Je considĂšre les rĂ©seaux de Partielles comme un espace Ă peu prĂšs safe, plus ou moins clair. Un espace oĂč il y a dâun cĂŽtĂ© les haters, les trolls et les personnes malveillantes, et de lâautre les personnes bienveillantes, conscientes, qui se dĂ©construisent chaque jour. Eh puis il y a mon compte Facebook personnel, celui de mon masque social, celui qui mâa accompagné·e durant plus dâune dĂ©cennie, celui oĂč il y a des connaissances dâĂ©cole, des potes de bĂ©nĂ©volat, ma famille. Pour la majoritĂ©, des gens qui ne me connaissent pas et que je ne connais pas plus. Pour le reste, des gens qui pensent me connaĂźtre et Ă qui je laisse croire ce quâils veulent.
Je considĂšre les rĂ©seaux de Partielles comme un espace Ă peu prĂšs safe, plus ou moins clair. Un espace oĂč il y a dâun cĂŽtĂ© les haters, les trolls et les personnes malveillantes, et de lâautre les personnes bienveillantes, conscientes, qui se dĂ©construisent chaque jour. Eh puis il y a mon compte Facebook personnel, celui de mon masque social, celui qui mâa accompagné·e durant plus dâune dĂ©cennie, celui oĂč il y a des connaissances dâĂ©cole, des potes de bĂ©nĂ©volat, ma famille. Pour la majoritĂ©, des gens qui ne me connaissent pas et que je ne connais pas plus. Pour le reste, des gens qui pensent me connaĂźtre et Ă qui je laisse croire ce quâils veulent.
Les rĂ©seaux de Partielles, câest un peu mon monde Ă moi, alors que ce compte Facebook, câest un peu le monde rĂ©el. Ce monde oĂč personne ne sait, personne ne comprend et de toute façon tout le monde sâen fout. Un monde de validistes, de racistes, dâhomophobes, de transphobes, de psychophobes par totale inconscience de leurs biais de construction. Tous les jours, je dĂ©roule le fil dâactu de ce compte comme si je regardais par la fenĂȘtre le vrai monde de dehors. Je nây participe pas, plus depuis un certain temps dĂ©jĂ . Parfois jâouvre la fenĂȘtre pour dire bonjour Ă ma mĂšre ou Ă une autre personne que je connais Ă peu prĂšs, souvent la fenĂȘtre reste fermĂ©e. Pourquoi chercher Ă ouvrir Ă nouveau lâaccĂšs Ă ce monde qui ne peut pas comprendre, qui nâa conscience de rien ? Parfois, je ne sais mĂȘme pas pourquoi je regarde encore par cette fenĂȘtre. Parce quâil faut, jâimagine, savoir ce quâil se passe dehors quand mĂȘme.
[TW mention inceste, mention expert psychiatre]
Ce matin, en regardant cette fenĂȘtre, jâai vu une « amie » dire un truc qui a attirĂ© mon regard. Elle a dit « Comment arrive-t-on Ă survivre aprĂšs ça !! Pas de mots⊠». Je lui laisse un peu plus dâattention et je vois que ce texte partage une vidĂ©o sous-titrĂ©e – sans avertissement parce quâon regarde le monde qui sâen fout, lĂ -, la miniature dit « Et en conclusion du procĂšs, que va dire lâexpert psychiatre ? », le texte qui accompagne rĂ©pond Ă la question : « Lâexpert psychiatre terminera par dire quâil y a peut-ĂȘtre des incestes heureux. [âŠ] Et ce qui clĂŽturera le procĂšs. »⊠Je regarde les commentaires, il y en a un dâune autre personne que je connais : « Quelle horrible calvaire ont vĂ©cu ces enfants et la conclusion de ce âpsyâ est⊠(je ne trouve pas les mots) ». Jâai eu envie de rĂ©pondre. Jâai eu envie dâouvrir la fenĂȘtre. En une fraction de seconde, il y a eu comme un dĂ©clic. Le vrai monde qui nâa conscience de rien rejoignait mon monde Ă moi, celui oĂč les gens savent sans quâil y ait besoin de le dire.
Jâai regardĂ© la vidĂ©o, jâai lu les commentaires de centaines de personnes indignĂ©es par ces horreurs. Ăa, ça ne change rien, des gens que je ne connais absolument pas restent ces personnes qui nâont conscience de rien Ă mes yeux, mais je repense Ă cette envie que jâai eu de rĂ©pondre au partage de mon amie Facebook. Je pense que jâai pris conscience que jâĂ©tais une personne concernĂ©e mĂȘme dans le vrai monde de dehors. « Comment arrive-t-on Ă survivre aprĂšs ça », jâai pensĂ© Ă ces autres personnes comme moi qui auraient peut-ĂȘtre envie de rĂ©pondre, Ă voix basse, sans Ă©motions ou en hurlant, « On nây arrive pas, jamais ».
Jâai eu envie de rĂ©pondre, jâai eu envie que ces amies sachent que ça nâarrivait pas quâaux autres, aux rares personnes quâelles voient Ă la tĂ©lĂ©. Jâai eu envie de dire que le monde est horrible et que oui, mĂȘme les experts psy sont des merdes. Jâai eu envie dâouvrir la fenĂȘtre⊠mais jâai eu peur du courant dâair que ça amĂšnerait. Elles auraient pu me poser des questions, mâenvoyer du soutien de biensĂ©ance, de la pitiĂ©, leur maladresse de personnes qui ne savent pas. Ăa nâaurait pas Ă©tĂ© grave, le dĂ©clic Ă©tait suffisant pour que je puisse gĂ©rer ça, puis mon masque est efficace, jâaurais pu leur expliquer, sans donner les dĂ©tails, que ça existe et que câest partout. Je nâai pourtant pas ouvert la fenĂȘtre. Dâabord parce que je ne voulais pas quâon pense que je me plains et parce que je ne voulais pas penser que je me plains non plus. Ensuite parce que jâai pensĂ© Ă lâimpact dâun commentaire fait avec ce compte Facebook. Jâai pensĂ© Ă ma famille qui aurait pu le voir. Je nâai pas la force de leur dire. MĂȘme si ma famille me croyait, ce dont je doute, je nâai pas envie quâelle trouve une explication Ă toutes ces choses quâelle a toujours refusĂ© de voir. Je nâai pas envie que ma mĂšre ait une explication au fait que je sois lesbienne. Ce que je ne suis pas, dâailleurs, mais je lui laisse croire parce que je ne veux pas voir cette lueur dâespoir dans ses yeux quâun jour enfin je me case avec un homme dyacishet blanc riche qui me ferait des enfants, parce que câest mon job en tant que personne assignĂ©e femme Ă la naissance, de mettre au monde des marmots, quand bien mĂȘme ma santĂ© y resterait. Je ne veux pas de la fausse culpabilitĂ© de ma famille qui nâa rien vu tout en voyant tout, je ne veux pas quâelle comprenne pourquoi je suis fol, pourquoi je suis diffĂ©rent·e depuis toujours, pourquoi je nâai jamais pu mâadapter Ă leurs cases de normalitĂ©. Ma famille ne sait rien de moi et nâen saura peut-ĂȘtre jamais rien, elle restera de lâautre cĂŽtĂ© de la fenĂȘtre.
Je nâai pas ouvert la fenĂȘtre alors que jâen ai eu, pour une fois, envie. Je nâai pas eu la force de tanker les consĂ©quences possibles.
Je ne sais pas si je ferai quelque chose de ce texte*. Je nâen parle nulle part, aprĂšs tout. MĂȘme pas dans mon monde Ă moi, oĂč les gens savent sans quâon ait besoin dâexpliquer, parce que je nâai pas besoin dâexpliquer. Je ne sais pas si jâouvrirai un jour la fenĂȘtre aux personnes de dehors qui nâont conscience de rien tout en voyant tout. Quoiquâil en soit, mes deux mondes se sont touchĂ©s aujourdâhui et jâen garde une sensation dâinachevĂ©.
*(AprĂšs 3 ans, j’ai finalement appuyĂ© sur « Publier »)