« Trois systèmes qui écrivent discutent de leur rapport à l’écriture par rapport à la multiplicité, des questions à se poser, des difficultés, représentations et du rapport à l’imaginaire. »
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Représentations, idées reçues
Transcription:
[Kara] Bonjour et bienvenue dans cette intervention pour l’édition numéro #06 de Kaléidoscope. Aujourd’hui, Atoll, Le Nuancier et Epsi ont envie de vous parler de leur rapport à l’écriture en tant que personnes multiples. Je n’écris pas et je serai juste là, moi, Kara, pour leur poser des questions. Je pense que simplement, comme toujours, on peut commencer par se présenter ?
[Atoll] Coucou, alors nous on est Atoll, on est un système de plusieurs dizaines d’alters et fragments. On est autistes et TDAH, on est handi. On fait un peu de contenu sur la multiplicité sur Insta, sous le nom “Être.s multiples”, et suivant les alters, on a des passions bien différentes. Il y a la psycho, la socio et les stats, ça vous le savez, mais aussi l’écriture, la transmission de mémoire, les IA, surtout les text-to-image comme Midjourney, mais aussi la collapsologie – entre parenthèses, pour simplifier, on va dire que c’est l’étude des effondrements de sociétés – la photo et plein d’autres choses. Oui, pronoms, iels, peu importe.
[Epsi] Alors salut, moi c’est Epsi, j’ai 34 ans, mes pronoms, je m’en fous, tu peux partir sur elle, iel, n’importe. J’occupe la plupart de mon temps avec Partielles, pour ce qui est pertinent ici, c’est-à-dire l’écriture. J’aime aussi écrire de la fiction et des trucs comme ça, mais on en reparlera plus tard. Et voilà, et c’est la partie que j’aime le moins, me présenter.
[Le Nuancier] Alors nous, notre nom de système, c’est le Nuancier. On est une douzaine d’alters à peu près, on a conscience les uns des autres depuis plus de dix ans à peu près, sauf qu’on a découvert la multiplicité qu’en 2020, enfin ce que c’était vraiment qu’à ce moment-là. Dans cette vidéo, c’est Narriaa, l’hôte, qui va vous parler de son rapport à l’écriture, vu que c’est elle qui l’écrit. Les pronoms, on est plutôt sûr du féminin, mais n’importe quoi me va.
[K] La question après que j’ai envie de vous poser, c’est un peu, qu’est-ce que vous écrivez en règle générale ? Et vous pouvez grouper cette question avec, est-ce que votre écriture a changé suite à la prise de conscience ?
[E] Du coup, moi, j’écris depuis à peu près que je sais écrire. Quand j’étais jeune, j’ai commencé par écrire des poèmes pour l’école, et j’ai continué à en écrire parce que j’aimais ça. Et ensuite, j’ai écrit des fictions, mais c’était soit des fanfics, soit des histoires courtes. J’ai beaucoup écrit sur forums RPG aussi, avec du coup beaucoup de personnages originaux et beaucoup d’histoires en interaction avec d’autres personnes, mais parfois juste de l’écriture seule aussi. Et j’ai aussi écrit des histoires plus longues. Mais tout ça, ça date d’avant la prise de conscience. Depuis la prise de conscience, je n’écris, pour ainsi dire, plus du tout de fiction. J’écris toujours soit ce que je pense ou des trucs comme ça, et parfois, ça a une forme qui a l’air artistique ou qui a l’air de poème, mais c’est pas voulu, et j’écris beaucoup pour Partielles, quoi. J’écris des articles, j’écris des scripts de vidéos et des trucs comme ça. Mais pour tout ce qui est fiction, depuis la prise de conscience, j’en n’écris plus.
[K] Est-ce qu’il y a un lien ?
[E] Je pense que oui, mais je suppose qu’on développera ça plus tard.
[LN] Pour ma part, du coup, j’écris depuis 13 ans, je dirais. On en a 29 aujourd’hui. J’écris principalement des textes originaux, pas vraiment de fanfiction. J’en ai quelques-uns qui sont édités, mais pas tous. Niveau genre, j’écris principalement de la fantasy et parfois du contemporain type “slice of life”. Au niveau de ce que la prise de conscience a changé chez moi, ça va être très ennuyeux, mais je dirais pas grand-chose, en fait. Parce que, alors, comment dire ? Vu qu’on savait qu’on était déjà plusieurs aux alentours des 15 ans, quelque chose comme ça, bon, je dirais que ça a pas changé grand-chose. J’ai un peu grandi avec, quoi. Et quand j’ai vraiment découvert ce que c’était la multiplicité en 2020, en fait, si vous voulez, j’avais été rattrapée par un autre phénomène qui a beaucoup impacté mon rythme d’écriture, à savoir la vie active, voilà. Et donc, le problème, c’était pas la prise de conscience. Le problème, c’est que j’ai plus le temps pour écrire.
[A] On relate. Et nous, on écrit depuis l’enfance. Un peu comme Epsi, on a écrit des poèmes quand on était enfant. Et puis après, on a commencé à écrire de la fiction avec des périodes des fois avec et des périodes des fois sans. Il y a vraiment eu des périodes aussi où on n’écrivait pas du tout. Je pense que ça a été aussi pas mal lié aux variations au sein du système. Tout le monde n’écrit pas dans le système, visiblement, même si on n’en sait pas beaucoup plus non plus. On a fait de l’écriture notre métier. Et du coup, maintenant, on écrit les choses perso et professionnellement. Sur le volet pro, on s’est spécialisé sur tout ce qui est écriture biographique pour aider les personnes à transmettre leur histoire, leurs souvenirs à leurs proches, leur communauté, enfin voilà, aux personnes qui comptent pour elles. Et puis des fois, de façon plus large, quand c’est pas des particuliers. Du coup, ça a aussi un petit peu bloqué pendant un moment l’écriture perso parce que ça faisait beaucoup, en fait. Il y avait à la fois le côté de l’écriture est devenu notre métier et c’est extraordinaire d’être payé pour écrire. Mais du coup, c’était devenu un travail. Et donc, le peu de temps qu’on pouvait avoir pour écrire dans une vie quotidienne déjà bien chargée, on n’arrivait pas à s’y mettre. Et peut-être aussi parce que c’était un peu bloqué par le fait d’écrire était devenu quelque chose de lié à un revenu, etc. Donc ça nous a un petit peu bloqué un petit moment. C’est en train de revenir, là. C’est en train de changer avec une baisse d’activité pro volontaire. Sur le volet perso, on a tenu longtemps des blogs, pendant vraiment pas mal d’années, peut-être une dizaine d’années, qui était un peu du style journaux intimes mixés avec de la photo parce qu’on a fait beaucoup, beaucoup de photos. Là, on n’en fait pas en ce moment, mais il y a eu vraiment de longues années où on en a fait et ça reviendra, j’espère. À côté de ça, on a commencé plein d’histoires depuis l’enfance, à l’adolescence, mais on n’avait jamais terminé une histoire avant celui qu’on a terminé il y a un an à peu près, je dirais, qu’on a écrit à quatre mains avec une amie proche et qui est sur un de nos intérêts spécifiques, à savoir l’effondrement de la société. Donc, c’est un roman d’anticipation. Et donc, ce roman a été envoyé des maisons d’édition, on attend des retours. Et du coup, en lien avec la prise de conscience de la multiplicité, c’était pendant l’écriture de ce roman-là. Ça ne s’est pas du tout intégré dans l’écriture du livre, mais par contre, comment dire, comme on était concentrés sur l’écriture de ce livre-là, on n’a pas du tout commencé à écrire des personnes multiples, des personnages multiples, etc. Et c’est maintenant qu’on commence tout juste, maintenant que le livre est envoyé, qu’on commence un nouveau bouquin avec dedans une personne qui est multiple, un personnage principal qui est multiple et dont on a fait le brainstorming avec Epsi et Kara, d’ailleurs. La prise de conscience, je pense qu’elle a changé des choses, mais en différé, parce que sur le moment, c’était occupé par autre chose.
[LN] Du coup, le nouveau roman que tu viens d’entamer en termes d’écriture, tu considères que c’est du perso ou du pro ?
[A] Alors, c’est du perso, clairement, même si du coup, j’ai échangé cet après-midi avec une amie là-dessus, sur ma posture dans l’écriture, où je me suis beaucoup posée… Je bloque quelque part au niveau du ton, de ce que je veux vraiment y mettre, etc. Je sais exactement ce que je vais écrire, mais je ne sais pas exactement encore comment l’écrire. Et je me suis rendue compte, avec l’amie avec qui j’ai parlé tout à l’heure, que c’était parce que je ne savais pas comment me positionner. Je ne savais pas est-ce que je me positionnais professionnellement ou personnellement sur le type d’écriture, etc. Et du coup, voilà. C’était tout récent, c’était tout à l’heure où je me suis rendue compte de ça. Je me suis dit, ah, mais en fait, c’est là que je bloque. C’est à cet endroit-là. Et c’est pour ça que je n’arrive pas encore à écrire les choses exactement comme j’aimerais les écrire.
[K] Et tu penses que c’est parce qu’on a brainstormé ensemble ? Tu penses que genre, tu as l’impression que ce qui est perso, il est perso pour toi toute seule, au pluriel. Et que là, vu qu’on a brainstormé à trois, ça fait genre plutôt une optique comme quand c’est professionnel ?
[A] Non, pas du tout. Quand j’écris professionnellement, je parle d’une matière existante, la vie de la personne. Et donc, tout ce que moi, j’ai capté de sa personnalité, de sa façon de parler, de ses souvenirs, de son vécu, de son intime, etc. Et après, mon travail à moi, c’est de mettre ça en forme de faire en sorte que ce soit un objet lisible, que la famille puisse lire en ayant l’impression vraiment que c’est le proche qui a écrit. Mais du coup, je parle de quelque chose d’existant. Mais du coup, je crée peu, en fait. Je crée très peu dans l’écriture pro. Bien sûr, il y a la création parce que de toute façon, il faut quand même choisir un ton, choisir plein, plein de composants de l’écriture. Mais ce n’est pas un truc qui vient de mes tripes à moi. Là, en l’occurrence, sur cette idée de nouveau bouquin, le moteur à la base, c’était créer des représentations, faire des choses qui peuvent peut-être servir, peut-être faire du bien. Voilà, c’était ça le moteur à la base. Et donc, ce n’était pas un truc de “J’ai cette histoire que je porte fort et que je veux absolument écrire.” C’était vraiment quelque chose un peu différent. Et donc, je n’avais pas repéré ça, en fait.
[K] Parce que du coup, c’est à cheval entre le pro et le perso.
[A] Oui, et ça n’a rien à voir avec l’histoire en elle-même, la constitution de l’histoire ou autre. Non, c’est vraiment un truc de en fait, moi, qu’est-ce qui me motive dedans, personnellement, au-delà de je pense que c’est chouette et que c’est intéressant. J’ai trop envie de poser des questions à toi, Na, sur les bouquins que vous avez écrits et tout ça. Alors, qu’est-ce que tu as écrit comme style de bouquin et tout ?
[LN] Principalement du fantasy, comme je le disais. Et des nouvelles. Principalement, des novellas. Pourquoi ? Parce que j’ai du mal à finir des manuscrits, comme toi. Et donc, il me faut une deadline. Et en fait, l’éditeur que j’ai trouvé fait des appels à texte réguliers. Ce qui fait qu’il y a une deadline. Et en plus de ça, il y a un thème. Donc, si déjà, tu as quelques idées de ton côté, mais que tu n’arrives pas forcément à les formuler, et que là, tu as un thème et une deadline, ça va se faire pas mal d’éléments et tu vas pouvoir réussir à monter un truc. Enfin ! Et l’envoyer. Voilà. Et donc, en général, c’est pour des recueils de nouvelles. Alors, vu que j’ai un problème visiblement aussi sur le nombre de caractères, ça leur est déjà arrivé de me dire “Là, en nouvelle, ça passera pas. Mais du coup, on va te le faire en novella.” Et la novella, c’est un format qui est entre la nouvelle et le roman. Moi, j’aime bien tout ce qui est… Tout ce qui présente un peu de mystère. J’aime bien que le lecteur se pose la question et essaye de comprendre où je veux l’emmener au cours du récit. J’aime bien aussi tout ce qui est travailler les atmosphères pour faire voyager. Et le dernier que j’ai écrit traitait aussi de santé mentale à travers la dépression.
[K] Et du coup, vous l’avez déjà partiellement dit, mais qui écrit dans vos systèmes ? Est-ce qu’il y a des personnes dans vos systèmes qui écrivent et d’autres pas ? Est-ce que vous écrivez pas la même chose ou pas de la même façon ? Voilà, comment ça s’organise pour vous ?
[E] Dans notre système, je pense vraiment que tout le monde n’écrit pas, que ce soit fiction ou pour Partielles, ou autre. Ne serait-ce qu’écrire ses pensées en mode journal intime, tout le monde ne le fait pas non plus, et c’est dommage. Mais je ne sais pas dire exactement qui écrit, surtout pas qui écrivait avant la prise de conscience. Quand j’y réfléchis, franchement, je ne sais pas exactement qui écrivait et surtout, qui écrivait à travers qui, parce que je pense vraiment qu’il y avait des influences de l’intérieur qui menaient à l’écriture externe à travers quelqu’un d’autre. Du coup, voilà, comment s’organise l’écriture ? Je dirais comme elle peut, mais c’est très flou.
[A] Pas mal flou, aussi. On n’arrive pas à identifier qui vraiment, ou autre. Peut-être, on arrive à identifier quelques alters qui ne sont pas concernés, mais c’est à peu près tout. Par contre, on identifiait bien que ce ne sont pas les mêmes personnes qui écrivent différentes choses. On a beaucoup écrit pour nous-mêmes, pour mieux se comprendre, que ce soit des textes qui restent personnels, que ce soit des textes qui étaient diffusés sur Internet de façon plus ou moins anonyme. Et ça c’était vraiment un élément central de notre compréhension de nous-mêmes pendant hyper longtemps, de l’adolescence jusqu’à il y a quelques années. Et c’est beaucoup plus rare maintenant parce qu’à la base, c’était vraiment un besoin de prendre du recul sur soi-même et maintenant, on a un environnement relationnel qui nous permet de parler très facilement de tout, y compris de choses très intimes et du coup, on a moins besoin d’écrire seul à ce sujet parce qu’il y a un échange en fait. Et après, pour tout ce qui est histoire, on ne sait pas trop qui écrit ou qui n’écrit pas, mais il y a clairement des différences, je pense, dans le système, entre ce qui est lié à l’écriture spontanée, de choses qui viennent des tripes, de choses qu’on sent un besoin d’écrire, etc., ou de scénarios issus par exemple de nos rêves, de nos cauchemars qui sont très très animés et puis une différence avec l’écriture qui est prévue, qui est pour réaliser un projet, professionnel ou autre.
[LN] Alors, chez nous, c’est principalement moi, Narriaa, qui écrit. Je pense que je dois être la seule. Déjà, je dirais que je suis l’alter qui est la plus intéressée et la plus connectée à tout ce qui est imaginaire. Et puis ensuite parce que, en fait, pendant longtemps on ignorait qu’on pouvait switcher, on a appris qu’en 2020 c’était possible. Et visiblement, le cerveau, il ne savait pas non plus. Chez nous, il faut qu’on lui dise qu’on est capable de le faire pour pouvoir le faire. Donc, concrètement, j’étais la seule à fronter et donc la seule capable d’écrire parce que dans l’inner, on ne garde pas de traces de création. Je veux dire, même si quelqu’un écrivait dans l’inner, ça doit être lisible j’imagine, sur le moment, mais si je veux retrouver le texte dans 15 jours, il n’y est plus. Alors maintenant, du coup, qu’on peut switcher, en soi, on pourrait avoir d’autres alters qui écrivent, mais c’est un peu devenu mon activité “chasse-gardée”. Dans le sens où j’ai déjà du mal à trouver le temps et la capacité pour écrire, alors si j’ai un autre alter qui me fait un coup de flex, je pense que je vais finir par pleurer de frustration. Sur mon dernier livre, quand j’ai repris la correction après avoir reçu le retour de mon éditeur, je ne reconnaissais pas mon écriture dedans. Alors bon, à méditer, mais voila. Et sinon, on avait quelques projets pour faire, par exemple, des quatre mains avec d’autres alters, mais bon ça n’a jamais pris forme. Peut-être à l’avenir.
[K] Et du coup, est-ce que vos personnages vous ressemblent ou pas ? Et quel est le pourcentage de réalité et de perso que vous mettez dans vos fictions ?
[A] Au début, tous nos personnages nous ressemblaient, au moins en partie. C’était encore plus flagrant avant la prise de conscience de la multiplicité parce que c’était beaucoup plus flou pour nous le fait d’être multiple, évidemment, parce qu’on s’en était rendu compte mais on avait oublié plusieurs fois. Il y a eu vraiment des changements d’hôtes par période, donc du coup, c’était très teinté par l’hôte. Donc du coup, au niveau de l’écriture, oui, c’est qu’on était proche de soi quand c’était des personnages fictifs. Et après, c’était aussi beaucoup beaucoup d’écritures perso. Donc du coup, bah oui on a clairement parlé que de nous. Très auto-centré, quoi. On a eu un peu du mal à sortir de ça et c’est justement le roman d’anticipation qu’on a écrit avec une amie qui nous a aidé à sortir de ça parce qu’au début, en fait, c’est un récit à quatre mains. Nous avons écrit une ligne du récit. Notre amie a écrit l’autre ligne du récit qui se passe 30 ans après. Donc ça s’entremêle. Et du coup, j’écrivais entièrement ma partie et elle écrivait entièrement sa partie. Ce qui faisait qu’il n’y avait pas de confusion dans mon écriture. C’était cohérent du début à la fin. Du coup, je suis partie, pareil, d’une écriture qui était très personnelle à la base que j’ai modifiée petit à petit pour la sortir de moi et en faire vraiment quelqu’un à côté de moi qui me ressemble mais qui est quand même bien différent dans plein de choses de sa vie, de.. etc. ou autre. Enfin, il y a quand même des choses qui diffèrent beaucoup. Et petit à petit, il y a d’autres personnages qui sont venus se greffer et là, il y a vraiment eu ce côté de comment est-ce qu’on fait pour écrire d’autres personnages qui ne sont pas nous, qui sont crédibles ? Ça a été vraiment intéressant de le faire et je pense que je n’aurais pas continué si on n’avait pas été en duo sur le livre parce que quand ma co-autrice avait fini un chapitre, c’était à moi d’écrire. Et du coup, il y avait une attente, un cadre de : “là, c’est mon tour, il faut que je m’y mette”. Si j’avais été toute seule, je pense que j’aurais peut-être laissé tomber parce que ça sortait un petit peu trop de mes territoires de confort. Du coup, on s’est beaucoup inspiré de nous et des personnes autour de nous, même des simples connaissances. Il y a eu une période il y a une dizaine d’années où on écrivait beaucoup sur les gens qu’on croisait dans la rue, on se posait quelque part et on écrivait les gens qu’on voyait. On essayait d’imaginer leurs histoires, qu’est-ce qui se passait, où est-ce qu’ils allaient après, etc. Et ça faisait des mini-nouvelles rigolotes. Du coup, ça nous entraînait un petit peu à être un petit peu moins auto-centrés. Après, je ne pense pas que ce soit une mauvaise chose d’être auto-centrés mais c’est quelque chose qui est quand même pas hyper valorisé j’ai l’impression. Et en plus, bah c’est pas simple je trouve d’avoir de la richesse dans les personnages s’ils sont tous un peu sur le même mode. Donc on a essayé de travailler ça un petit peu. Mais de manière générale, je trouve que c’est toujours riche et un peu plus simple aussi de partir au moins d’un brin de réalité et de broder à partir de ça. Quitte à brouiller les pistes après. Mais la sincérité de la réalité qu’on vit, je pense qu’elle est essentielle. Que ce soit quelque chose qu’on vit soi-même ou quelque chose qu’on perçoit de vécu chez quelqu’un d’autre.
[LN] Moi, les systèmes que j’ai écrits, je sais que y en a deux. Je n’ai vraiment pas écrit beaucoup de personnages multiples en fin de compte. Je pourrai expliquer après pourquoi. Mais concrètement, les systèmes que j’ai écrits, oui ils nous ressemblent plutôt. Ils fonctionnent globalement comme nous, ils utilisent plus ou moins les mêmes labels. Et en fait, pourquoi je fais ça ? Parce que c’est quand même plus pratique de me baser sur quelque chose que je connais. Déjà, écrire peut être compliqué, selon le texte que je vais écrire, je vais potentiellement rencontrer d’autres difficultés, etc. Alors au moins, pour le premier personnage multiple dans l’histoire que je veux amener à terme, ce serait bien qu’il soit assez simple pour moi à manœuvrer. Si je continue à me mettre des bâtons dans les roues, je ne vais vraiment pas m’en sortir. Maintenant, ce qui était intéressant à dire, c’est que le premier personnage multiple que j’avais écrit, il était tellement proche de nous que ça avait mis un foutoir pas permis dans notre système. Et qu’en fait, on était en train d’introjecter tout le monde. Donc, quand même, pas trop proche ! Il faut une distance de sécurité, je dirais.
[K] A part dans les persos et du coup, dans le fait de faire des systèmes, est-ce que vous mettez beaucoup de vécu dans vos fictions ?
[LN] Pour ce qui est de notre expérience de fonctionnement, je dirais oui. Et sinon, au niveau des expériences externes, pas internes “comment ton système fonctionne” mais “qu’est-ce que toi tu as pu rencontrer”, ou ce genre de choses : pas tant que ça, je dirais non. Parce que j’aime bien écrire des choses ou lire des choses qui me sortent de la réalité. C’est un peu ma manière à moi de m’enfuir et de ne pas avoir à être connectée au monde extérieur.
[E] Moi, ce qui est rigolo, c’est que c’est plutôt l’inverse. Là où vous, dans Le Nuancier, vous écrivez pour vous évader, moi, je pense que quand j’écrivais de la fiction, j’écrivais la réalité mais métaphorisée. Si on lit ce que j’écrivais, ça n’a pas l’air de me ressembler.
Enfin, j’écrivais surtout de l’action science-fiction et ça a l’air de sortir de nulle part mais en fait, si on détricote tout le truc, c’est ma vie, juste c’est métaphorisé. Et du coup, je pense que c’était – et c’est pour ça, à mon avis, que je n’écris plus depuis la prise de conscience – je pense vraiment que c’est parce que l’écriture c’était un exutoire pour mon inconscient et son déni. Parce qu’on a beaucoup de barrières amnésiques, beaucoup de dénis et l’écriture, je pense, c’était une façon de faire sortir des trucs qui ne pouvaient pas sortir dans le conscient et qui, donc, sortaient juste sur l’écrit. Par rapport aux personnages, du coup, il y a beaucoup, pas forcément de “moi”, spécifiquement, mais de caractères proches de certains alters et des trucs comme ça dans les personnages principaux et de personnages de mon entourage dans les personnages secondaires et dans ce qui se passe, il y a aussi des trucs qui peuvent faire penser à ma vie mais ce n’est pas voulu. Mais à côté de ça, on n’a jamais eu, par ma connaissance en tout cas, on n’a jamais eu d’alters qui se sont développés suite à des personnages créés et inversement. Je pense qu’il y avait des inspirations et des influences mais ça ne s’est jamais mélangé. Je pense vraiment que l’écriture était juste un moyen de sortir des trucs. Du coup, il y a de la réalité dans mes fictions mais je ne le savais pas.
[K] T’as jamais écrit de personnages multiples ?
[E] Jamais en le voulant. En fait, si tu lis, mes personnages sont multiples. Il y a vraiment de l’expérience de multiplicité dedans. Il y a des moments, des actions où tu te dis “mais pourquoi ce personnage aurait fait ça ? C’est tellement pas cohérent” parce qu’en fait, parce que je ne sais pas sur le moment ça me paraissait logique, mais en fait non, effectivement, ce n’est pas cohérent dans la vie du personnage. Il y a beaucoup de doutes. Très souvent, dans ce que j’écrivais, il y a une notion genre de perte de contrôle, de perte de contrôle de soi. De douter de soi, de ses envies, et des trucs comme ça. Tout ça, c’est des expériences que moi je vis parce que la multiplicité et donc mes personnages sont proches de ça mais non, ils ne sont pas volontairement multiples, ni consciemment multiples, non.
[LN] Est-ce qu’aujourd’hui, ça t’arrive du coup de relire volontairement tes textes et te dire « Ah oui, mon Dieu, j’étais à côté de la plaque ! je ne l’avais pas vu comme ça à l’époque mais c’était vraiment de la multiplicité.»
[E] Oui, quand j’ai lu des trucs après la prise de conscience, longtemps après, je me suis dit « Oh là là, mais en fait, tout était sous mes yeux.»
[A] Oui, je relate le fait d’écrire des choses qui sont proches de la multiplicité mais qui ne se manifestent pas comme de la multiplicité dans l’écriture. Comme aussi : l’autisme. Je pense que j’ai écrit que des persos autistes mais juste, je ne m’en rendais pas compte parce que c’était juste basé sur ma façon de voir le monde quels que soient les alters dans le système. Mais voilà, il y a un truc un peu de : le monde est vu à travers ces prismes-là et donc ça se ressent dans l’écriture même si le sujet c’est ni la multiplicité, ni l’autisme, ou ce genre de choses.
[LN] Oui, je suis d’accord. Ça peut me le faire ça aussi. J’écris pas énormément de personnages multiples mais par contre on retrouvait des thèmes qu’on retrouve aujourd’hui dans la multiplicité et qui me plaisent beaucoup par exemple d’avoir des personnages qui sont très liés les uns aux autres ou d’avoir un personnage qui est le seul à pouvoir communiquer, à pouvoir voir, à pouvoir échanger avec un être qui est immatériel par exemple ou voilà. Ce genre de choses.
[K] Et du coup, est-ce que vous avez un attachement particulier avec ces personnages-là ou avec d’autres personnages ? Toi, Epsi, t’as dit que t’avais pas fait d’introjects et vous Le Nuancier. Je pense que vous, vous avez dit que oui. Atoll, je pense que t’as rien dit.
Dans quel sens vous avez introjecté, autojecté, ré-introjecté ?
Et est-ce que du coup, vous avez un rapport plus particulier avec certains de vos personnages en raison de votre multiplicité ?
[E] J’ai peu fait d’autojects. Je pense vraiment que j’en ai pas fait. Mais je me souviens que, il y a un moment où j’ai créé un personnage sur un forum de jeux de rôle et je me souviens que ce personnage ressemblait pas du tout au personnage que je faisais d’habitude. Et, en fait, ce personnage, c’était moi, moi en tant qu’hôte. Moi, la nouvelle hôte de l’époque.
Et je sais que ce personnage m’a marquée parce que je me suis dit : j’ai vraiment envie de quelque chose de différent. Et vraiment, ce personnage-là m’a marqué comme un changement dans mon style de jeux de rôle de ce moment-là. Mais je pense que c’était une fois de plus juste une représentation, un acte conscient de mon inconscient. Mais voilà. Mais à part ça, je ne suis pas très proche de mes personnages à part me dire, enfin les relire avec de la tendresse pour moi-même et pour mon système.
[A] Je peux être proche de certains de mes personnages pas forcément en vécu ou autre, mais en fonctionnement. Du coup, c’est vrai que j’ai un attachement pour ces personnages-là, des personnages qui ressemblent à des alters dans notre système ou ce genre de choses. D’ailleurs, on est très protecteurs vis-à-vis de ces personnages-là et c’est compliqué qu’on touche à ces personnages-là. Il y a vraiment un truc de protection, du coup.
[K] Est-ce que ça touche à ton identité ?
[A] Oui, quelque part, parce que dans les personnages, même des fois maladroits, même des fois qui peuvent peut-être manquer un peu de cohérence ou manquer d’engagement ou ce genre de choses, etc., il y a toujours une part de vrai, il y a toujours des alters qui vraiment ressemblent fort. Même s’ils sont pas exactement comme ça, même si c’est pas le même vécu, même si c’est pas, etc., mais dans le fonctionnement. Il y a un instinct de protection sur les fonctionnements des personnages, surtout ceux dont le fonctionnement peut se rapprocher d’un fonctionnement de quelqu’un en interne.
[E] Est-ce que vous, vous avez eu des autojects ou des alters qui se sont modifiés par rapport à l’écriture ?
[A] Alors moi, j’ai plusieurs avis. Moi, je fais non, je crois pas et il y a Flowy qui fait “T’as pas encore tout regardé partout !”, donc je ne sais pas.
[LN] Qu’est-ce que je vais dire ? Oui, est-ce qu’on a des rapports spécifiques avec les personnages qu’on a écrits et particulièrement ceux qui ont un aspect multiple ? Je dirais que oui. Après, bien sûr, ça m’arrive d’apprécier d’autres personnages aussi mais ceux-là, quand même, j’ai un petit faible pour eux et c’est normal quoi parce qu’ils sont effectivement assez proches des choses que je peux vivre. Pour ce qui est de est-ce que j’en ai un projeté, autojecté, etc. Je commencerais par dire que quand on est multiple, écrire à la première personne du singulier… enfin c’est pas forcément une bonne idée. C’est vraiment la meilleure manière de finir avec un personnage en plus dans la tête. Maintenant, concrètement, ma·on narrateur·ice de mon dernier livre… moi, je maintiens qu’iel n’a pas rejoins le système. Avis qui fait débat entre les différents membres du système mais bon, on va laisser les choses comme ça pour l’instant. En fait, je pense que j’ai un problème peut-être moral ou quelque chose comme ça avec l’idée d’intégrer des personnages dans notre système. Parce que des personnages j’en fait ce que j’en veux, entre guillemets. Et des alters, pas du tout. Donc, si je commence à introjeter un personnage, est-ce que j’ai le droit de faire ce que je veux après ? Est-ce que je dois écrire ce qu’il me dicte ? Est-ce que j’ai le droit d’adapter du coup son expérience pour ensuite ensuite en faire une histoire qui, elle, aura juste valeur d’histoire et puis voilà, on le sépare entre guillemets de sa source ?
C’est vraiment une des questions que je me pose en ce moment, notamment parce que en tant que multiple, du coup… Je ne sais pas si c’est spécifique aux personnes multiples, je pense que les singlets doivent pouvoir faire ça mais je pense que c’est plus facile pour nous : je peux inviter des personnages dans l’inner pour discuter avec eux. Et inversement, je peux m’inviter dans leur monde (mais je dois faire attention à ne rien perturber, etc). Mais ce que je veux dire c’est que : je fais ça pour pouvoir échanger avec eux, pouvoir débloquer des points, apprendre à les connaître, etc. même si, bon, ils n’ont pas toujours la réponse. Et mon problème, c’est que donc sur l’écrit sur lequel je taff actuellement, eh bien, on a fait ça avec l’une des alter et maintenant elle vient régulièrement prendre le thé ! Et je crois que ça me met, moi, plus mal à l’aise qu’elle, à ce stade, de la voir dans un coin à être là en mode : “on en parlera quand tu voudras”. Et je ne suis pas forcément à l’aise avec les nouveaux venus dans le système donc ça n’aide pas non plus.
[A] Je me suis un peu « bagarrée » entre guillemet avec deux persos qui vraiment ne voulaient pas du tout faire ce que je voulais. Et je n’arrivais pas à écrire autre chose, enfin, je n’arrivais pas à les emmener là où je voulais et du coup, je n’ai pas capté sur le moment que je suis en train de me rendre compte à tout en même temps que je parle, en même temps avec ce que tu as dit, Le Nuancier. Je veux dire, c’est assez random ce truc d’auteurice, d’écrivain·e de « oui, mes persos, ils font un peu ce qu’ils veulent » et compagnie. Et du coup, je me dis : quid de la multiplicité dans tout ça ? Combien d’auteurices multiples qui n’en ont pas forcément conscience ? Je pense, beaucoup Et à quel point c’est un marqueur de multiplicité ou non ? Mais du coup, voilà je regarde ça un peu sur le moment en me disant « ah oui, les persos qui résistent, qui ne se laissent pas emmener là où nous on veut » Ça nous est arrivé plein de fois et notamment dans le dernier truc. Et on était, c’était compliqué parce que vraiment ça nous amenait à un endroit où on ne voulait pas forcément aller ou en plus, c’est un livre qu’on écrivait avec une autre personne donc on ne voulait pas modifier des choses de façon trop importante, changer le ton du livre ou autre. Donc vraiment, ça a été un moment pas facile. Les derniers chapitres du livre ont été compliqués à écrire.
[E] Et moi, non, je n’ai pas ça du tout. Moi, justement, l’écriture me venait plutôt comme un besoin tout à coup d’écrire quelque chose, d’écrire la suite, d’écrire le chapitre suivant. Et je pense que juste, c’était parce que ça sortait. Mais ça n’a jamais été l’inverse. Par rapport à une remarque que vous avez dit, Le Nuancier, d’écrire en « je ». Je sais que ma plus longue histoire, qui est beaucoup basée sur ma vie, même si très métaphorisée, je l’ai d’abord écrit en « elle », puis ça n’allait pas. Je l’ai écrit en « je », le premier chapitre, et puis je l’ai réécrit en « elle ». Et j’ai écrit la suite en « elle ». J’ai vraiment eu une hésitation sur le « je » ou le « elle » et encore aujourd’hui, c’est quelque chose que je trouve difficile, le pronom et le temps pour l’écriture.
[A] Oui, je suis vraiment d’accord. Je trouve ça vraiment compliqué de définir ça. C’est justement à cet endroit-là que j’étais cet après-midi par rapport à ce début de nouveau roman. Il y a un truc un peu de quelle distance je mets. Plus je mets de la distance, plus c’est facile de m’en couper émotionnellement mais moins c’est peut-être intéressant ou peut-être que c’est moins immersif. Et en même temps, à quel point je mets de moi, en fait, à quel point je mets de moi dedans, à quel point je rentre en fusion émotionnelle avec ce que j’écris. Et c’est ça, en fait, que j’avais pas vraiment jaugé dans ce projet-là et du coup, je suis en train de me dire : hm, je me mets où ? Je sais pas si vous posez des questions comme ça, vous Le Nuancier.
[LN] J’avais l’habitude d’écrire troisième personne du singulier et passé. C’est justement quand j’ai voulu écrire mon dernier livre, où vraiment, ça ne passait pas. Et j’ai dû passer sur le “je” au présent. Et là, ça s’est débloqué et ça s’est écrit tout seul. Et oui, en plus, maintenant qu’on y repense, c’était vraiment l’un des écrits où je mettais le plus d’expériences personnelles dessus avec la dépression.
[K] Et du coup, qu’est-ce que ça vous apporte d’être des personnes multiples dans l’écriture de vos personnages multiples. A part des introjects ?
[E] Je pense qu’on a déjà un peu partiellement répondu. Le fait d’être concerné, ça a fait qu’on apporte des subtilités, des nuances et des expériences émotionnelles qui sont, à mon avis, difficiles à décrire si t’es pas concerné.
[K] Oui, c’est ça, la question, c’était dans ce sens-là : par rapport à un singlet qui écrirait des personnes multiples.
[E] Je suppose que c’est plus proche du vécu, même si c’est pas voulu.
[A] Je pense que ça amène plus de crédibilité, plus de sincérité et puis un peu moins de risque de tomber à côté. Mais par contre, je pense que c’est pas pour autant un totem d’immunité parce qu’il y a autant d’expérience dans la multiplicité que de personnes multiples. Donc, on peut parler bien que de son expérience à soi et partiellement bien, je pense, des expériences qu’on constate, qu’on côtoie. Mais voilà, je pense que le fait d’être concerné n’empêche pas, surtout si on écrit une multiplicité différente de la nôtre, d’investiguer, de bien comprendre comment fonctionne la multiplicité des personnes qui ont une multiplicité qui est proche de celle qu’on veut écrire.
[LN] Je suis complètement d’accord avec ce que vous dites. Mais je pense qu’il y a un autre avantage aussi, c’est que, comme tu le dis, si on veut écrire sur des expériences qui ne sont pas les nôtres, on va devoir se renseigner dessus, et en fait, à mon avis, en tant que personne multiple, on a plus facilement accès à des sources fiables. Déjà parce que, je pense qu’on connaît davantage de personnes multiples que le singlet du coin. Et aussi parce que, enfin, je pense qu’il y a beaucoup d’informations qui s’appuient sur la multiplicité qui disent beaucoup de choses différentes, on ne sait pas forcément vers quoi s’orienter et on va pouvoir déterminer assez facilement si la source nous semble assez fiable ou non en fonction des autres éléments qu’elle partage et que nous on connaît bien. Et je pense que pour une personne singlet qui n’a aucune expérience et qui veut démarrer à zéro, eh bien je lui souhaite bien du courage.
[A] De pouvoir déterminer ce qui est cohérent.
[LN] Oui, voilà.
[E] En plus de ce qui est cohérent, je pense qu’il y a une notion, souvent, mais pas toujours, un peu d’intention. Ce que j’entends ici, c’est que, tu vois, Atoll, tu veux faire des représentations. Enfin, on veut tous un peu faire des représentations, et des représentations justes. Je pense que il y a des singlets qui se lancent, souvent, ce qu’ils veulent, c’est du sensationnel ou un trope qui va marcher, et tout. Et la multiplicité, bah… La multiplicité, en elle-même, t’as un peu rien à dire dessus. C’est beaucoup de nuances, de doutes et de “hm, est-ce que je mets du sucre dans mon café ou pas ? Parce que des jours j’aime bien, des jours j’aime pas.” Et donc, il y a : l’intention dans le fait de faire des recherches pour te permettre d’avoir des trucs plus crédibles est pas la bonne non plus. Parce qu’il y a des singlets qui vont aller se conforter dans des trucs pas vrais. Alors que nous, effectivement, on est plus, à mon avis, à se rendre compte que quelque chose est biaisé ou un truc ainsi et à se dire : cette source-là, elle est pas fiable, elle me convient pas dans ce que je veux montrer.
[A] D’ailleurs, je pense que je mettrais une légère nuance à un endroit où on dit : quand on veut écrire quelque chose, il faut écouter la parole des concernés. Et vraiment, je suis entièrement d’accord là-dessus. Et d’ailleurs, tout ce que j’ai pu lire décrit par des personnes non concernées, ça tombe vraiment à plat, voire c’est carrément mauvais. Je parle pas forcément de multiplicité, un tout type de concernés. Mais je pense aussi qu’il y a un truc de : être concerné, ça ne veut pas pour autant dire avoir une bonne compréhension de sa condition de concerné. Et du coup, il y a : il faut prendre en compte la parole des concernés, il faut aussi se confronter sur la compréhension des dynamiques qu’il y a dedans, de la complexité qu’il peut y avoir dedans, etc. ou autre. C’est tout à fait possible des fois d’être concerné et d’être à côté.
[E] Il faut faire attention à ne pas faire de généralité. Et c’est parfois difficile.
[A] Ça apporte pas forcément une compréhension fine. Par exemple, je veux dire, si on prend une oppression systémique comme le sexisme : bien évidemment qu’on ne peut pas écrire sans s’adresser aux femmes et minorités de genres, mais, pour autant, des femmes peuvent dire des choses extrêmement sexistes parce que le sexisme est intériorisé, parce que plein de choses…
[LN] C’est un bon exemple. Il y a un objectif aussi en fait. Parce que tu peux être concerné, mais si ton objectif c’est pas justement de donner une bonne représentation, si toi tu t’en fiches, et que t’es là “ben toute représentation me va”. Et tu ne fais pas spécialement attention à ce que tu veux mettre derrière, que tu n’es pas au courant, que par exemple, il y a beaucoup de polémiques sur certains sujets, etc. Toi, tu vas juste être là « Ah, ok, ça me va, je valide. » Et en fait, tu manques une grosse partie de la chose.
Mon éditeur fait pas mal de relectures sensibles et une fois, une question qui lui a été posée, c’est « Vous faites des relectures sensibles par des personnes concernées, mais est-ce que ces personnes-là sont militantes ?» Et en fait, ça change pas mal de choses. Ça change beaucoup de choses.
[E] Je pense qu’on n’est pas obligé de mettre du militantisme dans ce qu’on écrit. Moi, je trouve ça mieux, évidemment, de pouvoir, en tout cas, pas véhiculer des trucs nuls, mais je pense qu’alors, c’est bien de mettre un disclaimer au début. Informer correctement les personnes qui lisent, en leur faisant comprendre que ce n’est pas la vérité absolue pour toutes les personnes multiples, des trucs comme ça, qu’on ait conscience des choses ou pas d’ailleurs, mais je pense que c’est important.
[K] Est-ce que vous avez des difficultés pour écrire des personnages multiples, malgré le fait que vous êtes concernés ? Et si oui, lesquels ?
[A] Je pense que ça va être surtout notre exigence perso envers nous-mêmes de faire quelque chose qui tienne la route. De ne pas se louper là, en fait. Et du coup, en conséquence, ça semble compliqué, en tout cas pour le moment, d’écrire des formes de multiplicité qui seraient très éloignées de la nôtre. Parce que, peur de tomber à côté. Peur de mal faire et du coup de faire mal aux personnes concernées, de ne vraiment pas aider, je veux dire. La multiplicité elle a déjà suffisamment de très mauvaises représentations, ou de représentations vaguement potables pour continuer à en rajouter et donc il y a un peu ce côté de : ok, soit on fait rien, soit on fait un truc qui tient la route. Donc c’est la pression, elle est là pour moi, de se dire : bon, l’important c’est quand même de faire quelque chose qui tienne la route, qui aide un peu, ou en tout cas qui fasse pas de mal, au moins.
[LN] C’est des questions que je me suis posées aussi. Mais je me dis aussi que peu importe ce que tu produis, il y aura toujours des gens qui vont le prendre de travers. Je pense aussi qu’on a quand même, comme on le disait tout à l’heure, moins de risques de se planter que les personnes singlet. Justement, tant que t’en as conscience, tu peux te renseigner pour éviter justement les embûches, te faire relire par d’autres personnes multiples qui elles auraient peut-être expérimenté les choses que tu traites, que toi-même tu n’as pas vécu. Chez nous, par exemple, le texte actuel qu’on est en train de faire, c’est ça, il y a beaucoup de choses qui nous ressemblent, mais évidemment, au lieu de coller à 100%, il a fallu que j’aille m’enfoncer dans les ronces, et donc, par exemple, ils ont une alter qui ont fait une scission dans leur système, et ça, chez nous, c’est arrivé qu’une fois, et ça fait tout de suite un ‘reverse’, un retour en arrière. Eh ben c’est compliqué d’écrire avec ça, du coup.
On en parlait tout à l’heure aussi, avec tout ce qui est “faire un effet dramatique”, un effet “sensationnel”, tout ça.Ça reste tentant, même en tant que personne multiple, je trouve, en tout cas personnellement oui, parce que j’aime dégager beaucoup d’émotions dans mes textes. Et puis ça me permet d’évacuer aussi mon propre malaise interne, d’une certaine manière. Donc du coup, j’ai cherché à externaliser beaucoup d’émotions négatives, sauf que, bah, émotions négatives et multiplicité, ça peut très vite déraper et devenir quelque chose trop dramatique pour être réaliste. On peut faire attention à ça aussi, c’est sûr. Et après, les difficultés qu’on peut rencontrer… Bon, ça dépend pour qui on écrit, et moi, je voudrais écrire pour des personnes multiples, mais ça va pas être les seuls à ouvrir le bouquin. En fait, pour réussir à rendre la chose compréhensible, et ben je… ça m’embête de devoir définir chaque terme employé, et de devoir expliquer tous les concepts. Il y en a beaucoup, et je sais pas, il faudrait que le livre vienne avec un petit dictionnaire multiple, tu sais, à la fin, on va mettre un petit annexe d’explication. Ou sinon, il faudrait faire une relecture sensible, mais par un singlet, cette fois-ci. Et l’autre problème aussi, c’est que, ben, avec des personnages multiples, vu qu’on a plusieurs alter, bon, après, ça dépend de comment on veut le faire, mais si on veut détailler les autres alters, ça commence à faire beaucoup de personnages à creuser. Les relations entre personnages, il faut en parler. L’historique, il faut en parler. Enfin, subitement, à la place d’un personnage, j’en ai dix, quoi. Donc il va me falloir du temps et de l’espace pour gérer tout ça. Et vu que, personnellement, j’écris des textes plutôt courts, ou du moins qui ont visé de l’être, et puis qui dérapent après… Ça n’aide pas. Mais sinon, oui, je suis d’accord, il faut qu’on fasse quand même attention à ce qu’on essaie de communiquer comme image, et je pense que ça reste quand même la première problématique qu’on rencontre.
[E] Pour moi aussi, c’est le plus dur. Déjà, j’écris plus de fictions depuis que j’en ai plus vraiment besoin, mais j’en aurais envie. Mais je suis mortifié à l’idée de me planter et de faire passer le mauvais message, et je pense que, pour le coup, ça vient vraiment de Partielles. Et même si j’écrivais de la fiction à côté, et que personne ne saurait que c’est Epsi de Partielles qui a écrit, même quand j’écris pour Partielles, c’est le cas. Je me prends vraiment la tête, parce que Partielles est en partie une référence. Et pendant un certain temps, Partielles a servi de débunk à plein de désinformation qu’il y avait sur la multiplicité. Et donc, je fais vraiment, vraiment gaffe à pas soit laisser passer des clichés, soit véhiculer de mauvais messages, soit faire des généralités, ou affirmer des trucs qui, en fait, la multiplicité c’est beaucoup trop vaste pour pouvoir affirmer des vérités uniques et universelles pour tous les systèmes. Et du coup, ça se sent très fort dans ce que j’écris pour Partielle. Mais je sais que ça va se sentir aussi – enfin ça va se sentir aussi quand je réussirai à réécrire de la fiction, parce que j’ai envisagé de m’y remettre. J’ai commencé à écrire un truc de relativement fiction. En fait, c’est une partie de l’histoire de mon système, mais si elle s’était passée à l’envers de comment elle s’est passée en réalité. La vraie histoire, c’est que Kara m’a rencontré et puis a rencontré une autre alter spécifique de mon système. Et le truc que j’essaye d’écrire : c’est si Chara avait rencontré cette alter là en premier et pas moi. Et je vais voir si j’y arrive, mais ce qui me saoule, c’est que j’ai un TDI cliché. A cette époque-là, j’avais un TDI très… avec des blackouts forts, avec, justement, deux vies distinctes, très séparées les unes des autres, et c’est Kara qui a permis la rencontre de ces deux mondes, entre autres.
[K] Non, c’est la multiplicité de Kara qui a permis la rencontre. Parce que si Kara n’était pas une personne multiple qui s’ignore et ne parlait pas d’elle à la troisième personne, Kara n’aurait pas pu être et avec ta vie du jour, et avec ta vie de la nuit.
[E] C’est ça. Mais voilà. Mais du coup, si j’écris cette histoire, j’écris un TDI cliché.
[LN] Et alors ? C’est pas grave.
[E] Oui, je sais que : Et alors ? Mais la partie qui écrit pour Partielles de moi, elle a vraiment du mal – après, je ne dis pas du tout que je publierais, ou quoi que ce soit, surtout pas que je publierais sous le nom d’Epsi de Partielles. Ce serait bizarre pour d’autres raisons, mais bon. Soit j’écris et je m’en fous et personne ne le lit et ça me va très bien aussi. Soit si je sais que des gens vont le lire, je flippe de faire passer un mauvais message. C’est vraiment du conditionnement de Partielles, ça clairement.
[LN] C’est vrai qu’en plus sur le sujet de la multiplicité, même les personnes multiples elles-mêmes arrêtent pas de se tirer dans les pattes au niveau de ce qui est valide ou non. Donc t’as encore plus le stress que quelqu’un d’autre vienne te dire « Mais non, ça c’est complètement faux. C’est pas comme ça qu’il fallait l’écrire. Moi aussi, je suis multiple. Moi aussi, je suis concernée. Et ce que tu fait c’est grave, machin et tout!» Et là ça va t’angoisser de fou alors que non, c’est juste que vous n’avez pas la même expérience.
[E] J’arrive pas à ne pas me dire c’est cliché alors que je sais que ça existe.
[A] Et s’il y avait plus de récits existants qui montrent plein de formes de multiplicité différentes, est-ce que tu te sentirais plus à l’aise du coup ?
[E] Ouais, je pense.
[A] Bon bah du coup, tout le monde doit se mettre à écrire, là. Allez !
[K] Je pense que la difficulté en plus, c’est exactement comme le parallèle, vous voyez quelqu’un de gentil, il fait une fois une mauvaise action, on dit « Oh, regarde Bidule, il était trop désagréable. » Mais quelqu’un de globalement désagréable, il fait une fois une bonne action et tout le monde l’applaudit. Je pense que les récits sur la multiplicité cliché, entre guillemets, ont ce même problème. Et c’est pas du tout de la faute des personnes gentilles ou méchantes de mon exemple, qui sont juste des personnes… c’est pas genre “mal” d’avoir un TDI cliché. Mais je pense que oui, sur dix histoires de TDI un peu plus floues et moins “waouh”, c’est quand même la dixième, celle qui est la seule à être différente qui sera retenue.
[LN] Peut-être… je sais pas si c’est une réflexion que vous avez eue aussi, mais il y a un point que j’aimerais pas c’est : sanitiser nos représentations, aussi. Dans le sens où on devrait pouvoir parler d’alters qui sont problématiques ou d’alters qui ont des… Enfin, “qui sont problématiques”… Qui sont problématiques pour le commun des mortels, entre guillemets. Genre parler d’un alter sexuel ne devrait pas être problématique. Mais on sait ce que le public va en faire. La violence des persécuteurs, c’est une chose qui peut arriver, qui arrive, bien évidemment. On sait ce que le public va en faire, etc. Ou même, j’aimerais qu’on arrête avec les méchants, entre guillemets “qui sont méchants à cause de leur multiplicité”. Mais pour moi, on doit pouvoir écrire un antagoniste qui est multiple tant que tu arrives à dissocier le fait que son comportement ne vient pas de sa neurodivergence.
[A] Oui, c’est clair, c’est un peu… Bah voilà, genre, tous les récits TDI dans la culture pop, c’est forcément : il y a une identité, voilà genre, une identité est un serial killer. C’est toujours ce genre de truc un peu débile. Et du coup, il y a un truc de : il faut plein de représentations qui montrent que c’est complètement stupide et que, il y a plein… la multiplicité c’est des choses bien différentes, c’est beaucoup plus riche, et compagnie ou autre. Mais pour autant, il faut, à un moment donné, réussir à arriver à un endroit où on peut aussi écrire des criminels qui ont une multiplicité, par exemple. Sans retomber dans ces énormes clichés qui sont super mauvais pour toute la communauté.
[LN] C’est un privilège, tu sais, en fin de compte, de pouvoir écrire des antagonistes qui présentent ton trouble ou autre, c’est un privilège à ce stade. On peut pas se le permettre aujourd’hui.
[K] Est-ce que vous pensez qu’il y a un moment où le monde est prêt ou est-ce que vous pensez que c’est à vous, en tant qu’auteurice, de pousser le monde ?
[A] Je pense que tout dépend à quel point on est prêt à se faire taper dessus. Je pense que c’est super nécessaire, des gens qui sont capables d’y aller. Et moi, ça dépend des sujets. Il y a des sujets sur lesquels je peux vraiment y aller, il y a des sujets sur lesquels je me sens pas. Par exemple, sur la multiplicité, on a tout un questionnement dans le système de : OK, mais si on écrit un roman sur la multiplicité et si jamais on trouve un éditeur en suite ou autre ? On a vraiment une grosse partie du système qui est en mode : “mais nous on veut rester anonyme, en fait. On ne veut vraiment pas être out.” Un écrit, un roman, une fois qu’il est public, il ne nous appartient plus complètement. Le public en fait ce qu’il veut. Et du coup, voilà l’auteur qui est lié à l’écrit, peut se prendre plein de trucs différents. Et voilà. Je pense qu’il y a une question de à quelle distance on se met soit, ensuite.
[K] Et comment vous vous sentez toustes, du coup, à propos de ça ? Est-ce que vous aimeriez être publié·e·s avec votre nom civil en parlant de multiplicité ?
[E] J’ai du mal à ce que mon nom civil soit rattaché à Partielles, mais rattaché à un écrit, ça, je m’en fous.
[LN] Même si c’est un écrit officiellement “own voice” ?
[E] Ouais, je pense que ça va.
[LN] Respect. Nous, on a commencé à écrire avec notre pseudonyme, qui est Naaria, mon nom d’alter. Donc, on avait bien l’idée de continuer là-dessus. Dans tous les cas, même si c’est relégué à ton nom de plume, si ça explose, ça te reviendra quand même dans le nez. C’est pire s’il y a ton nom civil, parce que ça peut être encore plus compliqué derrière. Le nom de plume, tu peux l’abandonner plus facilement, mais à mon avis, tu seras quand même touché·e si jamais ça part en cacaouette.
[A] On s’est vraiment posé la question de l’anonymat par rapport à notre livre, celui qu’on a écrit avec une amie, alors qu’il n’y a pas de conditions spécifiques liées à nous. Ça a vraiment été un questionnement. Et du coup, clairement sur un roman qui parle de multiplicité, etc., où c’est très overt le fait que c’est quelque chose… bah qu’on est concerné. Parce qu’il y a une question de crédibilité aussi, de : je publie un roman lié à la multiplicité, c’est super important pour moi de préciser que je suis concernée, justement, pour ne pas donner une impression de personne non concernée.
[LN] Tu pourrais mettre que ça a juste été relu par des personnes sensibles. Mais non ?
[A] Ouais, non. Mais du coup, ça ne me semble vraiment pas envisageable de publier autrement que sous pseudo.
[LN] Je pense que ça dépend de ta confiance aussi avec ton éditeur. Moi, je sais que la maison d’édition avec laquelle je travaille, enfin avec laquelle j’ai travaillé et à laquelle je compte soumettre le texte – le jour où il avancera ce texte – c’est une toute petite maison d’édition qui est associative. Le personnel, les personnes qui la tiennent sont LGBT+, très inclusives, etc., donc je sais que s’il y a un couac à droite, à gauche, déjà que je ne serais pas énormément exposée parce que personne ne les connaît. Et ensuite, s’il y a un couac, je m’entends très bien avec les personnes dans la maison d’édition, donc je sais que je ne risque pas grand-chose.
[A] Oui, mais c’est plus en lien avec l’entourage. Avec le fait d’être out dans l’entourage.
[LN] Ton entourage lit tes livres ?
[A] Il y a toute cette question-là de : être pendant longtemps, en général des années, sur quelque chose et ne pas pouvoir en parler à l’entourage, c’est compliqué. Être multiple, c’est dans notre entourage, par exemple, familial ou autre, même une grosse partie amicale, on n’en a pas du tout parlé. On n’en parle pas. Je pense que quelque chose comme ça est envisageable, de 10-15 ans plus tard, en parler, tout ça, oui, mais sur le moment, non, parce que… En fait, ce qui est en jeu, c’est la représentation dans la société de la multiplicité en ce moment. Et dans la représentation actuelle, être out, ça peut me mettre en danger ou mettre en danger les personnes de mon entourage. Et donc c’est non. Il y a une question un peu comme ça.
[K] Est-ce que vous avez encore envie de dire quelque chose ? Vous avez envie de conclure ?
[E] Moi, j’ai envie de dire, du coup, éclatez-vous à écrire, même si vous ne le faites pas lire. Si vous avez envie et besoin d’écrire, et de laisser vos alter écrire. Et d’introjecter des personnages, ce n’est pas grave. Voilà, juste éclatez-vous.
[LN] Je pense que c’est la bonne conclusion, et puis rappeler que c’est normal aussi d’avoir chacun sa manière de percevoir un texte. Que c’est ok si tout le monde ne percevra pas le texte de la même manière, et qu’il ne faut pas frapper sur les autres personnes qui ne pensent pas forcément comme vous. Ça s’inclut au sein du même système, voilà. Et donc voilà, je pense qu’on peut tous dire qu’on a besoin de plus de textes pour faire plus de représentations, et donc prenez vos plumes, on a besoin de vous.
[A] Ça pourrait peut-être être aussi un truc de faire des productions à plusieurs mains, à plusieurs systèmes, ou des recueils de nouvelles, des choses comme ça. Je pense qu’il y a de quoi faire, en fait. Il y a sûrement plein de personnes multiples qui écrivent. Peut-être qu’il y a moyen de faire des choses avec plus de monde.
[K] Quel est l’impact des représentations, et pourquoi, selon vous, la représentation, c’est important ?
[E] Je pense que même si on essaye de se voiler la face, les représentations, c’est quelque chose qui est vraiment hyper important parce que ça marque les esprits, parce que ça biaise la vision des choses, parce que ça véhicule des clichés, parce que ça véhicule de bons messages. Et je pense que la société est très, très impactée par les représentations. Et clairement, malheureusement, la multiplicité est souvent mal représentée et il y a beaucoup de gens qui ont peur des personnes multiples à cause des fictions et des représentations qu’il y a eu par le passé, qui étaient très sensationnalistes et flippantes, en fait, c’est pas plus compliqué que ça. Et donc voilà moi je pense vraiment que l’impact des représentations, c’est une grosse partie du travail de sensibilisation aussi vis-à-vis du sujet de la multiplicité.
[LN] Ce qu’il ne faut pas oublier aussi, c’est que ça ne s’arrête pas à l’opinion que le lecteur va avoir d’un texte. Le problème, c’est que les gens agissent en fonction de leur opinion et donc les idées qu’ils développent vont se répercuter sur la vie des concernés. Donc réussir à développer de bonnes représentations, c’est faire comprendre au lectorat que les personnes multiples ne sont pas des dérangés dangereux qu’il faut persécuter, et donc c’est peut-être parvenir à améliorer un peu la vie des personnes concernées. C’est pour ça que c’est important.
[E] J’ajouterais à ça que ça peut aider des personnes à prendre conscience de leur propre multiplicité, et notamment des personnes qui se questionnent sur ce qui est différent chez elles, ou des trucs comme ça. Et donc les aider à trouver des réponses à ce genre de questions.
[K] Et moi j’ajouterais que s’il n’y a pas de représentation, ça n’existe pas dans l’esprit des gens. Un grand problème de la légitimité des systèmes, c’est justement le manque de représentation. Si c’était quelque chose de banal la multiplicité, il y aurait beaucoup moins de problèmes de multiplicité. Et beaucoup moins de difficultés à croire que c’est possible qu’on ait cette condition ultra rare et trop bizarre qu’on voit que dans des reportages bizarres à 3h du matin.
[A] Du coup, je pense qu’il y a besoin de ramener la normalité en fait là-dedans. De montrer à quel point c’est banal, à quel point c’est fréquent, à quel point c’est différent suivant les personnes. Et que aussi il y a plein de gens qui sont concernés et qui ne s’en rendent pas compte.
[LN] J’ajouterais peut-être que l’inconvénient potentiel des représentations, derrière, c’est des usages parfois détournés ou des idées en noir et blanc qui se forment dans la tête des personnes qui ont justement pris connaissance d’une représentation. Et après, quand une personne multiple vient leur expliquer qu’elles ne fonctionnent pas de la même manière, elles sont là : “ah bah non, parce que c’est pas ce que j’ai vu dans la vidéo ou dans le livre de machin.” Donc ça veut dire? qu’en gros, on va avoir besoin de beaucoup beaucoup de représentations différentes et qui débutent toutes par un espèce d’alinéa ou un note de l’éditeur : “ceci est UNE représentation. Et la multiplicité, ça peut être différent.”
[A] Parce que, après, un récit, une production artistique ou littéraire, quelle qu’elle soit, ça reste un outil, en fait. Ça reste un outil pour les personnes, et ce qu’elles en font, on ne peut pas le maîtriser. Je veux dire, si je fabrique des pelles, je ne peux pas maîtriser ce que les gens vont faire avec mes pelles. Une grosse partie va déneiger ou creuser dans son jardin, et d’autres vont faire des trucs mauvais ou peut-être assommer des gens avec, et voilà. Je pense que c’est important de dire : “n’utilisez pas ces pelles pour taper sur des gens”. Mais après, au-delà de ça, on n’est pas responsable de ce que les gens font aussi. Il y a une responsabilité de faire une pelle qui soit la plus utile et pratique possible, qui ne soit pas dangereuse, etc. Mais on ne peut pas, malheureusement, contrôler ce que les gens font ensuite de ce qu’on écrit.
[LN] C’est une super bonne image, je trouve. Ça fait vraiment penser “notice” : “Voilà, cette pelle, elle est faite dans telle matière, elle sert à ça, je l’ai faite comme ça, pour tel usage. Si vous l’utilisez différemment, je ne suis pas responsable.”
[K] Et du coup, c’est quoi, selon vous, les erreurs fréquentes de mauvaise représentation ?
[LN] Alors, sur le podium, nous avons, je suppose, le personnage qui est méchant, mais vraiment, vraiment très très méchant, à cause de sa multiplicité. Vraiment, ça explique tout ce qu’il y a de mauvais chez lui. Je pense que nous avons tous des exemples en tête.
[A] De manière générale, je trouve que dans les productions, quelles qu’elles soient artistiques ou autres, il y a toujours une confusion entre condition et trait de caractère. Une condition n’est pas un trait de caractère, en fait. Être multiple, ça ne dit pas qui on est, ça ne dit pas quel caractère on a, ça ne dit pas quelle valeur on a, quelles ambitions, ça ne dit rien de tout ça. Et c’est pareil comme pour, sur d’autres trucs, être une femme, être autiste, ce n’est pas un trait de caractère, en fait.
[LN] Est-ce qu’on pourrait avoir, s’il vous plait, des médias où bah on a des personnes multiples, mais en fait, ce n’est pas forcément ça le gros truc, le gros sujet, et surtout pas de manière négative.
[E] Je pense que sur la suite du podium des erreurs fréquentes, il y a : les grosses amnésies liées au switch, systématiques et entre les alters, qui mènent d’ailleurs à ce qui est un alter très méchant dans un système qui a l’air gentil au départ. Les grosses amnésies blackout de switch systématiques et le fait que la personne n’ait jamais conscience qu’elle est multiple et que c’est elle qui a un… que le méchant c’est son alter, des trucs comme ça. Ça, j’en peux plus. Même quand il n’y a pas d’alter méchant, ces grosses amnésies… Et pourtant, comme je le disais, c’est quelque chose que j’ai vécu, donc je ne juge pas de la véracité du propos.
Juste, c’est ce qu’on voit tout le temps, ces grosses amnésies, ces doubles vies, même quand il n’y a pas d’alter méchant, alors que vraiment, ce n’est tellement pas la majorité des personnes multiples.
[A] Oui, c’est clair, ça manque beaucoup de nuances, de flous, de manière générale. Les représentations que j’ai pu voir, c’est des choses qui sont très tranchées, genre il y a tel nombre d’alters , ils ont tous vraiment… Ce sont toutes des personnes totalement indépendantes, totalement développées ou autres, alors que dans beaucoup, beaucoup de systèmes, c’est beaucoup plus flou. Je trouve qu’il y a vraiment un manque de flou et un manque de nuances que je peux comprendre dans ce sens de : il faut que le truc soit simple, il faut que le propos soit simple pour être compris. Mais en même temps, c’est au détriment des personnes concernées, parce que c’est loin d’être la majorité des personnes multiples.
[LN] Pour ma part, je pense… Je n’ai pas consulté énormément de médias qui présentaient des personnes multiples, donc peut-être que je suis en train de m’énerver pour rien, c’est possible, mais j’ai quand même un peu du mal avec les représentations qui présentent la personne multiple uniquement comme une victime qui n’a aucune… Sa vie, elle est entièrement noire, elle souffre de ça terriblement, et elle n’a aucun pouvoir, aucun contrôle, ça présente vraiment le personnage comme étant très faible et très… Je veux dire, on n’est pas comme ça, c’est très nuancé, notre vie. Oui, on a pour beaucoup vécu des traumas et ce n’est pas très cool, mais il y a des moments de joie aussi dans un système et tout.
Je trouve que cette vision noire et blanc, oui, en fait, c’est soit t’es un criminel, soit t’es une misérable victime avec un peu de bave au menton, les yeux qui se révulsent et puis tu pleures toute la nuit.
[E] Je trouve que en plus, déjà, il y a tout cet aspect-là, le fait que ce n’est pas que négatif. Le fait que si on comprend la multiplicité adaptative, surtout par exemple le TDI, on comprend qu’en fait la personne s’est adaptée à ses traumas pour être capable de fonctionner, donc non, elle n’est pas juste en général à se morfondre – même s’il peut y avoir énormément de souffrance dans le TDI, je ne dis pas du tout le contraire – mais c’est clair que beaucoup de personnes qui ont un TDI fonctionnent. Et le truc, c’est qu’en plus, ça rejoint le top du podium qui est : c’est parce que la personne a vécu un truc si horrible qu’en fait elle est si meurtrière. Et c’est… Non, les traumas, ça ne justifient pas ça. Et j’aime pas du tout cette corrélation, cette causalité qui est faite systématiquement entre : “ah si il est si méchant et si bizarre, c’est parce qu’en fait il est si traumatisé”. Ça rajoute tout un côté fascination et tout vraiment qui me dérange. Mais systématiquement genre il faut la cause qui est le trauma très, très grave. Alors que la multiplicité du TDI, c’est en fait tellement plus en nuances que ce qu’ils nous font à chaque fois, quoi. J’ai encore deux erreurs fréquentes : une qui est souvent, c’est du coup la confusion avec d’autres trucs. Parce qu’évidemment il y a encore énormément de gens qui confondent par exemple le TDI et la schizophrénie, or c’est des trucs qui sont vraiment différents – même si ça peut s’entremêler, mais c’est des trucs qui sont vraiment différents. Mais bon, voilà, disons que ça c’est une erreur commune dans plein de domaines et c’est pas spécifique à la multiplicité. Un autre truc qui est pas forcément spécifique à la multiplicité : le fait d’essayer de rendre crédible la mauvaise représentation très clichée par des espèces de biais d’autorité dans la fiction. Et Split est vraiment champion pour ça, avec le personnage de la psychiatre. Mais c’est pas le seul, quoi. Dans plein de trucs il y a des médecins, des psys, ou des trucs comme ça, qui crédibilisent la représentation du personnage multiple. Et ça c’est vraiment un truc qui me saoule. C’est vraiment comme ça, parce que dans la tête des gens il y a une espèce de biais d’autorité scientifique qui fait que : “c’est que c’est vrai”. Malgré le fait que ce soit si exceptionnel et nanana.
[K] Et du coup, à l’inverse, comment on fait pour faire un personnage crédible. Un bon perso ?
[E] Moi j’ai envie de dire du flou. Un personnage multiple crédible, c’est un personnage qui est flou. Et pas flou à l’image, si on fait une représentation audiovisuelle.
[LN] C’est le problème après, c’est que tu vas perdre ton… Tu vas perdre le lectorat. Déjà que pour un multiple assez flou. Peut-être que comme ça il faut les habituer dès le départ.
“C’est pas clair ? Eh ben c’est parfait, t’y es ! C’est clair pour personne. Bienvenue !”
[E] “Tu t’y retrouves pas, ben voilà, t’as tout compris.”
[K] Du coup vous pensez qu’il faut toujours une relecture sensible ?
[LN] Du moment où l’écrit est diffusé au public, que ce soit sous forme de publication mais même fanfiction, à partir du moment où des personnes vont pouvoir le lire, vraiment je préférerais. Je dirais oui. Maintenant si je décide de ne pas le faire, alors au moins que ce soit écrit. Genre j’aimerais qu’on arrête d’écrire en début de livre « il y a eu une relecture sensible » et qu’on écrive « il n’y a pas eu de relecture sensible ».
[A] Du coup oui, moi perso je pense qu’une relecture sensible pour moi c’est juste, ça me semble juste indispensable en fait. Et si on est concerné, ben c’est mieux quand même d’avoir une relecture sensible. Je pense qu’il y a une question qu’il faut toujours se poser en tant qu’auteurice, c’est « pourquoi je veux écrire sur ce sujet ? » Quel que soit le sujet, ou même si c’est pas le sujet central du livre ou autre, mais toujours un truc de « pourquoi j’ai envie d’écrire là-dessus ? » Que ce soit le scénario central, ou que ce soit les conditions d’existence de nos personnages, de voilà : “Pourquoi ?” Parce qu’il y a toujours des raisons, en fait. On n’écrit pas, on ne passe pas des semaines, des mois, des années parfois, sur un récit, on fait pas tout ça pour un truc qui ne nous touche pas, qui ne nous impacte pas, dont on n’a rien à foutre. Forcément, il y a quelque chose, quoi. Forcément, il y a des raisons personnelles, des fois qu’on connaît pas bien. Et du coup se poser la question c’est super important parce qu’il y a une question déjà d’honnêteté vis-à-vis de soi-même et de mieux se comprendre. Et aussi de : si on sait pourquoi on écrit, on peut mieux voir les biais éventuels qu’on a et on peut mieux anticiper là où peut-être ça peut blesser du monde, là où peut-être ça peut faire des dégâts et compagnie quoi.
[E] Je pense que dans un monde idéal, comme disait Narriaa, ce serait cool, qu’il y ait même pas besoin de le préciser parce que ce serait automatiquement fait. Je pense que malheureusement on n’est pas dans un monde idéal et donc c’est bien que ce soit précisé quand c’est fait. Et je pense que une des difficultés ça reste côté financier d’avoir une vraie lecture sensible de qualité. Mais je pense vraiment que ce serait cool que ça puisse se généraliser et que ce soit fait systématiquement même en tant que personne concernée, sauf éventuellement si on est très, très, très sûr de son sujet, mais quand même… Et en fonction des autres sujets qu’on aborde aussi, diversité en général quoi.
[LN] Après, je voudrais aussi… Alors, pardon, on a switché ici, c’est Waël. Je ne suis pas directement concerné par l’écriture, mais je suis concerné par tout ce qui est : les alters qui se prennent la tête parce qu’ils veulent faire au mieux. Voilà. Donc j’envoie un petit message à tout le monde qui est comme ça pour rappeler aussi qu’il n’y a peut-être pas de représentation parfaite et que posez-vous les questions de, est-ce que les autres éléments du récit ont une représentation parfaite ? Si jamais je décide d’écrire une enquête, par exemple, un polar. Bon, est-ce que les éléments scientifiques du polar, je ne sais pas sur lesquels on va retrouver le corps, sera une représentation parfaite ? Peut-être pas non plus, donc peut-être que ça peut vous déculpabiliser aussi. Voilà, je ne faisais que passer. Bonne journée tout le monde, j’aime bien ce que vous faites.
[E] Merci, bonne soirée.
[K] Est-ce que vous avez des conseils sur, plutôt des conseils d’écriture sur comment écrire les persos ? Par exemple, comment faire pour différencier les alters ? Est-ce qu’il faut… comment le noter ? Est-ce qu’il faut que ce soit clair pour le lectorat ? Ou est-ce qu’il faut que ce soit suggéré ? Un peu en termes de compétence d’écriture en tant que telle.
[E] Moi je pense que ça dépend de ton intention. Si effectivement tu veux les différencier, parce qu’il y a des moments où c’est clair et net de : qui dit quoi, qui pense quoi et des trucs ainsi. Bah oui : tu peux changer de police, tu peux mettre en italique, tu peux mettre des indicateurs visuels. Mais, le plus difficile c’est si tu veux montrer justement du flou. Moi quand je relis des écrits, j’étais championne pour ça sans avoir de changer de syntaxe, changer de longueur de paragraphe, changer de style d’écriture, écrire plutôt des trucs extérieurs, ou écrire plutôt des pensées, changer de la longueur des phrases quand le personnage parle ou des trucs ainsi. C’est très en nuance justement et je pense que ça peut être trop subtil. Ça fait partie de la difficulté de : est-ce qu’il faut différencier ou pas, en sachant qu’une bonne représentation c’est pas forcément différencier, mais si ton lecteur est pas du tout habitué au sujet, il le verra pas du tout. Mais en même temps la multiplicité ça se voit pas forcément. Donc où est-ce que tu te places, tu vois ?
[A] Ouais, c’est ça. Je pense qu’il y a un lien entre : différencier les alters dans l’écriture et avoir un personnage crédible. Et peut-être que ça peut vraiment être intéressant de voir qu’on ne peut pas savoir, en fait. Que, dans la lecture on différencie des choses, on voit qu’il y a des choses différentes, des alters différents, on ne sait pas qui est qui vraiment. Je pense que là il y a un truc de crédibilité, de l’expérience de plein de systèmes, de : eh bah ouais, je sais pas vous, mais nous souvent on sait pas qui on est. On sait qui on n’est pas, mais on sait pas qui on est. Et du coup, transcrire ça dans l’écriture ça peut amener de la crédibilité, potentiellement en tout cas.
[LN] Je suis d’accord avec tout ce que vous avez dit. Je serais peut-être pas pour le changement de police par exemple, ou de couleur, ou ce genre de choses. Parce que justement on ne traite pas, enfin en tout cas moi j’ai pas vu de personnages singlet être traités de la sorte. Alors oui le nom au début d’un chapitre ça j’ai vu, ça je pense que c’est intéressant. Mais sinon j’avais commencé effectivement à écrire comme ça en changeant la couleur des dialogues, mais si on veut le rendre le plus normal possible… Mais après c’est vrai que ça peut être sympa aussi de faire un livre où on se prend pas trop la tête et on décide effectivement de changer les police, ça peut être marrant. Comme je disais, ça dépend de ce qu’on veut faire, et tout est possible. Ce que je conseillerais, c’est de regarder ce qui enrichit la personnalité des personnages de manière habituelle. Ça peut être des types de langages effectivement, ou ce que tu disais Epsi avec la longueur des paragraphes, des phrases et tout. Et pour ce qui est des moments de flou, c’est peut-être réussir à intégrer un peu tout ça en même temps. Par exemple si on avait un personnage qui avait une manière de parler qui était, enfin un registre familier, et qu’on en a un autre alter qui est un registre soutenu, c’est commencer à mixer les deux dans une phrase ou dans un paragraphe, et voir ce que ça donne. Ça peut être une idée. Mais j’avoue que j’ai du mal à faire du flou aussi.
[A] Oui et puis ce que je trouve qui peut être complexe, et qui en tout cas est vraiment un questionnement qui, nous est vraiment présent, c’est : où mettre le curseur au niveau de la sensibilité de ces changements-là, quoi ? À quel moment c’est trop subtil ? À quel moment c’est trop téléphoné ? Par exemple, voilà, pour montrer un switch ou pour montrer une amnésie, un moment de dissociation, etc. ou autre. Comment est-ce qu’on l’indique dans l’écriture ? Comment est-ce que le lecteur capte ou pas ? Et comment on fait pour que ce soit quelque chose qui puisse être capté par beaucoup des lecteurs ? Ou est-ce que c’est un choix aussi. Parce que ça peut être tout à fait un choix aussi, de faire des signes qui vont être perceptibles par assez peu de personnes, peut-être que des personnes concernées, et où du coup, les personnes concernées vont genre avancer, avancer, avancer dans le livre, et puis d’un coup, ça va être trop obvious, et là, ils vont se capter, et ils vont se faire « waouh, mais en fait, il y a eu plein de trucs avant que je n’avais pas vu passer ». Ça arrive dans plein de trucs, dans plein de livres, dans plein de films ou autre, mais du coup, il y a un choix à cet endroit-là de quel curseur on met pour ça, pour cette question de ce qu’on peut voir de la multiplicité du personnage.
[LN] Pour ça, d’expérience, je ne me serais pas trop pris la tête. Parce que, par exemple, dans le deuxième récit que j’ai publié, je faisais exprès, lors des interludes de l’histoire, d’induire le lecteur en erreur et d’inverser deux personnages. Et en fait, à la fin, c’était révélé, et il fallait comprendre que du coup, durant toutes les interludes, ce n’était pas le personnage A qui était en train de parler, c’était le B. Mais passons. Quand je demande aux gens, ils ont lu, s’ils ont compris, il n’y en a aucun qui a compris. Alors que pourtant, à la fin, c’est bien expliqué. Donc, fais ce qui te plaît, de toute façon, comprendras qui pourra.
[A] C’est vrai.
[E] Et moi, je me demandais, parce que du coup, moi ça ne m’est jamais arrivé, mais si ça vous est arrivé : est-ce que vous avez déjà décrit des mondes intérieurs ? Et si oui, comment ? Pas en tant que, du coup, là où se déroule l’histoire, mais le monde intérieur d’un personnage multiple qui a un monde extérieur à côté, quoi.
[LN] Alors du coup, dans l’histoire que je suis en train d’écrire, oui, ils ont bien un inner, et à nouveau, je suis un peu déçue entre guillemets du leur, parce qu’il est très simple. Mais à nouveau, ce que j’essaye d’écrire a une limite de caractère, d’accord ? Donc, j’essaie de faire en sorte… Voilà! Et je sais que… Bon, il ne sera probablement pas lu que par des multiples donc j’essaie de ne pas trop perdre mes singlets non plus. Donc, il est assez simple, et j’ai imaginé, du coup, une zone qui s’étendait à l’infini, qui est complètement noire, mais on arrive quand même à voir devant soi pour se déplacer. Et en fait, tout ce qu’il y a au sol, du coup, c’est un parquet, et il y a des îlots de lumière qui sont à droite à gauche, et qui sont des zones dans lesquelles des alters ont développé leur petit coin, entre guillemets.
Et puis, il y a évidemment quelques zones communes et tout.
[K] Est-ce qu’il y a encore des trucs spécifiques aux personnages multiples dont vous avez envie de parler ?
[LN] Moi, je parlerais bien du fait que si on veut traiter de personnages multiples, je pense, mais à nouveau, c’est peut-être un bien de ma part, mais je pense qu’il va y avoir beaucoup de travail à faire sur le mental du personnage. Beaucoup de choses qui se passent en interne, beaucoup de réflexions, ou alors on décide de montrer la multiplicité uniquement à travers comment elle se présente à l’extérieur. Mais moi, dans le texte auquel je suis confrontée – c’est moi qui ai décidé d’écrire quand même, mais bon, dans mon projet actuel, il y a quand même une bonne partie qui est de l’introspection. Et je trouve, ça dépend auprès des auteurs bien sûr, mais moi, c’est pas forcément mon fort. Et je trouve que ça peut être compliqué.
[A] Moi, j’ai envie de dire au niveau de ce qui peut être intéressant à prendre en compte quand on écrit un personnage multiple, je pense que c’est pas forcément nécessaire de creuser les causes de la multiplicité du personnage. Je pense que le personnage multiple, il peut se suffire à lui-même tel qu’il est, et que son vécu, son passé, ses traumas, etc., peut-être que c’est pas du tout important. Que juste ce qui est important dans l’histoire, je veux dire, peut-être qu’on peut simplement écrire un magicien ou un barbare multiple et n’en avoir rien à foutre de pourquoi il est multiple ou pourquoi elle est multiple.
[LN] Ah oui, 100% là-dessus, pardon.
[A] Et je le dis comme ça, alors que moi, je vais faire strictement l’inverse dans ce que je compte écrire, parce que le scénario du livre, c’est autre chose. Mais voilà, je pense qu’un personnage multiple, ça peut vraiment être dans tellement de contextes différents, et la multiplicité peut ne pas être un sujet. Peut-être un effet, peut-être quelque chose qui se produit, quelque chose qui existe et qui a des conséquences dans l’histoire, etc., mais que ce soit pas un sujet en soi “pourquoi la personne est multiple”. Et puis quand il y a un personnage qui est multiple et dont on creuse les raisons de la multiplicité, peut-être les traumas, etc., ou autres, il n’y a pas besoin d’aller dans le sensationnel. Bien sûr qu’on peut, mais c’est pas forcément nécessaire.
[LN] Mais oui, je suis d’accord avec ce que tu dis. Je trouve qu’aujourd’hui, au niveau des médias qui sont présentés, quasiment tous parlent de l’origine du système. Et bien sûr, il faut que ce soit traumatique et traumatique tel que l’entend la société. Et du coup, dans ce que j’ai voulu écrire cette fois-ci, on ne parle pas de ça, on ne parle pas de l’origine. Par contre, ce qui est un petit peu à voir, c’est qu’on parle de l’origine de la scission de l’alter, mais bon tant pis ok. Et pareil, je ne parle pas non plus des grosses phases de troubles qu’a connu le système avant. En fait, je vais sous-entendre qu’ils ont rencontré beaucoup de difficultés d’un point de vue santé mentale, mais qu’aujourd’hui, globalement, ça va mieux. Et qu’il y a quand même des choses à raconter quand ça va mieux, en fait. Même s’ils sont quand même dans la mouise, mais pas autant.
[K] Est-ce qu’il y a un conseil que vous aimeriez donner aux auteurices ou aux futur·e·s auteurices ?
[E] Moi, ce que j’ai envie de dire aux auteurices qui ne seraient pas concernés c’est : s’il vous plaît, renseignez-vous. Et renseignez-vous vraiment avec diverses personnes, divers vécus, etc. Et comme le disait un peu Atoll tout à l’heure : même si votre idée vous semble merveilleuse, s’il faut en démordre, il faut en démordre. Si votre super trope, plot twist, machin, c’est qu’en fait, la personne multiple, elle fait ci, ça, ça, et qu’il y a des personnes concernées qui disent : “non mais ces clichés, c’est nul et ça va faire du mal”. Eh bien, changez d’histoire, tant pis pour vous. Mais se faire du crédit sur des clichés et de la violence vis à vis de… enfin qui vont mener à de la violence sur les personnes multiples, c’est vraiment pas cool. Et je pense vraiment que c’est un truc qui est trop fréquent, d’avoir trop l’impression d’avoir cette bonne idée qui va faire du mal. Et voilà. Et si je devais donner un conseil plus général, éclatez-vous quand même, surtout si vous écrivez pour vous. Et oui, on a besoin de beaucoup de représentations plus justes, et donc si vous avez envie d’écrire, essayez d’écrire, même si c’est juste un petit peu, même si c’est pour publier un tout petit peu, ou pas publier du tout, mais juste pour que ça puisse peut-être exister un peu quelque part, et diversifier la possibilité de représentation.
[A] Oui, tous les récits peuvent compter, je suis d’accord vraiment. Je partage ce truc de : tous les récits, toutes les histoires, tous les écrits liés à des personnages multiples – que ce soit le sujet du livre ou pas, le sujet du récit ou pas – ont de l’importance. Et chaque petite pierre compte, en fait.
[LN] Je suis complètement d’accord avec ce que vous venez de dire, et il n’y a rien à rajouter là-dessus.
[K] Ok. Et voilà.
[LN] Par contre, on peut peut-être faire un tour de remerciements.
[K] Tu veux remercier quoi ?
[LN] Mais vous, pour l’organisation de Partielles. Pour ces échanges qui étaient super intéressants. Et voilà, merci beaucoup pour avoir proposé le sujet, organisé la vidéo, et tout ça. Je l’ai beaucoup apprécié.
[E] Merci d’avoir participé, et merci à Kara pour la présentation.
[A] Oui, merci.
Intervention proposée par:
- Epsi (iels/peu importe) Co-fondateurs de l’association sans but lucratif Partielles, qui vise à informer et soutenir les personnes multiples. Nous avons 34 ans, nous habitons en Belgique et sommes en couple avec le système de Kara. Nous avons un TDI, mais nous nous définissons surtout comme Plurals (ou multiples).
- Le Nuancier (Il/elle/iel/peu importe) Nous sommes un système d’une quinzaine d’alters dont l’hôte est très attachée aux médias et à l’imaginaire. Parfois, elle trouve même le temps de transcrire ses rêveries permanentes en récits.
- Atoll (elles/iels) Système passionné de psychologie, sociologie, et statistiques.











