Vous préparez une émission, un documentaire, un reportage sur les troubles dissociatifs ? Vous souhaitez inviter et interviewer des personnes concernées ? C’est une démarche très importante pour l’information du public, mais qui demande quelques précautions. Les personnes avec un trouble dissociatif de l’identité (TDI) sont souvent mal représentées dans les médias et la popculture. Cela engendre de la discrimination, de la peur, du sensationnalisme et de la désinformation.

Vous préparez une émission, un documentaire, un reportage sur les troubles dissociatifs ? Vous souhaitez inviter et interviewer des personnes concernées ? C’est une démarche très importante pour l’information du public, mais qui demande quelques précautions. Les personnes avec un trouble dissociatif de l’identité (TDI) sont souvent mal représentées dans les médias et la popculture. Cela engendre de la discrimination, de la peur, du sensationnalisme et de la désinformation.
Ce petit guide vise plutôt les interviews filmées mais beaucoup de choses sont valables en vue de la rédaction d’un article également.
Conséquences sociales des mauvaises représentations
Tout comme la fiction, les journalistes et documentaristes façonnent en grande partie la perception du grand public. Il s’agit d’une vraie responsabilité : un traitement respectueux peut faire progresser la compréhension, l’accueil et le soutien des personnes concernées. À l’inverse, un traitement inadapté peut aggraver la stigmatisation.
Les représentations sensationnalistes ou caricaturales, même juste à cause du montage d’un témoignage “lambda”, peuvent accentuer les effets négatifs tels que :
- Renforcer la peur : le TDI est trop souvent associé à la dangerosité (à cause des films), ce qui alimente la méfiance sociale et les discriminations directes.
- Stigmatiser et isoler : les moqueries, le rejet et surtout le harcèlement sont déjà beaucoup trop présents, et peuvent mener à de l’isolement voire aux idées suicidaires (déjà présentes chez 70% des personnes ayant un TDI).
- Créer de la confusion : notamment en sous-entendant un côté extraordinaire ou “surnaturel”/”religieux” (possession), en mélangeant avec la schizophrénie ou d’autres troubles, etc.
- Freiner la demande de soins : le soin (et pas forcément la “guérison”) est un parcours compliqué en soi, mais subir des discriminations et de la stigmatisation le rend encore plus difficile, subir l’idée qu’on soit pris pour des monstres ou que personne ne nous croit peut encore retarder la demande de soins (il faut en moyenne 7 à 12 ans d’errance avant de finalement avoir un diagnostic de TDI, par exemple).
- Multiple peine : (sans mauvais jeu de mots ^^) le TDI peut être difficile à vivre, être entouré·e et soutenu·e quand on a un TDI aussi, alors y ajouter la stigmatisation sociale ne peut qu’aggraver les choses.
Une mauvaise représentation n’est donc pas seulement “maladroite” ou “pas si grave”, elle peut avoir de réelles conséquences sur la vie de chaque personne multiple et ses proches. D’où l’intérêt de ce petit guide pour les journalistes, documentaristes et les créateur·ices de contenu (entre autres).
Les pièges à éviter
Si ce que vous recherchez, c’est montrer ce qui suit, s’il vous plait passez votre chemin, il y a assez de désinformation et de stigmatisation, merci. (Désolée, je peux pas être que sympa dans les paragraphes qui suivent, c’est trop important et je l’ai vu trop souvent.)
Préparer l’interview
Les personnes qui ont un TDI (ou un trouble dissociatif en général ou des traumas) sont souvent stressées. N’hésitez pas à expliquer clairement vos intentions, le format, la durée, comment va se dérouler l’interview, combien il y aura de personnes, etc. Envoyez vos principales questions à l’avance si possible, et surtout n’ajoutez pas de questions “surprises” (sur les traumas, les déclencheurs, …) pendant l’interview. Vous pouvez demander s’il y a des sujets à éviter ou si certains sujets peuvent être abordés ou non.
N’hésitez pas également à prévoir une personne de soutien pour la personne interviewée, même si elle reste hors champs. Vous pouvez aussi organiser un pré-entretien et préparer l’équipe technique (pas de zooms intrusifs, éviter les larsen ou les bruits forts ainsi que les arrivées par surprise, les lumières fortes, …).
Vous pouvez briefer l’équipe en expliquant brièvement ce qu’est réellement le TDI (ce n’est ni un mythe ni du cinéma comme dans Split !). N’oubliez pas d’insister sur la confidentialité et le respect. Et, dans la mesure du possible, prévoyez un plan B si la personne n’est pas en état de continuer.
Pendant l’interview
Laissez du temps à la personne pour se détendre avant l’interview, montrez-lui le lieu où se passera l’entretien, etc. Assurez-vous de respecter ses demandes et besoins, qui peuvent varier au cours de l’interview. Faites-lui comprendre que vous êtes disponible et ouvert·e aux adaptations, car les personnes multiples peuvent être changeantes :) (d’ailleurs, si vous pouvez faire votre interview en plusieurs fois, notamment pour un documentaire, ça peut vous permettre d’avoir un avis plus global du système, plutôt qu’un avis à un instant T).
Souvenez-vous des messages que vous souhaitez faire passer et que la personne souhaite faire passer également. Le TDI est un trouble complexe, oui, qui amène des difficultés, aussi. Mais il peut être gérable et n’est pas toujours extraordinaire ou misérable. Les personnes concernées peuvent avoir l’air de personnes “normales”, ça fait partie de la vie avec un TDI tout autant que le reste. Les personnes concernées méritent le respect et la compréhension et elles ne sont pas dangereuses. Ne cherchez pas que la souffrance ou les larmes, montrez aussi la résilience, les stratégies d’adaptation, les projets, les nuances qui sont tout aussi réels sans pour autant être la seule réalité. Inutile pour autant de montrer une image parfaite, que ce soit de “victime parfaite” ou de “malade parfait”, le TDI peut clairement amener son lot de difficultés. Visez la simplicité.
Comme mentionné plus haut, évitez les questions intrusives ou déplacées. Pas de “qu’est-ce que vos parents vous ont fait ?”, “êtes-vous dangereux·ses ?”, “que faites-vous pour guérir ?”. Et pas non plus de “que faites-vous si une alter fille vient alors que vous êtes un garçon, vous vous maquillez ?” ou autre “et que faites-vous si un switch se produit pendant un moment intime ?”… Et même si la question peut être tentante pour un public qui ne connait pas, ne demandez pas “qui est la vraie personne”, tout le système existe et tous ses membres sont égaux, il n’y a pas de “vraie personne et des parties malades”, non. C’est un a priori qui fait beaucoup de mal. Vous pouvez anticiper ces sujets (qui restent des points de curiosité fréquents) en début d’interview, avec une brève explication à visée éducative.
Privilégiez les questions comme :
- Comment vivez-vous au quotidien avec un TDI/en étant plusieurs ?
- Comment aimeriez-vous que le public comprenne votre réalité ?
- Quelles étaient vos peurs ? Comment vous sentez-vous depuis que vous avez compris que vous aviez un TDI ?
- Quels sont vos défis ? Comment les gérez-vous ?
- Quel message aimeriez-vous faire passer ?
- …
Si un switch se produit pendant l’interview, restez naturel·le. Idéalement, préparez en amont ce que vous devez faire : devez-vous le mentionner à la personne, lui poser la question, lui demander son prénom ? Si l’alter qui vient d’arriver semble un peu perdu·e, présentez-vous et proposez-lui gentiment de lui expliquer ce qu’il se passe, et demandez-lui s’iel a besoin de quelque chose (une pause par exemple).
En cas d’imprévu, notamment si la personne semble en détresse, proposez tout de suite une pause et laissez-lui du temps pour s’ancrer. Si elle semble simplement perdre le fil en parlant, reformuler votre question avec bienveillance. S’il y a une réaction inadaptée dans le public ou autre, recadrer calmement si nécessaire.
La personne que vous interviewez reste une personne humaine et probablement stressée, la bienveillance est la clé, prenez le temps, restez sincère et simple :)
Au montage : éviter le sensationnalisme
Montrez des moments vrais, des moments sincères, des moments qui suscitent de l’émotion si vous le souhaitez mais s’il vous plait, ne misez pas sur le sensationnel ! Vous ne tomberez pas sur le bon public et vous ne ferez que renforcer la stigmatisation.
Inutile de zoomer sur le moindre changement d’attitude et n’ajoutez pas d’effets sonores ou visuels “dramatiques” si vous constatez un switch. Ne faites pas la publicité de votre interview avec les passages les plus “chocs”, ne faites pas de montage spécifiques sur des sujets déplacés, ne tombez pas non plus dans le misérabilisme ou le “spectaculaire”. Il s’agit de personnes, pas d’objets de curiosité. Inutile également de montrer des réactions exagérées du public ou d’une personne de l’équipe.
Et n’oubliez pas de demander à la personne si elle est d’accord de laisser certains passages au montage, notamment des moments plus sensibles où elle se serait montrée plus vulnérable voire en détresse.
Privilégiez les moments d’humanité et de “normalité”, les passages sur le quotidien, les adaptations, la vraie vie avec un TDI, les explications éducatives s’il y en a, les tentatives de déstigmatisation et les messages d’espoir et d’apaisement.
Si possible, précisez quelque part que toutes les personnes multiples ne se ressemblent pas, il n’y a pas de “modèle unique du TDI” ni de vérités universelles à ce propos. Certaines personnes parlent ouvertement de leurs alters, d’autres non. Certaines vivent beaucoup de switches visibles, d’autres très peu. Certaines peuvent être à l’aise en public, d’autres pas du tout et préfèreront l’anonymat. Certaines ont beaucoup de difficultés, d’autres moins. Certaines switchent pendant les interviews, d’autres non. Et ainsi de suite.
Après la diffusion
Restez disponible pour la personne, pour d’éventuelles questions ou difficultés après la diffusion. Vous pouvez vous arranger en amont pour lui demander des nouvelles dans les heures/jours qui suivent la diffusion (car elle risque de ne pas oser vous contacter). Surveillez les réactions, notamment en ligne, et alertez si vous voyez des commentaires inquiétants. Pour la personne (et toutes les autres), proposez un soutien ou des contacts de professionnel·les ou de lignes d’écoute si nécessaire.
Le TDI et la multiplicité sont des sujets stigmatisés, qui mènent vite à des réactions parfois très violentes de la part du public en ligne. Le harcèlement commence généralement sur les réseaux sociaux. Préparez-vous à modérer activement les commentaires haineux, moqueurs ou déshumanisants, et idéalement aussi ceux qui remettent en cause l’existence du TDI (c’est très difficile pour la légitimité fragile des personnes concernées). Supprimez des messages ou bloquez des utilisateur·ices si nécessaire. S’il vous plait, ne cautionnez pas en restant passif·ve.
Exemples de commentaires à supprimer :
- “C’est du cinéma / c’est de l’invention / ça se voit que c’est fait semblant”
- “C’est n’importe quoi / ça n’existe pas / les vraies personnes TDI sont en institution et ne peuvent pas vivre une vie normale”
- “C’est de la possession démoniaque” / “C’est de la schizophrénie” (c’est un autre trouble)
- Blagues déplacées sur les personnalités multiples ou sur Split ou autre
- Questions intrusives sur la vie privée ou la légitimité
- Conseils médicaux/thérapeutiques (surtout non sollicités)
N’oubliez pas de signaler les menaces directes, le harcèlement et le doxxing (donner des informations personnelles sur la personne interviewée).
Gardez les commentaires respectueux, bienveillants ou constructifs/éducatifs/nuançant le propos avec gentillesse. Répondez aux questions sincères et à la curiosité ouverte et saine, pas au reste.
Conclusion
Ce que vous faites est important, essentiel. Donner la parole aux personnes concernées et donner de la visibilité aux sujets méconnus comme les troubles dissociatifs est une part importante de la lutte contre la stigmatisation. Mais il est crucial de le faire avec bienveillance et précautions.
Dans l’idéal, un reportage, une interview, un article ou un média en général devrait amener à comprendre la vie, le point de vue et le ressenti des personnes concernées. Visez une perspective intérieure et non extérieure, pour chercher l’empathie et non le freakshow.
On espère que cet article vous sera utile. Prenez soin de vous, prenez soin des personnes que vous interviewez, tenez compte de la portée de votre message et, s’il vous plait, faites attention à l’image que vous souhaitez transmettre. Un grand merci !
(Res)sources utiles
- “Separating Fact from Fiction: An Empirical Examination of Six Myths About Dissociative Identity Disorder” (2016). PMC🡥
- “Stigma Regarding Dissociative Disorders” (2023). Taylor & Francis Online🡥
- “Dissociative Identity Disorder: A Misrepresented Diagnosis” (2021). NAMI🡥
- “The Impact of Educational Status on Perceptions of Dissociative Identity Disorder Among Split Audience Members: A Study on Freshmen and Sophomore Students at High School X” (2023). ResearchGate🡥









