayé. [rires]

[Kara] Ces gens ne sont pas restés là longtemps. [rires]

[Enochi] Ils sont morts. Non. [blague, rires]

[Kara] À ses yeux, morts à ses yeux.

[Enochi] C’est plutôt l’inverse, c’est qui est vivant à ses yeux? [rires]

[Kara] Mais du coup, je sais que moi, je me suis posé la question. Mais je sais que vous, c’est plus profond que ça.

[Enochi] Oui, en fait, avant la prise de conscience – je vais parler en “je” parce que je faisais partie de l’entité qui n’était pas A. [rire] -, je savais que j’étais bizarre, mais c’était juste une bizarrerie. Ce n’était pas quelque chose vraiment. Ça faisait partie des trucs bizarres que je vivais. Et après le diagnostic et la prise de conscience qui ont eu lieu plus ou moins en même temps, cette bizarrerie est devenue un trouble à guérir. Parce que ça faisait partie des idées reçues qu’on avait, de quand on a un trouble, il faut en guérir. Et c’est pas faux, le fait que c’est bien d’en guérir. Mais la notion de guérison n’est souvent pas la même et la perception qu’on en a n’est pas la bonne en général, quand on a des idées reçues, ce qui est le cas de beaucoup de gens. Et l’idée reçue qu’on a eue automatiquement avec le TDI, c’est le fait de redevenir une seule personne. Et je dis “redevenir” alors qu’en fait, c’est faux parce qu’on ne l’a jamais été. Mais c’était l’idée qu’on en avait. Et c’était l’idée qui a été effectivement avancée par les psys qu’on a vu·es. Même si ce n’était pas injonctif ou agressif, il n’y avait pas l’air d’y avoir d’autres chemins, c’était ça qu’il fallait faire. De la même façon que d’autres troubles, on va donner des cachets pour “devenir normal”, ben c’était ça quoi, il faut fusionner. Et donc on ne s’est pas posé la question, on s’est dit que c’était ça qu’il fallait faire pour remettre de l’ordre dans notre vie. Et donc effectivement, c’était un peu de façon profonde la première idée qu’on a eue et qu’on a gardé un certain temps. Et je sais qu’on se posait la question de ce que ça donnerait une fusion avec A. et de ce qu’on garderait de qui et pourquoi. Et en fait, au fond, on n’était pas trop pour, mais on n’avait pas l’impression que c’était possible de faire autre chose. Et je sais que ça a amené des questions comme, et c’est quelque chose sur lequel A. a joué à certains moments, “c’était qui la première?”. Parce qu’il fallait raccrocher le morceau détaché à la première. Et je pensais que la première, c’était moi – dans l’entité “moi” [rire] – et A. me disait que c’était elle. Et c’était une question vraiment bizarre à se poser en fait. Et dans notre cas, c’était ni l’une ni l’autre parce qu’il n’y a pas de première comme ça, et je pense que c’est le cas pour beaucoup de systèmes. Mais ça a mené, c’est un peu la même chose que ce que je disais avec les relations en fait, ça a mené à ce qu’on se rejette parce qu’il fallait que la vraie, la seule, soit celle qui contrôle la vie – moi -, alors qu’en fait, je n’étais pas faite pour gérer seule. Mais plutôt que de mener à une coopération ou même à un rapprochement, parce que quand on pense à fusion, on pense à des choses qui se rapprochent et puis qui se rejoignent, mais là, en fait, on a vécu du rejet. Parce que c’était ce qu’il fallait faire alors que ça ne marche pas. [rire] Et on s’est vraiment beaucoup détachés de ça parce qu’on s’est bien rendu compte que ça allait être très compliqué et qu’au fond, ce n’était pas ce qu’on voulait. Et on est beaucoup mieux à pouvoir vivre de façon individuelle et en tant que nous. Je sais qu’il y a des systèmes qui veulent la fusion malgré tout et c’est totalement leur choix. Ce n’est pas le nôtre du tout. Mais dans tous les cas, je pense que l’important, c’est vraiment de faire attention à pourquoi on la voudrait. Si c’est dans un but que “l’original·e reprenne sa place” ou si c’est ce que la société veut ou si c’est ce que le psy veut, je pense que c’est pas une bonne raison et que ça peut mener qu’à du rejet et donc pas à ce qu’on veut.

[Kara] Oui, ou si c’est “récupérer sa vie” aussi.

[Enochi] Oui, ça c’est vraiment quelque chose qu’on a pensé: les alters ont détruit ma vie et l’ont mise sans dessus dessous, et ont fait des mauvais choix, et ont mis fin à des relations, et des choses comme ça. Alors qu’en fait c’est beaucoup plus compliqué que ça.

[Kara] Il y a aussi ce truc d’avec la gestion du partage du temps. Il y a ce “partager son temps, c’est avoir moins de temps pour soi”. Et du coup, être plusieurs, c’est avoir moins de temps pour soi, avec toutes ces rancunes et problèmes qu’il peut y avoir. Par exemple, si on voulait être à un événement et qu’on n’y est pas. Et moi, j’ai vraiment remarqué que plus je veux être quelque part et plus il y a de la pression, de l’excitation, du stress, etc, autour d’un événement, et moins j’y suis. [rire] C’est le concept de la vie. Et du coup, ouais tu vois, je pense que c’est vraiment un truc un peu facile comme lien de se dire “si je suis seul·e, au moins j’irai partout”. Alors que là encore, je pense que c’est induit par une norme du fait que en étant 1, tout est plus simple. Alors que bah non en fait. Déjà, il y a mille et une raisons, autres que le fait que ce soit un autre alter qui y soit, que ce ne soit pas moi qui y aille. Imaginons, projection, même si j’étais qu’une seule personne, peut-être que s’il y avait que moi, peut-être que j’aurais été trop angoissé et que je serais pas allé, peut-être que j’aurais été trop dissocié et que j’aurais oublié, peut-être que, enfin, il y a mille et une autres raisons que “c’est un autre alter qui y est allé à ma place” qui fait que j’aurais pu ne pas aller ou ne pas mémoriser l’action. Et voilà. Et vraiment, ça a été un peu compliqué de se dire ça. Et, à l’inverse aussi, de moments où j’avais l’impression d’avoir été cool et badass et brillant, et de me rendre compte que c’était pas moi. Ça a été un peu compliqué de travailler là-dessus et de se rendre compte que ce qui était important, c’était de le faire, d’en avoir les souvenirs, de pouvoir se les partager si on ne les avait pas et surtout d’en profiter et que la personne qui y soit en profite. Et maintenant, c’est vraiment ce à quoi on veille. Même si, comme je disais, plus il y a de la pression et plus il y a de l’anxiété et donc plus il y a des ratés. Mais ce qu’on essaye de faire nous, c’est que ce soit des personnes qui ont envie de faire des actions qui fassent des actions, qu’elles soient adaptées ou pas, qu’elles soient en lien avec ce qui est attendu de façon sociétale ou pas, mais surtout, que ce soit ok. Et dans l’absolu oui, que toutes les personnes qui ont envie d’y être, y soient. Mais ce n’est pas toujours possible et c’est vraiment ok maintenant. En fait, depuis que j’ai compris que mettre mon énergie sur le fait de faire en sorte que ça se passe au mieux, pour que toutes les personnes qui ont envie d’y être y soient ou pour que, comme je viens de dire, la mémorisation soit bonne, eh ben, de mettre mon énergie là, plutôt que de mettre mon énergie à y être coûte que coûte. Ben en fait, c’est beaucoup plus fonctionnel. Ça marche tellement mieux de ne pas m’épuiser à faire un truc qui, de toute façon, ne marchera pas. Et voilà. Ça peut sembler contre-intuitif de se dire “il faut lâcher prise sur le fait d’avoir envie de faire quelque chose” pour pouvoir faire quelque chose.

[Enochi] Pour revenir à ce que toi, tu disais: ce qui a beaucoup changé chez nous, c’est déjà évidemment le fait de ne plus se rejeter comme on se rejetait, mais surtout, on est contents les uns pour les autres. Et c’est quelque chose qu’on était capables de faire vis-à-vis des personnes extérieures, d’avoir envie que les personnes à l’extérieur de nous, elles se sentent bien, qu’elles soient heureuses, que ce soit grâce à nous ou pas, mais qu’elles vivent de belles choses. Et ce n’est pas quelque chose qu’on faisait pour nous-mêmes à l’intérieur. Et c’est quelque chose qu’on développe de plus en plus depuis qu’on se rejette plus et depuis ces dernières années, et depuis qu’on est fiers de qui on est de plus en plus. Et ça a énormément changé les choses. Et je pense que ça fait partie de ce que tu disais, de pouvoir être content que ce soit un autre alter qui soit allé à l’événement. Et si on a le souvenir, les sentiments, et si nous-mêmes on est contents, tant mieux. Mais aussi, de toute façon, même si on est un peu déçus de ne pas y être allés nous-mêmes, on est vraiment contents pour l’alter en question. Et c’est pas toujours faisable, évidemment. Il y a des situations où c’est plus compliqué que ça et il y a des réactions qu’on aurait préféré avoir nous-mêmes plutôt que ce soit un autre alter qui réagisse, ça arrive encore, évidemment. Mais dans la plupart des cas, on arrive vraiment à avoir de l’affection les uns pour les autres et l’envie de réussite des uns et des autres, comme on peut l’avoir pour les personnes extérieures. Et voilà. C’est vraiment notre façon de vivre la multiplicité. Et c’est aussi quelque chose pour lequel on ne voudrait pas la fusion, parce que c’est agréable d’avoir des gens, même en soi, qui sont fiers de nous et d’être fiers de gens qui sont en soi aussi.

[Kara] Après, pour moi, j’avais l’impression qu’il fallait être “ta-ta-ta”, et pour certaines personnes, ça marche mais pour moi, ça ne marche pas. Et moi, je pense plutôt que ce qui marche pour moi, c’est “ta-ta-ta”.

[Enochi] Oui, qu’il fallait être quoi par exemple?

[Kara] Par exemple, au début de ma prise de conscience, j’ai eu l’impression que, pour être légitime, il fallait être très différencié·es. Parce que ma référence, c’était vous. Et c’est en connaissant d’autres systèmes que je me suis rendu compte qu’en fait, on était une multitude, avec des vécus différents, et surtout qu’il existait des systèmes plus comme le mien et des systèmes plus comme le tien. Et du coup, j’ai eu vraiment honte. J’ai eu l’impression que c’était moi qui devais m’adapter pour rentrer dans la case, et pas la case qui devait s’adapter pour rentrer dans moi. Et du coup, oui, j’ai eu l’impression qu’il fallait qu’on soit plus développé·es, ou en tout cas, on l’était pas assez et que c’était pas bien. Et j’ai eu l’impression que je devais savoir qui était qui, quand et où, et qui commençait où, et qui terminait où, que je devais savoir à quoi on ressemblait physiquement, que je devais un peu être sûr de moi sur le background, qui s’appelle comment, qui a quel âge, qui a quel caractère et quelle couleur préférée. Et je n’en savais rien. Et c’est moins obscur qu’avant mais globalement, il y a des trucs que je sais toujours pas. Et voilà. Il y avait plein de cases comme ça que j’avais l’impression qu’il fallait cocher pour être légitime. Et pas que légitime dans le diag, parce que les critères diagnostiques sont pas grands et du coup c’était encore “facile”. Mais c’était deux choses différentes quoi. J’avais l’impression qu’il fallait être “un bon multiple”, et le diag c’était autre chose encore. Même si j’avais cette peur de ne pas être multiple et de ne pas avoir de TDI, mais c’était un peu… tout était interconnecté mais tout se mélangeait aussi. Mais enfin voilà, j’avais l’impression qu’il y avait des trucs à cocher pour être “sur la bonne voie”. Et ma bonne voie à moi, c’était pas “la bonne voie”, qui va vers la fusion, vu que ça, je l’avais bien compris, et c’était un choix que j’avais déjà fait, comme je disais, en lisant les directives de l’ISSTD et en me disant que non. Même si ça a causé aussi de la honte et de la culpabilité. Quand tu dis que, tu vois, que tu demandais ce que ça donnerait un mélange entre votre bloc et A., moi aussi, je me le suis demandé. Et je sais que je me suis dit que j’en avais pas envie et j’ai eu honte parce que j’avais l’impression d’aller contre votre guérison. J’avais l’impression d’avoir des mauvais sentiments, qui voulaient pas vous faire du bien, de ne pas vouloir que vous partiez. Bref. Mais du coup, un peu plus tard, après ça, moi non, j’avais l’impression que oui, il fallait cocher des cases pour être accepté, pour être comme tout le monde, pour être comme tout le monde parmi les bizarres. Et, ben c’est pareil, je sais qu’on en parle aussi souvent, mais il y a un peu la même chose sur ces injonctions sur les rôles. J’avais l’impression que les alters devaient avoir une cause, une origine et une fonction. Enfin voilà, c’était sur un peu plein de domaines différents. Et la conclusion que j’en tire maintenant, c’est: je pense que les cases et les trucs à cocher, ils sont importants que pour sois-mêmes – “sois-mêmes” au pluriel. Et donc, j’en parle souvent mais on a un ami qui est très anti-roles [rire], ce qui n’est pas mon cas, mais c’est pour moi, en fait. Moi, dans notre système, les rôles, on trouve que c’est quelque chose de pertinent. Et du coup, pour communiquer, on trouve ça pertinent et on trouve ça cool. Et donc cette case-là, moi je la coche. Et quand on rencontre un nouvel alter, j’essaye de trouver c’est quoi son rôle, avec les définitions personnelles que j’ai sur les rôles. Par contre, encore plus avec le fait d’avoir une mauvaise visualisation avec l’aphantasie, le physique, c’est pas quelque chose qui me parle. J’ai arrêté de faire des picrew des nouveaux alters, alors qu’avant je me disais qu’il fallait que je le fasse. Parce que c’est pas une case qui match avec moi. Et c’est ça qui a changé. Et c’est ça qui maintenant est bien. Je me suis détaché de ce que tout le monde fait ou “ce qu’il faut faire”, que ce soit dicté par la psychiatrie, comme la fusion, ou dictée par les pair·es, comme faire des picrew. Et j’ai trouvé mes propres cases. Et mes propres cases ne sont pas les mêmes exactement pour tous les membres de mon système, mais on peut les adapter, mais voilà. C’est le temps qui a fait que. Et la rencontre de plein de systèmes, c’est vraiment un truc qui nous aide à fond et qu’on essaye de retransmettre dans Partielles, mais la multitude de vécus différents, elle m’a tellement aidé à me dire qu’en fait c’était faux, qu’il n’existait pas de cases universelles.

[Epsi] Tu vois, il y a des gens qui sont “atta-chiants”, bah je trouve qu’Enochi, elle est “atta-chou”.

[Kara] Ouiii! [rires]

[Epsi] Je trouve ça intéressant que tu parles des rôles parce que c’est un sujet que je m’étais dit que c’était bien d’aborder. Comme tu l’as bien dit, nous, on utilise les rôles dans notre définition et ça nous convient. Par contre, c’est un truc qu’on voit assez souvent, qui est un peu: les rôles donnent l’impression que tout doit exister pour une raison et que donc les alters existent pour une raison très spécifique. Souvent dans cette espèce de “job” de lutte contre les traumas et ne “peuvent pas exister en dehors de ça”, entre guillemets. En tout cas, c’est une espèce d’injonction. C’est encore une fois une espèce de norme de singlet-normativité, de penser que tout ce qui n’est pas singlet existe pour une raison qui doit être valable. Par exemple, on ne peut avoir des alters que si on a vécu le pire, au point que notre cerveau se dissocie et crée d’autres identités. Alors que, on en reparlera, mais ce n’est pas toujours le cas, mais bref. Et ces “entités”, donc ces alters, doivent avoir une raison d’existence spécifique et n’agir que par ce filtre de raison d’existence. Et donc ça peut mener à des trucs comme: on ne switche qu’en cas de déclencheur ; un protecteur ou un persécuteur ne sera “jamais autre chose” ; les littlres, il faut les faire grandir, si ça reste des littles, ça veut dire qu’ils sont toujours “pas normaux” alors que c’est complètement faux.

[Kara] Ouais, et où, en fonction de dans quelles sphères tu traînes, les littlres c’est des “vrais enfants” et il faut les considérer comme des enfants et…

[Epsi] Comme des enfants du monde physique, oui, oui.

Et qu’est-ce que tu ressens, toi, quand on te dit, enfin quand on parle des littles et que, soit on veut les faire grandir, soit on considère que c’est comme des enfants du monde physique au niveau des responsabilités et capacités?

[Polly] Ben ça, les gens, ils sont juste relou. Non mais c’est ce truc de vouloir toujours s’occuper de la vie des autres avec des mauvaises intentions et de présumer ce qui est bien.

[Epsi] [rire] Oui.

[Polly] Quoi? T’es pas d’accord?

[Epsi] Si. Et comment tu le vis, toi?

[Polly] Ben moi, je m’en fous. Parce que je fais ce que je veux.

[Epsi] [rires] Oui.

[Polly] Mais j’ai de la peine pour les autres dans d’autres systèmes. Parce que moi, je m’en fous. Moi, je conduis. Moi, j’achète des trucs. Moi, je fais ce que je veux. [rire] Non mais c’est vrai! Mais c’est justement pour ça que je peux faire ce que je veux, c’est parce que je fais ce que je veux avec responsabilité. Parce que je ne suis pas quelqu’un de responsable.

[Epsi] C’est vrai.

[Polly] Mais je suppose que si on me laissait pas faire ce que je veux, je ferais quand même ce que je veux. Et est-ce que je serais du coup aussi responsable? [chuchotement] Je ne suis pas tout à fait sûre. [rire] Tu vois, c’est: si c’est pas clair, ça pousse à abuser – pour les gens plutôt extravertis – ou à s’effacer – pour les gens plutôt introvertis.

[Epsi] C’est vrai.

[Polly] Qu’avoir des règles et des compromis clairs, ben… Tu vois, je pense qu’il y a des gens qui doivent genre fixer un budget pour savoir combien ils peuvent dépenser. Moi, j’ai pas besoin parce que je sais. Mais si tout était interdit ou si j’avais besoin d’un budget et qu’on me mettait pas de budget, je ferais plus facilement n’importe quoi.

[Epsi] Est-ce que les autres ou est-ce que toi avez déjà eu honte de comportements plus “d’enfant”?

[Polly] Oui, avant, oui, avant la prise de conscience. Ben avant la prise de conscience, à l’adolescence, à partir de là, c’était moins admis. Tu vois, il fallait avoir l’air grand. Et je pense qu’il y a eu des trucs un peu de lutte et de “de quoi j’ai l’air?”, “mais j’arrive pas à le réfréner”, des trucs comme ça, comme conscience globale. Et voilà. Et puis après la prise de conscience, c’était ok. Et vu que j’ai pas de problème avec le fait d’exister parce que, enfin tu vois, genre avec toi c’était ok, ben c’était ok. Voilà.

[Epsi] [rire] Est-ce que tu voulais dire autre chose?

[Polly] Non.

[Epsi] Est-ce que t’es contente de pouvoir exister?

[Polly] Oui, je pense! Mais j’y réfléchi plus en fait, tu vois? C’est juste comme ça, maintenant. Et c’est un “comme ça” vachement mieux!

[Epsi] Est-ce que tu penses que t’étais triste de plus avoir pu agir comme une enfant parce que le corps a grandi? Je sais que maintenant, même aux gens qui savent pas, tu te caches plus.

[Polly] Oui. Parce que les gens, ils voient rien, parce qu’ils sont nuls! [rires] Mais non, mais c’est vrai!

[Epsi] Mais il y a eu un moment où tu as eu peur?

[Polly] Mais oui, je pense c’est dans la transition, tu vois? C’est quand on attend de toi que t’aies l’air grand, quand t’es ado. Maintenant je suis trop vieille et les gens s’en foutent. Les gens, ils pensent juste que je suis bizarre. Que, tu vois, quand t’as 15, 16, 18 ans, t’es censé avoir l’air mature si tu veux faire des trucs matures. Que non, maintenant, je m’en fous, c’est parce que je suis grande, grande.

[Epsi] Et est-ce que tu voudrais grandir, grandir?

[Polly] Quoi? Pour quoi faire? [rires] Non.

[Epsi] Je comprends.

[Polly] Ça m’apporterait quoi?

[Epsi] Rien, c’est par rapport, tu vois, à ce que la psychiatrie dit ou des gens disent, de “les littles doivent grandir”.

[Polly] Je sais vraiment pas ce qu’on va donner vieux, tu vois? Je ne sais pas projeter. Je sais pas projeter parce que, en même temps, j’ai l’impression que juste, on va tous vieillir en même temps que l’âge du corps, mais en même temps, moi, j’avais l’impression que 30 ans, c’était vieux et que les gens étaient adultes, et on se sent pas adultes, tous quoi. Du coup, est-ce qu’en fait non, on sera juste jamais vieux dans un vieux corps? Je sais pas trop… Non, je sais pas. Tu sais, toi?

[Epsi] Non. [rire]

[Polly] Moi, j’ai pas l’impression de me sentir plus adulte que quand j’avais 20 ans, enfin, le corps, tu vois? Mais pas comme moi hein! Tout le monde. Voilà.

[Epsi] Et je sais que c’est un peu un truc qu’on a vécu. Parce que déjà, ne serait-ce que, comme Enochi en a parlé juste avant, on s’en voulait de switcher raisons en fait. Et on a cherché les raisons pour lesquelles on switchait, on a cherché des déclencheurs, on a cherché des traumas quand on a eu la prise de conscience, mais je pense qu’on en reparlera après. Et voilà, juste un petit aparté du coup, du fait que les alters, ils existent peut-être pour une raison, peut-être pour une raison qu’on ne connaît pas, peut-être qu’il était censé y avoir une raison et en fait ça a foiré, on s’en fout, en fait. Ça n’empêche pas- ça ne donne pas ou n’exclut pas le droit d’exister, et le droit de se développer, et de venir à d’autres moments, et de switcher raison, etc, etc.

[Kara] Je pense qu’un truc qui vous a blindé aidés avec ça, c’est moi.

[Epsi] Oui. [rires]

[Kara] Parce qu’entre vous qui frontstuckez blindé et nous qui rapid-switchons blindé. On était un peu une preuve matérielle du fait que non, il n’y avait pas toujours de raison. [rire]

[Epsi] Oui. Et t’as été aussi, j’en profite pour le dire, un déblocage de plein de choses. Parce qu’avec toute la peur qu’on avait accumulée, du fait d’avoir été et d’avoir vécu ça seuls et d’avoir eu peur de nous-mêmes et tout ça, on communiquait pas. Et je sais qu’on a commencé à se parler mentalement – même si A. nous parlait déjà, on avait des pensées mais -, on a commencé à communiquer vraiment grâce à vous. Parce que vous, du fait que vous aviez pas peur, vous parliez. Et on s’est dit “d’accord [rire] on peut essayer”. Et en fait ça a très bien fonctionné. Mais juste on n’osait pas, on se donnait pas le droit de faire ça parce qu’on avait peur et c’était très profond.

[Kara] Je sais que nous, on se disait que, justement dans ce truc de problèmes de légitimité et de pas croire, moi, je me disais qu’on switchait qu’en ta présence, et que genre si on était seuls, on switchait pas. Et je pense que c’était un truc ancré dans ma peur de mentir. Parce qu’après, au final, pendant un temps, ça m’est arrivé de parler tout haut pour voir si j’avais ma voix à moi, pour juste faire un petit “heh” [rire], pour voir comment ça sonnait. Ou de m’appeler ou des trucs comme ça, pour voir qui était qui même quand j’étais seul. Et de me rendre compte que bah non, c’était pas toujours moi. Et juste, je pense que ça a dû être une prise de conscience, de conscientiser que c’était les rapports avec l’extérieur qui aidaient souvent à prendre conscience qu’il y avait eu un switch, plus que des sensations internes. Parce qu’en interne, on est quand même tous ensemble et s’il n’y a pas d’interaction avec l’extérieur, ça ne change pas grand-chose de savoir qui occupe le siège de devant. C’est quand même des interactions tournées vers l’intérieur et donc on s’en fout que tout le monde change de place.

Oui et donc je me suis rendu compte qu’en fait, ce n’est pas vrai, que c’était juste une perception qui était ancrée dans ma peur. Et du coup, il y avait aussi d’autres trucs qui allaient un peu dans ce sens au même moment, c’était: j’étais conscient que j’étais multiple – sauf quand j’en doutais [rire] -, j’étais conscient que c’était pas un problème d’être multiple et du coup, j’avais l’impression que je devais être fier. Et je le suis. Mais j’avais l’impression que je devais montrer aux autres, au monde, que j’étais fier. Et que j’en avais pas honte parce que concrètement, il y a aucune raison d’en avoir honte. Et c’est vrai. Concrètement, il n’y a aucune raison d’avoir honte d’être multiple. Mais je me suis mis la pression sur comment je voulais le montrer, pour avoir l’air fier. Et donc, par exemple, j’avais l’impression – mais j’en ai un peu parlé avant mais c’est pas les mêmes raisons – qu’être fier, c’était savoir qui on est et dire qui fronte. Et donc, par exemple, si je me rendais compte que je n’étais pas moi, que je sois seul ou pas, et que je ne savais pas qui j’étais, je trouvais ça angoissant. Et dans un truc de contrôle, comme on en a parlé, de “qui vit la vie”, mais aussi dans un truc de “c’est pas bien”. Parce que les bons- tu vois, si tu fais les “bons systèmes” et les “mauvais systèmes”, les bons systèmes, ils disent qui est qui. Et moi j’avais pas envie. J’avais pas envie de dire qui frontait parce qu’on est très covert, et j’avais pas envie. Et du coup, c’est un cercle vicieux de la honte. Parce que je n’avais pas honte d’être multiple mais j’avais honte de dire qui frontait. Pas parce que j’avais honte d’être multiple, mais pour un truc ancré de passer inaperçu. Et du coup, ça me provoquait de la honte d’avoir l’impression que les gens allaient croire que j’étais pas fier alors que j’étais fier et que… [rire] Tu vois? Ça revient un peu avec ces histoires de cases. Et j’avais l’impression qu’être un bon système, un système fier – il y a plein de gens qui diraient qu’être un système fier, c’est pas être un bon système, mais moi, dans ma vie à moi, être à bon système, c’est être un système fier [rire] -, j’avais l’impression qu’il fallait qu’on soit visibles, qu’on soit différentiables, qu’on fasse des meet my alter, qu’on dise “hey on existe!” et qu’on le prouve. Alors qu’on n’est pas comme ça. Pour faire une définition brève et détachée de la psychiatrie de overt et covert, covert c’est des systèmes qui se cachent et overt c’est des systèmes qui se cachent pas. [rire] Tu veux faire mieux?

[Epsi] Covert, c’est des systèmes qui masquent beaucoup ou qui ont du mal à s’identifier, à se laisser identifier, que ce soit en interne ou en externe. Et overt, c’est des systèmes entre guillemets “visibles” ou qui ne peuvent pas masquer, que ce soit en interne ou en externe. En sachant que c’est possible d’être covert en externe et overt en interne et inversement; ou covert ou overt dans tous les cas.

[Kara] Et juste, je pense que c’est pas juste une question de fierté et de choix. Je pense que c’est une question, au départ, d’adaptation et de choix inconscients qui sont en fait, les notions de overt/covert. Et juste, je peux être le plus fier possible du monde, je resterai quand même toujours moins visible qu’eux. Parce que ben, par exemple, il y a des moments où il était très, très pas fier et très, très visibles. Et juste, c’est comme ça. Mais vu que la représentation que moi j’avais, et pour eux, mais même ce qu’on voyait sur Internet, c’était des gens très définis, ben moi, j’avais l’impression que je devais être défini. Et c’est logique en fait, qu’il y ait pas de représentations très claires et marquées de systèmes très coverts, c’est le concept! On veut pas y aller. [rire] Et je sais que c’est difficile. Et je sais que, bah sur Partielles, on a fait le choix d’être anonymes pour se protéger et parce qu’on veut justement pas générer des trucs comme ça chez des gens. On veut que ce soit le plus généraliste possible pour que tout le monde puisse s’identifier et qu’il n’y ait pas des gens qui se disent “oh je coche 99% des cases et pas le dernier pourcent, et donc ça veut dire que je ne suis pas concerné·e”. Parce qu’on sait que ça blesse, étant donné qu’on l’a vécu. Mais aussi parce que c’est difficile quoi. Vraiment, parler de moi en tant que système ou en tant que personne individuelle, c’est vraiment un truc pas intuitif. Et encore, pour moi, ça va, mais il y a des gens dans mon système qui pourraient être vraiment désagréables et attaquer pour protéger, c’est même pas protéger des secrets profonds, c’est juste de ne pas donner d’informations personnelles. Et voilà. Et ça aussi ça a été une prise de conscience de me dire “mais non, ma visibilité et qu’est-ce que je montre n’a pas à voir avec ma fierté”. Et être fier, c’est un truc qui est important pour moi, mais si vous ne voulez pas être fier·es, juste soyez pas fier·es, juste pour moi, c’était important. Mais il y a mille et une autres façons de, bah déjà de le savoir pour moi même et c’est ça qui compte, mais même de le dire, en faisant des actions, en partageant des posts, en créant du contenu, en faisant plein de trucs, en soutenant d’autres gens et d’autres systèmes. Mais il n’y a pas qu’en parlant de soi-même. Et je pense même que si je m’étais forcé à parler de moi-même alors qu’on – collectivement – n’en avait pas envie, ç’aurait été juste un signe du fait que je m’étais trompé de chemin. Parce que ça aurait voulu dire que je serai allé à l’encontre de la volonté du système pour un truc paraître. Et donc j’aurais été fier, mais pas confiant. Ce qui voulait dire que je n’aurais pas été fier de la bonne chose. Mais c’était compliqué et ça a été un chemin. Et maintenant, juste, c’est ok. Enfin, je m’en fous de dire qui fronte et même, à certains moments, ça me met pas à l’aise, et juste, maintenant, c’est ok. En fonction, soit je le dis clairement, soit j’utilise un subterfuge, et je m’en fous. J’ai aussi eu honte de me dire “il ne faut pas qu’on utilise le nom ou l’attitude de quelqu’un si on est quelqu’un d’autre”, parce que ça ne se fait pas. Mais si, on s’en fout. À partir du moment où nous, collectivement, en interne, on est d’accord avec ça, c’est ce qui compte. Il ne faut pas le faire, il ne faut pas l’imposer à d’autres gens. Mais pour nous, on est d’accord, et donc c’est d’accord. C’est pareil sur qu’est-ce qu’il faut faire, genre, si tu veux… Genre il faut bien utiliser Pluralkit, il faut bien prendre des notes, enfin… Il y a plein de trucs que tu peux faire bien pour faire les choses mieux. Et objectivement, c’est pas faux. Prendre des notes quand on a une mémoire merdique, c’est bien. [rire] Mais juste, on le fait pas et on s’en fout. Et pendant longtemps, j’ai eu honte et je me suis dit que, un peu, genre “si ta vie ne s’améliore pas, tu ne peux t’en prendre qu’à toi-même parce que tu prends pas de notes hein”. Ben non. Juste, on s’en fout. C’est le point que je disais juste avant. Je suis au clair maintenant sur les cases à cocher de qu’est-ce qui est important pour nous ou pas. Et j’ai réussi à me détacher de ce que la majorité dit. Et c’est une vraie évolution, qui permet tellement de se recentrer sur les objectifs collectifs et réels, et pas sur les trucs supposés et pas adaptés.

[Epsi] Je pense vraiment vis-à vis de ça qu’y a des gens qui exposent beaucoup leur système pour se sentir légitime et pas par fierté. Qu’effectivement, en disent trop pour être crus et pas parce qu’ils ont envie d’en parler.

[Kara] Oui, je pense.

[Epsi] Je pense que ça aurait pu m’arriver, alors qu’au fond plein de gens veulent pas que je donne trop d’informations, mais j’aurais pu en donner trop. En même temps, je voulais pas qu’elles existent, et en même temps, j’aurais pu en donner trop pour qu’on me foute la paix en fait.

[Kara] Est-ce que ce n’est pas un peu lié avec le fait qu’il faut mal le vivre? Tu vois, l’injonction de la société, elle dit “tu peux être plusieurs que si t’es flingué·e parce que t’as vécu des trucs horribles”, et donc tu dois un peu prouver que tu as vécu des trucs horribles. Tu dois prouver au monde que si, vous êtes tous différents, que si, vous souffrez, et que si, c’est triste et que tu pleures tous les jours, argh!

[Epsi] Oui. C’est vraiment des doubles standards, parce qu’en même temps, tu dois montrer que t’es différent, parce que sinon “bah c’est que des humeurs et on a tous nos humeurs”, et en même temps, si tu montres que t’es trop différent – et c’est notre cas, tu vois, on n’a jamais forcé nos différences, mais on est très différents -, eh beh “c’est trop”, “c’est exagéré, “c’est n’importe quoi”, “ça se présente pas comme ça chez les vrai·es malades”, tu vois? Et c’est juste des doubles standards, des triples standards, dans lesquels tu ne peux pas rentrer.

[Kara] Tu peux pas gagner, oui.

[Epsi] Tu peux pas y arriver, en fait. Et je sais que ouais, prouver que tu as vécu “suffisamment” pour être “aussi malade que ça”, si tu arrives à prouver que tu es effectivement vraiment malade, c’est vraiment un truc qui détruit tellement.

[Kara] C’est un truc contre lequel on s’est battus tous les deux pour le coup, l’injonction aux traumas.

[Epsi] Oui. Bah tant qu’on y est, on va en parler du coup. Je sais que perso, avant d’être diagnostiqués et de prendre conscience du fait que c’était un TDI, t’en as parlé, on pensait pas que c’était un TDI. On voulait pas penser que c’était un TDI parce qu’on en avait vaguement entendu parler dans nos recherches sur “le dédoublement de la personnalité” [rire], et il y avait deux trucs qui correspondaient pas. C’était un peu le nombre d’alters et tout, alors qu’en fait, si, mais juste, on le savait pas. Et le fait d’avoir vécu des traumas “graves et répétés” durant l’enfance. Et on n’avait aucuns souvenirs de nos traumas et donc on pensait pas qu’on avait vécu des traumas. En tout cas, rien de suffisant.

[Kara] Pareil pour moi.

[Epsi] Ce qu’on avait en tête, c’était les faits divers et les trucs qu’on entend quoi. Et il y a plein de systèmes pour qui c’est le cas. Et en fait, on a des traumas qui peuvent rentrer dans ces faits divers. Mais ça change rien. Ça change pas le fait que- Nous, on l’a pas fait, mais je sais qu’il y a des systèmes qui du coup cherchent trop tôt leurs traumas. Il y a des systèmes qui n’ont pas de traumas hein, c’est pas pour dire ça. Mais pour les systèmes effectivement traumagènes qui s’ignorent, il y a plein de systèmes qui cherchent leurs traumas trop tôt et qui font tomber des barrières trop tôt. Et je sais que nous, mais c’était à cause de médocs, on a des barrières qui sont tombées trop tôt, et vraiment je ne le souhaite à personne. Et à côté de ça, il y a plein de systèmes qui, juste, se sentent pas légitimes, et donc commencent pas à découvrir leur système, à communiquer et à travailler sur plein d’autres choses, juste parce qu’ils sont bloqués par cette barrière du “il faut que j’aie vécu le pire pour avoir le droit de”. Ce qui est dommage parce que ça retarde de plusieurs mois, plusieurs années, un travail qui est quand même vraiment important. Et qui prend vraiment du temps donc autant s’y mettre quand on peut. [rire] En plus de plein d’autres problèmes. Mais oui, c’est vraiment compliqué. Et je sais que nous, personnellement, c’est se détacher de la peur de ce qu’on pourrait trouver en nous qui a permis qu’on trouve ce qu’on a en nous. Mais on a eu relativement de la chance sur ce point quand même.

[Kara] Oui, je suis d’accord. Bah moi aussi, j’ai cherché. Et c’est vraiment… ça s’est fait un peu en deux choses parallèles. J’ai, et arrêté de chercher, et les choses se sont éclairées – et j’ai arrêté de chercher, un par lassitude de chercher, qu’on se le dise – mais aussi parce que j’ai ouvert mon horizon sur les autres formes de multiplicité. Et donc ça a été un peu- J’ai pris le truc dans l’autre sens. Je me suis dit ok, vraisemblablement, je suis multiple, et même si je le suis pas – sachant que j’étais déjà diag, on s’en fout [rire] -, même si je le suis pas, au pire quoi? Est-ce que ça fait du mal à quelqu’un? Non. Est-ce que ça me fait du mal? Non. Est-ce que, même si je me rends compte dans 1 an, 5 ans, 10 ans, 20 ans, que c’était faux, ça aura changé quelque chose? Non, je me dirai que c’était une expérience qui m’était utile à ce moment-l, ok. Et du coup, ça, c’était un postulat. Et puis, en m’ouvrant sur l’existence d’autres origines de multiplicité et sur des multiplicités qui n’étaient pas traumagènes, je me suis dit “ok, ben alors, c’est aussi possible que genre, juste, je sois multiple et que j’aie pas de traumas ou en tout cas, pas de traumas liés à ça”. Et du coup, ça m’a aidé à sortir de cette pression du “pas assez grave”. Alors que pareil, ça pourrait rentrer dans les définitions de “graves et répétés” qu’ont les gens. Mais en fait, c’est bien la preuve que ça marche pas, ce truc de “traumas graves et répétés”. Parce que là, si je demande à 15 personnes c’est quoi pour eux, c’est à partir de quand que c’est grave, les 15 personnes, elles vont me dire un truc différent. Parce que c’est une échelle qui est personnelle et les répercussions, elles sont personnelles. Et donc rien que cette phrase, elle est juste merdique. Mais bref, c’est en me détachant du fait que multiplicité = traumas que j’ai pu me dire “ok, je suis multiple”, et avancer là-dessus, et que ça a pu s’éclairer sur le fait que j’avais des traumas. Voilà. Et ouais, je pense que c’est un peu ce qu’on disait en introduction sur le fait qu’on préfère multiple à TDI, c’est un peu pour ça. J’aimerais tellement qu’on vive dans un monde où juste, “multiple”, c’est une étiquette qui convient pour définir un fonctionnement et que ça ne sous-entende rien d’autre. J’ai pas envie de traumadumper, j’ai pas envie d’être perçu comme une petite chose, j’ai pas envie d’être perçu comme une leçon de vie non plus et juste, j’ai envie d’être perçu comme plusieurs personnes. C’est ça que je veux qu’on se dise quand je dis “je suis multiple”, pas quoi que ce soit d’autre. Et donc bah, après dans mon cas, le lien entre multiplicité et traumas, il est plutôt clair, même si, – je le répète, parce que moi, plus je le répète, mieux je me sens: – non, le DSM ne dit pas que les traumas, c’est obligatoire pour avoir un TDI. On se le redit, ce n’est pas un critère diagnostique. Et les pages qui parlent du TDI du DSM disent qu’il y a une corrélation dans 90% des cas. Mais ce n’est pas un critère diag et du coup, il y a quand même 10% des cas pour qui même le DSM dit que non. Et si tu me dis “mais 10%, c’est pas beaucoup”, bah si tu dis que 10% ce n’est pas beaucoup, mais que tu dis que le TDI ce n’est pas un trouble rare alors que le TDI, c’est max 3%, eh ben on n’est pas juste, ça ne va pas. Voilà, pardon. Du coup, voilà. Je ne sais pas où j’allais, mais bref, l’injonction traumas, ça pue. Et se détacher et du coup pouvoir juste- Se détacher de toute échelle – c’est ça que je voulais dire -, se détacher de toute échelle de gravité, ça permet de retrouver ses vrais sentiments. C’est un aparté, mais il est intéressant, je pense, pour illustrer mon propos. Quand j’étais ado, je me suis fait renverser par une voiture. Je vais très bien, j’ai pas/peu de séquelles de ça. Mais je me suis servi de cet événement comme “excuse”, inconsciente mais surtout consciente, à expliquer mon mal être parce que c’était socialement accepté. Pendant super longtemps, j’ai dit que j’avais d’autres problèmes parce que je m’étais fait renverser, parce que c’était admis. Et personne ne devrait vivre ça, en fait.

[Epsi] T’as pas besoin de justifier d’avoir des besoins.

[Kara] Et pareil, t’as pas besoin de justifier ce que t’as vécu ou d’avoir vécu pour dire “on est plusieurs”. Un autre truc un peu pour conclure: le meilleur pour nous en fait, c’est de faire des compromis ensemble et d’être d’accord ensemble sur nos compromis, en interne, et rien d’autre. De ne pas écouter ce que la – une fois de plus – société dirait qu’il faut ou ce qu’un seul alter dirait qu’il faut. Y a rien dans le système qui est interdit, même s’il y a des trucs avec lesquels je suis personnellement pas spécialement en accord. Mais on essaie de trouver des compromis à tout. De trouver le truc le plus adapté et qui plaît au plus grand nombre sans être vraiment pas possible pour quelqu’un quoi. Et je sais qu’au départ, on avait pas envie de lâcher. Tu vois, ce que t’as pas envie de faire, ce que le corps t’as pas envie qu’il fasse ou des trucs comme ça, c’est difficile à lâcher. Mais en fait, ça amenait plus de frustration et moins de confiance. Parce que ben, autant c’est entendable d’avoir des trucs qu’on veut pas, parce que c’est humain, autant, pour nous en tout cas, ça amenait de la rancoeur. Et ça amenait un truc un peu de performance, du: tu m’as refusé ça et du coup, ce truc que je veux, même si je le veux pas tellement, je vais le clamer comme si ma vie en dépendait, juste parce que le truc précédent tu m’as dit “non”, et donc là, je considère que je dois gagner”. Et ça mettait un truc de gagner et perdre, qui était pas utile pour nous et qui nous faisait pas du bien. Alors que juste, trouver des compromis pour tout, ça a réglé le problème.

[Epsi] Oui, et en plus de cette notion de gagner ou perdre, chez nous particulièrement mais je pense que chez vous aussi et chez beaucoup de gens, ça menait à faire les trucs en secret ou à les faire vraiment contre la volonté des autres. Et je sais que c’est une des raisons pour lesquelles on a eu peur les uns des autres et pour lesquelles on a eu, comme je le disais, de la rancœur ou des trucs comme ça. Et même des moments où ça a été une honte pour nous de donner l’impression qu’on s’excusait du comportement qu’on avait eu par l’existence d’un autre alter. Tu vois? De ce “c’était pas moi”. Et c’était difficile parce que c’était la seule vraie explication. L’explication, c’était “c’était pas moi”, mais c’était pas une excuse, mais en même temps, on n’avait pas d’autres trucs à dire. [rire] Et c’est vraiment quelque chose qui arrive plus. Maintenant, quand on dit “c’était pas moi”, c’est justement parce qu’on est ok avec le fait d’être plusieurs, et pas parce qu’on n’est pas ok, tu vois? C’est un: c’était pas moi, c’était tel alter, je vais en parler avec, cet alter va s’excuser, ou je t’explique pourquoi cet alter a eu ce comportement parce que cet alter n’est pas capable de le faire, etc, etc. Et pas juste “c’était pas moi et je suis aussi dévastée que toi de ce qui s’est passé” et juste la situation est bloquée. Et voilà.

[Kara] Je pense qu’un truc c’est: pour comprendre et accepter “c’était pas moi” dans un truc juste factuel, il faut accepter d’être plusieurs. Et accepter d’être plusieurs, comme on le disait, on l’a dit plein de fois aussi, mais aussi d’être des gens que t’as pas envie d’être ou aussi des gens qui ont des comportements que toi, t’aurais pas.

[Epsi] Et pas forcément des comportements négatifs ou distants ou…

[Kara] Oui, juste différents de soi. Parce que pour moi, c’est ça la conclusion. C’est ça la fierté plurielle: c’est d’accepter d’être plusieurs, quel que soit comment, qui que ce soit qui compose le tout. Voilà. Bref. Je suppose qu’on pourrait encore donner mille et un exemples. [rire] Voilà. Bref. Je pense que c’était un peu décousu et j’espère que c’était clair quand même. Si vous avez des questions, n’hésitez pas. Mais oui, ce qu’on voulait dire, c’est un peu, pour conclure: à plusieurs moments, dans plein de contextes et dans plein de trucs différents, on a au départ cru que rentrer dans la norme, rentrer dans la majorité et donc être un ou faire comme si on était un, c’était bien, c’était mieux et c’était ce qui était attendu. Et même à certains moments, on a pensé que c’est ce qu’on voulait, nous, pour nous-mêmes, ça n’a pas que été influencé par le regard des autres. Et au final, sur tous les exemples qu’on a donnés et sur plein d’autres, la conclusion, c’est que: non, on est tellement mieux ensemble. On est tellement mieux en faisant des compromis, en communiquant, en étant ouvertement – et ouvertement à soi-même, pas spécialement ouvertement au monde extérieur, et ça peut être être caché, enfin avec les définitions qui nous conviennent personnellement – bien comme on est, et donc bien multiple. Et bien multiple veut dire bien multiple, bien avec ce fait qui est “être plusieurs”. Quand on parle de fierté, c’est pas pour dire “je suis fier d’avoir eu une vie de merde” [rire], c’est pas ça. C’est: je suis fier de ce que je suis, je suis fier du chemin parcouru, je suis fier de vivre bien dans un monde validiste. C’est personnel en fait. Et, autour de Plural Pride, c’est “je suis fier·e pour tous·tes les adelphes systèmes qui sont fier·es”. Et pas “je fais l’apologie du traumadumping”.

[Epsi] Belle conclusion.

[Kara] Merci. À tout de suite pour les questions-réponses.

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