Comment la fiction influence-t-elle la formation de notre système ? « Nous sommes quasiment sûræs que vous vous êtes déjà secrètement demandés ce qu’une discussion entre deux amiæs proches multiples aux fonctionnements très différents sur le sujet de : Comment la fiction influence-t-elle la formation de notre système, pourrait donner !

Avertissements de contenu:

Nous évoquerons sans entrer dans des détails graphiques les sujets suivants : parentalité, validisme, classisme, harcèlement
Liste des univers fictifs apparaissant ou cités dans la vidéo Ace Attorney, Bee and Puppycat, BnA, Chair de Poule, Corneille et Bernie, De bons présages (livre), Demon’s Slayer, Foot 2 Rue, Franklin, Gorillaz, Harry Potter, Hunter x Hunter, In Nomine Satanis – Magna Veritas, Lancedragon, La Petite Sirène, Le Monde de Narnia, Le Petit Dinosaure, Le Seigneur des Anneaux, Les Minijusticiers, Les Ratz, Looney Tunes, Martin Matin, Martin Mystère, Maya l’abeille, Monsieur Madame, Oxenfree, Power Rangers, Scooby-Doo, Shin Megami Tensei, Steamboat Willie, The Legend of Zelda Link’s Awakening, Totally Spies!, Wind Breaker, Winx Club, Yu-Gi-Oh!

Transcription:

[Sepio] : Bonjour, nous sommes Sepio, système quoigène xenogenre et aphantasique, de 35 ans. On utilise le pronom all et des accords inclusifs que nous avons imaginés. On utilise le mot co-mate pour parler des alters de notre système. On est 18 et 4 d’entre nous considérons être des introjects de personnages fictifs. Cependant, l’introjection n’aboutit pas forcément à la formation d’alters chez nous : on est plusieurs à avoir introjecté des éléments de personnalité de personnages fictifs comme le nom, le caractère, des capacités physiques, par exemple, ou à nous identifier à des espèce issues d’œuvres fictives précises par exemple, les anges et les démons du livre De bons présages et du jeu de rôle In Nomine Satanis – Magna Verita.

[F.O.X] : Quant à nous, nous sommes le système F.O.X, le corps est âgé d’une vingtaine d’années. Et d’aussi loin que nous nous en souvenons, la multiplicité a toujours fait partie de notre existence, de notre fonctionnement, sans vraiment que nous parvenions à mettre des mots dessus, jusqu’à il y a une petite dizaine d’années, pour la première fois. Notre multiplicité s’accompagne d’autres troubles, notamment un trouble de la personnalité borderline. Aussi d’un handicap physique. Cet ensemble a toujours en partie influencé la perception de notre environnement global intérieur comme extérieur. Au fil des années, nous avons fini par remarquer une attirance considérable pour toutes les sources d’évasion et de distraction, notamment dans la fiction et la création. Nous avons conscience que ces échappatoires aussi infinis que variés ont grandement contribué et influencé la constitution de notre collectif, de manière inconsciente ou non. Nous sommes un collectif d’environ 130 êtres, dont une centaine d’entre-elleux sont issus ou ont un lien avec une ou plusieurs sources fictives. Vous l’avez compris, la fiction, la création, l’art en général, et nous, c’est un peu une relation platonique passionnelle qui ne semble jamais trouver de fin, pour notre plus grand bonheur ! Vous vous en doutez cet intérêt dévorant a eu un impact plus ou moins direct sur le fonctionnement de notre collectif : polyfragmentation, splits réguliers parfois spontanés, « instantanés », switchs rapides, co-fronts massifs, influence constante changeante qu’il est difficile de déterminer à chaque instant, un peu comme tout le reste. La même dynamique se retrouve dans notre mécanisme d’introjection : identification, besoin, conditionnement, affection, et bien d’autres ! Nous avons toujours apprécié échanger avec nos proches multiples sur la question de comment la fiction influence-t-elle la formation de notre système ? L’occasion pour nous de mettre en lumière et de célébrer nos différences, nos similitudes.

[Sepio] : Lors de cette vidéo, nous allons d’abord échanger sur notre consommation de contenus fictifs dans notre histoire, puis nous apporterons des témoignages sur nos divers introjects et les besoins auxquels ils répondent. Évidemment, dans cette vidéo il s’agit de nos témoignages, qui ne peuvent en aucun cas faire office de règle générale concernant la multiplicité. Chaque vécu est légitime, qu’il se rapproche de ce que nous allons raconter ou pas. Dans cette vidéo, nous évoquerons sans entrer dans des détails graphiques les sujets suivants : parentalité, validisme, classisme, harcèlement, Harry Potter

[F.O.X] : Notre découverte de l’art en général et de la fiction s’est faite très jeune. Notre handicap physique a permis de pousser plus rapidement la porte du monde extérieur. Parler, communiquer, échanger, comprendre est très vite devenu vital. L’art et la fiction n’ont pas fait exception, et sont rapidement devenus une distraction qui se révélait être facilement accessible, peu importe nos capacités physiques, contrairement à d’autres activités. Son accès ne nous a jamais été limité, parce qu’on avait accès à tellement peu d’autres activités que pratiquaient les enfants valides. Quand il s’agit d’un handicap physique, c’est souvent plus facile d’avoir accès à des dessins animés, des DVD, des livres, des CD et on en passe, plutôt qu’une sortie randonnée, accrobranche, parcs de jeux, etc. Néanmoins, la facilité d’accès n’a pas que des avantages. Il nous est parfois arrivé de tomber sur des contenus qui n’étaient pas forcément adaptés à notre âge. Jeunes, nous avons visionné énormément de contenus, aussi visionnés par des enfants de notre âge, comme Disney, Narnia, Maïa l’Abeille,Corneille et Bernie, la Famille Pirate, Les Ratz, Martin Matin, Les Minijusticiers, les Winx, Angel’s Friends, Foot 2 rue, Scooby-Doo, Martin Mystère, les Totally Spies !, Yu-Gi-Oh!, Power Rangers, les livres Monsieur Madame, Franklin, entre autres. Cette liste est loin d’être exhaustive, ça prendrait des heures pour tout citer et nous ne sommes pas sûrs que ça soit vraiment utile et intéressant, et en plus on est persuadés qu’il y en a tellement dont on se souvient pas. Pour autant, elle constituait à nos yeux un lien avec les autres enfants. Elle nous permettait d’essayer de nous intégrer, malgré tout. Vous vous dites et l’introjection dans tout ça ? Qu’est-ce que le système a bien pu faire de toute cette masse d’informations, de représentations ? On vous le donne en mille, le cerveau s’est dit : « Oh ! Ce personnage gère tellement mieux une situation similaire à la mienne que moi ! Iel pourrait grave m’aider » ou bien encore : « Ce personnage est tellement fort, iel a du répondant, iel n’a peur de rien, iel n’est pas humain, c’est pile ce qu’il me faut pour survivre », aussi, « iel réagit exactement comme iels voudraient que je réagisse, moi j’y arrive pas, iel y arrivera mieux que moi ! Parfait », « j’aimerais trop que ce personnage m’apporte son soutien » ou « j’aime trop ce personnage ». Après tout ça, est-ce qu’on a vraiment besoin de vous dire qu’on a énormément introjecté de personnes ayant des sources fictives ? Jeunes, iels étaient à l’état de fragments. Aujourd’hui, les personnes issues en partie ou entièrement de sources fictives dans notre système sont des personnes à part entière.

[Sepio] : Quant à nous, les seules œuvres fictives auxquelles nous avions accès dans notre enfance étaient celles devant lesquelles nous mettaient nos parents. Iels avaient un contrôle assez strict sur ce que nous pouvions consommer. On pouvait regarder les dessins animés Disney, la série du Petit Dinosaure, en termes de livres, c’était le Seigneur des Anneaux, Chair de Poule, la série des Lancedragon ou la maudite série Harry Potter, et en termes de dessins animés à la télé, c’était Ça Cartoon le dimanche soir. C’est tout ce dont on se souvient. De fait, c’était pas facile pour nous de nous projeter dans l’œuvre qu’on regardait, parce qu’on ne la choisissait pas. Notre premier introject fictif est du coup arrivé assez tard, au début des années 2000, quand on a pu enfin choisir une œuvre à consommer sans que nos parents n’aient leur mot à dire. Cette première œuvre qu’on a pu choisir, c’était The Legend of Zelda Link’s Awakening sur Game Boy Color. Du coup, on a introjecté Marine qui ne porte pas du tout son nom ni n’a son apparence, elle sait juste que c’est sa source, même si elle en est très détachée, notre inner principal c’est l’île Cocolint. Cependant, on a gardé cette difficulté à nous identifier ou nous projeter dans une œuvre, et on pense que ça pourrait expliquer le peu d’introjects dans notre système.

[F.O.X] : Parfois, il nous arrive de nous demander si notre accès à la fiction a eu un impact direct sur le nombre de personnes fictives dans notre système ? Quelle que soit la réponse à cette question, elle est légitime, elle sera pour sûre différente d’un système à un autre. Cette réponse dépend de l’interprétation que l’on fait du groupe de mots « sources fictives » ensemble ou les termes « sources » et « fictives » séparés. Si nous raisonnons uniquement avec le groupe de mots « sources fictives », nous aurons tendance à dire que l’accès à la fiction a influencé le nombre de personnes fictives dans notre système, parce qu’à l’évidence, nous avons consommé, et nous consommons encore énormément de matière fictive que notre cerveau traite et intègre pour que le système puisse fonctionner le mieux possible. A l’inverse, si nous décidons d’isoler les deux termes, absolument tout devient source, matière à créer quelque chose, qui pourraient venir en aide à notre cerveau à l’instant T, voire plus lointain. De manière plus globale, il est possible de dire que le cerveau est stimulé, influencé par tout ce qu’il peut entendre, voir, sentir, toucher, goûter, ressentir vis-à-vis de quelque chose d’extérieur. Imaginons que vous passiez devant un arbre tous les jours. Vous trouvez cet arbre absolument incroyable, majestueux, ancré, puissant, présent, cet arbre incarne quelque chose de protecteur, rassurant, ou tout autre chose à vos yeux. Il est possible que votre cerveau arrive à la conclusion : « J’ai besoin de cet arbre pour survivre, parce que là, tout de suite, il représente tout ce dont j’ai besoin. » L’arbre présent dans votre système aura une source, lui aussi. Pour autant, est-ce que ça veut dire que notre capacité à se projeter est constante vis-à-vis de chaque élément qui compose le monde extérieur ? Pas forcément. Pour nous, il sera plus facile de nous plonger dans une œuvre fictive ou non, de trouver des similitudes, des points d’attache, des éléments qui résonnent dans un anime, un film, un livre, une musique, un tableau, une sculpture, une proposition artistique. Parce que nous avons une sensibilité à tout ça qui est assez exacerbée, parce que l’art arrive à exprimer des choses, à faire ressortir des émotions que le monde autre ne peut pas faire ressentir. C’est facile parce que c’est subjectif, parce que chacun y trouve ce qu’il a envie d’y trouver, parce que chacun a sa propre interprétation. vis-à-vis de n’importe quelle œuvre. Au fil du temps, nous avons appris à nous projeter en dehors du domaine fictif et artistique. La projection nous permet de comprendre et d’appréhender un peu mieux et de manière un peu plus juste le monde extérieur.

[F.O.X] : Notre accès très précoce à l’art et à la fiction nous a valu énormément de moqueries. Même si rien ne peut justifier ce genre de comportement, nous avons longtemps cherché des explications. Nous avons longtemps essayé de comprendre. Même s’il n’y a jamais de réponse au pourquoi. Parce qu’encore une fois, rien ne justifie ce genre de comportement. Au fil du temps, on a fini par émettre des hypothèses qui ne trouveront certainement jamais de validation ou d’infirmation. C’est simplement une analyse des situations dégradantes qu’on a vécue à ce sujet qu’on aimerait vous partager. À l’époque, et même encore actuellement, nous avons visionné, lu, contemplé, écouté énormément d’œuvres qui faisaient plus ou moins consensus selon l’époque et le lieu. Les œuvres dites « mainstream », nous permettaient d’engager une conversation, et de l’alimenter avec des références plus ou moins similaires, voire éloignées. Le peu de moments où les références étaient éloignées, beaucoup moins « mainstream », les moqueries, le jugement et l’incompréhension des personnes de notre génération qui semblaient ne pas apprécier ce genre de contenu fleurissaient. La conversation enrichie par d’autres références, plus ou moins « mainstream », était jugée, selon eux, trop adulte, trop vieille, inintéressante. Plus simplement, notre curiosité globale vis-à-vis du monde extérieur, notre intérêt pour tout un tas d’aspects de la vie en général, nous a enrichi d’une forme de maturité qui a créé une sorte de décalage avec les personnes de notre entourage. Ce décalage a lui-même amené à du rejet, de l’incompréhension, du jugement ou des moqueries.

[Sepio] : Comme vous, on a toujours été en décalage par rapport aux références des gens de notre génération, pas tant parce que nous avions accès à beaucoup d’œuvres peu connues, mais parce qu’on est passæ à côté de ce que le grand public consommait à ce moment-là. C’était donc très compliqué de s’intégrer, et ça a engendré des moqueries et du harcèlement.

[Sepio] : Quand on parle d’identification à la source, on parle ici du fait de s’identifier de près ou de loin à un personnage fictif ou une personne réelle. On se reconnaît dans son apparence, son genre, ses orientations, ses goûts, son comportement, ses traumas, ou encore ses opinions.

[F.O.X] : En y réfléchissant bien, il est fort probable que l’identification à la source soit la cause la plus répandue d’introjection dans notre système après la réponse à un besoin spécifique ou plus général. L’introjection via l’identification à la source n’en reste pas moins nécessaire, presque comme une réponse, totalement logique à la question de notre survie. Lorsque nous nous identifions à une source souvent nous partageons un élément de passé, de caractère, d’événement, d’environnement, de situation avec cette dernière. L’introjection nous aide à faire face à notre situation plus ou moins similaire que nous partageons avec la source. Elle peut aussi nous aider à venir exacerber un trait de caractère déjà présent dont nous avons besoin pour répondre aux différentes interactions. Elle nous soutient pour mieux gérer un événement précis, nous permet d’être plus efficace, plus efficients, face à une situation précise et immédiate comme, régler un problème, surmonter une difficulté plus facilement parce que lae personnage a déjà vécu la situation en question, et s’en est mieux sorti que nous, sans ellui. Enfin, l’identification peut nous permettre de mieux appréhender notre environnement connu ou non, le découvrir ou le redécouvrir, de mieux le comprendre parce qu’ael aura une réflexion différente, un point de vue différent, un prisme différent qui peut nous apporter quelque chose, qui sur le moment peut paraître futile, de l’ordre du détail, mais qui finalement se révèle être nécessaire, et plutôt malin.

[Sepio] : Dans notre système, l’un de nos fictifs est Murdoc Niccals, dont la source est le bassiste de Gorillaz. Au début de sa découverte, il a cherché à tout prix à correspondre à sa source. Dès que vous nous mettez une basse dans les mains, on n’est plus là, il prend toute la place, et se comporte comme s’il était le chef auto-proclamé du groupe de musique dans lequel on joue. Il s’en prend au batteur, à l’instar de Murdoc qui a une grande rivalité avec Russel, le batteur de Gorillaz. Pendant un temps, il pensait même avoir inspiré Damon Albarn quand celui-ci a imaginé Murdoc. Il en est revenu depuis, à la sortie de l’album Cracker Island. Il a alors exprimé un désaccord par rapport au lore que Damon Albarn et Jamie Hewlett ont ajouté à la sortie de l’album. Il disait que ce n’était pas son histoire. C’est alors qu’il a réalisé être un membre de notre système et pas un membre de Gorillaz et qu’il a commencé à se détacher de sa source.

[F.O.X] : Prenons l’exemple de Lylas, que nous avons anonymisé, pour notre propre sécurité, mais aussi celle des personnes qui nous écoutent, qui a pour source unx personnage présenx dans l’œuvre d’animation (l’anime) Wind Breaker. Son arrivée à marqué l’évolution de notre processus d’introspection par la capacité que nous avons développée de pouvoir nous identifier justement à un personnage qui a subi du rejet et qui parvient à le gérer petit à petit, même si c’est parfois maladroit, comme nous. Pendant des années, nous avons réfuté le rejet que nous avons subi, parce que c’était plus facile que de s’y confronter, et l’environnement dans lequel nous évoluions ne nous laissait pas l’espace nécessaire pour pouvoir s’en rendre compte. Que ce soit de la part de camarades de classes, d’inconnus, de personnes qui nous regardent dans la rue, et bien d’autres encore. Tout ça, pourquoi ? Parce qu’on est un peu différents physiquement. On a une façon de penser différente. En tout cas, c’est ce qu’on a toujours pensé et reçu de la part d’autrui. Nous avons toujours eu du mal à comprendre que nous pouvions être acceptés tels que nous sommes. Ça nous paraît tellement surréaliste, tellement bizarre. Un peu comme elle, dans sa source. Un geste bienveillant, gentil, serviable, non, c’est forcément intéressé, c’est pour obtenir quelque chose. Un geste tout court, non, c’est forcément pour quelqu’un d’autre, jamais pour moi. Une messe basse, c’est forcément un jugement. Un regard de travers, c’est forcément du dégoût, et on en passe. Tous les trucs cools, ça peut pas être pour nous, parce que tout le monde nous a bien fait comprendre qu’on était bien trop différents d’elleux. Tout le monde nous a bien fait comprendre qu’on vivait pas la même chose, pas dans le même monde et qu’on le méritait pas, la seule chose qu’on a toujours reçu de la part d’autrui c’est du rejet. Parce qu’encore une fois, on était trop différent. Et on le sera toujours. Tout le monde finira toujours par nous rejeter. C’est ce qu’on a fini par croire. Et on a encore du mal à ne pas y croire aujourd’hui. Au moment de son arrivée dans le système, elle avait les mêmes travers que nous, à l’instant T : manque de confiance en elle, peur systématique et constante du rejet difficulté à accorder sa confiance à autrui, préférence accrue pour la solitude, et par extension, rejet systématique des autres par peur de subir elle-même du rejet entre autres. Sa présence nous a permis de consolider certaines choses qui avaient tendance à être très instables. Nous avions déjà appris de manière lisse, sans profondeur, sans réel ancrage. Avec elle, nous n’avons pas seulement appris. Nous avons appris ensemble, nous évoluons ensemble pour vraiment créer quelque chose de durable et de sain. Et nous continuons tous les jours d’apprendre avec elle à réagir aux autres de manière moins virulente, moins catégorique, par peur du rejet, notamment de la part d’inconnus. De manière générale, nous avons plus de facilité à nous identifier à des personnages provenant d’œuvres d’animation, comme les animés, les films d’animation. L’identification nous paraît plus intuitive, plus parlante, de par les identités fortes qu’on peut retrouver dans ce genre de contenu. L’imaginaire est moins sollicité parce que les personnages ont une silhouette, une histoire, une personnalité, un caractère défini parfois versatile, parfois changeant, d’autres fois plus archétypé. Il y a quelque chose de plus visuel. A contrario, les personnages d’œuvres littéraires, par exemple, sont tout aussi bien construits, voire même mieux construits parfois. Néanmoins, les personnages sont interprétés de manière beaucoup plus différente entre les lecteuristes et par les lecteurices. L’interprétation apportée par chaque personne est à la limite de la co-construction avec l’auteurice. Ainsi, les personnes au sein de notre système qui ont une source littéraire dépendent de la subjectivité de l’interprétation que fera notre cerveau de leur source. Il est plus difficile de dire, qu’une personne ayant pour source fictive une œuvre littéraire colle 100% à sa source, la formation est différente parce qu’elle manque de matière. Elle fait beaucoup plus appel à notre imaginaire. Ces personnes auront donc plus de facilité à se détacher de leurs sources, de leurs biais, que les personnes ayant pour source fictive une œuvre d’animation, un film, quelque chose de plus visuel et d’assez complet. Il faudra plus de temps à ces personnes pour se détacher de leurs sources et des comportements compliqués qui peuvent en découler. L’objectif étant que chaque personne ayant une source fictive au sein de notre système puisse exister entièrement par elle-même, sans se rattacher à sa source. Être, dans tous les sens du terme être, être aussi une personne à part entière.

[Sepio] : Un autre exemple d’identification à un personnage pour nous : l’un de nos anciens co-mates, Cardamon, est arrivé dans le système vers la fin des années 90. Il a longtemps eu une identité floue, voire une non-identité. Peu après notre syscouverte en 2022, lorsque nous regardions le cartoon Bee and Puppycat, quand il a vu le personnage de Cardamon, avec qui il partageait un caractère, des coping mechanisms et des traumas, il a soufflé “Ça c’est moi”. Il a donc pris entièrement l’apparence, le nom et les caractères identitaires du personnage. Il est devenu Cardamon.

[Sepio] : Parfois, quand on consomme une œuvre fictive, on réalise que l’un des personnages pourrait, s’il faisait partie de notre entourage, nous aider à combler un certain nombre de besoins. Il peut alors arriver qu’on introject ce personnage.
[F.O.X] : Au sein de notre système, beaucoup de personnes issues d’une source fictive répondent à un besoin. Cette réponse n’est généralement pas unique. Les différentes réponses apportées au même besoin se complètent, divergent, diffèrent en fonction des opinions, du point de vue, de l’angle, du prisme apportés au regard des situations vécues. Plusieurs années se sont écoulées avant que nous puissions conscientiser que l’arrivée d’Hisoka issu de l’œuvre d’animation Hunter x Hunter venait bel et bien répondre à un besoin : aller au-delà de la notion de danger, de peur, avoir la capacité de gérer des situations impensables, inimaginables, gérer l’impossible devenu possible, n’avoir peur de rien ni de personne. Mettre l’instinct, l’intuition, la survie, au-dessus de tout concept. Vous vous demandez sûrement pourquoi la source d’Hisoka a été vue par notre cerveau comme étant une source capable de répondre à tous ses besoins ? La réponse est simple, l’intérêt principal de sa source réside dans son besoin de ressentir des émotions fortes, de l’adrénaline en combattant des personnes qu’il juge comme étant fortes, capables de le pousser dans ses retranchements les plus intrinsèques, voire carrément le faire flirter avec les limites de sa conscience. Du moment que la personne répond à ces critères, suscite son intérêt, sa source ne reculera devant absolument rien pour atteindre son objectif. Aucune notion de morale, de loi, de justice, aucune émotion, mis à part l’exaltation à l’idée de se battre contre une personne qui répond à ces critères ne viendra obscurcir son jugement, son but, son objectif, qui réside paradoxalement dans une seule chose : sa survie, de notre point de vue. Autre chose, nous ne sommes pas sans savoir que la source d’Hisoka est problématique. Néanmoins notre Hisoka n’est pas problématique, il n’a pas de comportement problématique. Il le dit assez lui-même : « je suis pas ma source t’sais », et ce même s’il a mis un peu de temps à s’en détacher sur certains aspects. D’autres personnes au sein de notre système viennent répondre à ce même besoin mais différemment. Sanemi dont la source est issue de Demon Slayer par exemple. Quelles sont ses opinions, son prisme : « tous les êtres qui intentent à ma survie, et/ou celle de mes proches ne méritent pas d’être dans ma vie, je dois placer ma survie, et celle de mes proches avant tout le reste. Tout ce que je considère comme une menace ne fera pas partie de ma vie, et encore moins de la leur, peu importe le reste. » Il ne gère pas que cet aspect-là, sa présence répond également à d’autres besoins.
[Sepio] : Chez nous, il y a deux co-mates qui ont été introjectæs pour remplir des besoins : lorsque nous avons joué à Oxenfree pour la deuxième fois, nous étions en pleine démarche d’exploration de notre inner. Il nous fallait quelqu’un qui pourrait le parcourir tout en récoltant des informations à son sujet. C’est exactement ce que fait Alex, le personnage principal du jeu. Elle explore une île tiens donc, quelle coïncidence armée d’une radio qui capte régulièrement des ondes à courte portée qui diffusent des informations sur les différents endroits de l’île. Cette radio lui permet également de communiquer avec un groupe de fantômes coincés sur l’île. Malheureusement, lors de l’introjection d’Alex, elle s’est retrouvée dans une espèce de dimension parallèle, ce qui fait que nous ne pouvons pas discuter avec elle à moins qu’elle ne place sa radio à la bonne fréquence pour pouvoir nous percevoir. Dans sa perception, nous sommes les fantômes qu’elle captait dans sa source. Également, nous avons introjecté Marine de Link’s Awakening car sa douceur, ses chants, son humour, sa bienveillance et sa prévenance nous ont fait l’associer à une figure maternelle. Ainsi, l’un des littles du système est devenu son fils quand on a introjecté Marine, car il porte un ensemble de traumas en lien avec sa parentalité. Elle est tellement détachée de sa source qu’elle ne porte pas son nom, n’a pas la même apparence, ni le même âge. En gros, si elle ne vous dit pas qu’elle est une introject de Marine, vous ne pourriez pas le deviner. Malgré toutes ces différences et son détachement à sa source, elle considère toujours être une introject de Marine.
[F.O.X] : Si nous devions définir ce qu’est le conditionnement au sein de la multiplicité, nous aurions tendance à dire que ce sont l’ensemble des schémas qu’un être au sein d’un système répète, active, consciemment ou inconsciemment pour continuer à obtenir la réponse attendue intérieurement et/ou extérieurement face à une situation précise. Certaines personnes dans notre système sont conditionnées, pendant que d’autres s’évertuent à continuer d’ancrer le conditionnement. Dans les deux cas, leur présence est en lien avec la notion même de conditionnement.
[Sepio] : On a effectivement un co-mate qui activait nos schémas, ou qui, du moins, s’échinait à les maintenir, mais ce n’est pas un fictif. Il s’agit d’un factif, un introject de nos parents. À force de discussions et de communications, nous avons pu comprendre ses motivations, comprendre pourquoi il agissait comme ça, et travailler sur nos schémas avec son aide. Le fait qu’il prenne conscience du racisme et du sexisme de ses sources l’a poussé à s’en éloigner, car ces idées nauséabondes sont à l’opposé de ses valeurs notamment la valeur Justice. En s’éloignant de sa source, il a également lâché prise sur les stratégies qu’il mettait en place pour répondre à ses envies et ses besoins.

[F.O.X] : Quant à nous, nous pouvons illustrer le conditionnement au sein de notre multiplicité en prenant l’exemple de Rose, une des fictives du système dont nous avons anonymisé la source pour notre propre sécurité, mais aussi pour celle des personnes qui nous écoutent. Sa source a été conditionnée à répondre aux stéréotypes de genre, aux attentes que la société pourrait avoir vis-à-vis d’un genre notamment au sujet des femmes, des hommes. Comme c’est une femme et que ses parents reproduisent des oppressions sexistes, elle a été conditionnée à : être douce, calme, polie, ne pas faire de vagues, ne pas se faire entendre, encaisser qu’importe les difficultés, trouver des solutions, régler tous les problèmes, entretenir la maison, prendre soin des autres, se cacher, s’effacer, élever les enfants et on en passe. Cette liste non-exhaustive est transmise de génération en génération et cette transmission est souvent traumatisante, et à l’origine de traumatismes dits transgénérationnels. Rose est conditionnée à respecter l’éducation que ses parents lui ont donnée, éducation proche de notre réalité sans forcément rentrer dans les détails. D’un autre côté nous avons Marguerite, qui a elle-même une source, une source qui se croit invincible, au-dessus de tout, qui a le devoir et les capacités presque divines de contrôler les autres, les personnes qu’elle perçoit comme plus « faible » et qu’elle se doit de rendre plus « forte ». Elle impose sa tyrannie comme étant une vérité absolue, inébranlable, elle impose ses opinions comme étant paroles universelles, incontestables et incontestées. Tout comme sa source. Marguerite au sein de notre système parvient par le conditionnement, à faire croire aux autres des choses qui sont totalement fausses, uniquement dites pour perpétuer un conditionnement empli de dévalorisation, qui est censé menée à un gain de force mentale selon elle.

[Sepio] : C’est l’introjection qui nous dirige le plus : j’aime Tanjiro Kamado de Demon’s Slayer et sa bienveillance, pouf, j’ai introjecté son caractère et je l’ai adopté. Idem avec la capacité de métamorphose de Michiru Kagemori de BnA. Simon a adopté plusieurs traits de Simon Blackquill de Ace Attorney quand on a consommé l’œuvre, et Jack Frost de Shin Megami Tensei est arrivé dans le système parce qu’on a un intérêt spécifique pour les séries dans lesquelles hi se trouve.

[F.O.X] : Lorsqu’on parle d’affection pour la source, nous sommes obligés de penser à plusieurs personnes, mais nous allons aussi évoquer Tanjiro Kamado, que nous avons à l’inverse de Sepio totalement introjecté. Puis, nous avons petit à petit, au fil du temps, conservé des éléments de sa personnalité, de son caractère notamment sa bienveillance, son altruisme, son respect, sa résilience pour les intégrer ou venir les renforcer au sein de notre identité sociale collective. Dès son arrivée, il a énormément co-front, avec n’importe quelle personne, ou groupe de personnes pendant de longues semaines, ce qui a permis d’ancrer son influence. Pour qu’au final, on puisse se passer de sa présence en front, tout en gardant ses qualités humaines indéniables qui sont venues répondre et compléter harmonieusement celles amenées et ancrées par notre hôte actuel. Aussi mention spéciale, pour Kyojuro, et sa source, pour qui nous avons eu un véritable coup de cœur, que ce soit sa personnalité, ses valeurs, son histoire, son développement, évidemment il a fini par apparaître dans notre système. Est-ce que ça étonne vraiment quelqu’un ici ?

[Sepio] : Suite à nos différentes discussions, on a pu constater que nos deux systèmes introjectent de façon très différente : dans le cas de F.O.X, les introjects représentent une part conséquente de leur collectif, et sont pour la plupart des alters complets et complexes. Dans notre cas, l’introjection est plus fragmentaire, on pioche dans nos sources des éléments qui peuvent nous enrichir, sans pour autant qu’elles ne deviennent des co-mates à part entière. Ce qui nourrit ces différences, c’est précisément le moment de notre vie auquel nous avons pu nous projeter dans des univers fictifs. La première œuvre que nous avons réellement choisie nous a apporté la carte de notre paracosme. Comme quoi, face à une œuvre dans laquelle nous pouvons nous projeter, l’introjection est facilitée. Malgré ces différences, nous avons remarqué des similitudes dans notre façon d’aborder l’introjection : celle-ci intervient soit quand nous nous identifions à une source, soit pour combler un besoin, soit pour répondre à un conditionnement, ou parce que la source nous plait. Nous sommes ravis, par le biais de cette vidéo, de célébrer nos différences et nos similitudes.

[F.O.X] Un dernier rappel, c’est que le rapport d’un ou d’une introject à sa source relève de l’auto-détermination. C’est à ellui de choisir de s’identifier à sa source, quel que soit le degré de détachement qu’il y a entre l’introject et sa source. Si on prend l’exemple de l’introject de Marine dans le système de Sepio : elle n’a aucun point commun avec sa source, mais continue allègrement de s’identifier à elle. À l’inverse, Hisoka reconnaît qu’il est un introject de sa source, mais rappelle sans vergogne qu’il n’est pas sa source. Chaque personne, qu’elle soit membre d’un système, ou pas, est libre de s’auto-déterminer, tant que les éléments identitaires qu’elle adopte ne blessent personne par le biais d’appropriation culturelle, ou de fétichisation d’oppressions par exemple.

Intervention proposée par:

  • Sepio (All + accords inclusifs) Nous sommes le système Sepio, un système traumatisæ quoigène sans TDI, de 36 ans, xenogenre, aphantasique, aroace et polyamoureus. Nous sommes 18, nous avons un fonctionnement cephaconscient, et 6 d’entre nous sommes des introjects, dont 4 fictivs et 2 factivs (parmi lesquelæs le ciel).
  • F.O.X (Ils | accords masculins ou Aëls| accords inclusifs)

    Ici Fox, système polyfragmenté dans un corps d’une vingtaine d’années. Nous sommes aussi multiples dans nos troubles, ainsi que nos handicaps. Au sein de notre système, nous avons pas mal de personnes issues en partie ou entièrement de sources fictives.