À travers un questionnaire rassemblant 70 témoignages, cette intervention explore les réalités croisées de la transidentité et de la multiplicité. Comment vivre une transition dans un corps partagé ? Comment gérer les divergences de genre au sein d’un système ? Loin des réponses toutes faites, cette session donne la parole à des systèmes trans, cis, en questionnement — dans leur richesse, leurs tensions, leur créativité. Basée sur des récits sincères, parfois bruts, l’intervention est ponctuée de fragments personnels, de réflexions collectives, et de représentations graphiques. Elle vise à rendre visible ce qui est souvent tu : la complexité d’un genre pluriel dans un monde binaire.

Avertissements de contenu:

Dysphorie, Dissociation, Invalidations d’identité, Parcours médicaux trans, Exclusion communautaire, Santé mentale (stress, crise, questionnement sur la légitimité), Certaines voix évoquent des expériences émotionnelles fortes, liées à la multiplicité et à la transidentité.

Transcription:

Bonjour à toutes et tous, Je m’appelle Megumi, je suis l’hôte du système le Clan des Louves, nous sommes malvoyantes, autistes trans et écrivaine. Si je suis ici aujourd’hui, c’est pour parler d’un sujet encore peu exploré, parfois même invisible : la transidentité au sein de la multiplicité. Nous parlons beaucoup – et à juste titre – des vécus trans, des parcours de transition, de la reconnaissance des identités de genre. Nous parlons aussi, de plus en plus, de multiplicité, de systèmes, de collocatête, de cohabitation dans un même corps. Mais ces deux réalités, quand elles se croisent, soulèvent des questions complexes, intimes, et parfois douloureuses.Nous parlons alors d’intersectionnalité. Comment vit-on une transition quand on n’est pas seul à habiter un corps ? Comment gère-t-on les divergences de genre au sein d’un système ? Et surtout, comment fait-on pour être entendu, respecté, reconnu, quand nos expériences échappent à toutes les cases ? Pour répondre à ces questions, j’ai mis en place un questionnaire à destination des personnes concernées. J’ai reçu 70 témoignages, riches, sincères, parfois brutaux, souvent puissants. Parmi les 70 témoignages reçues, 61,4 % (43 systèms) concernent des personnes trans, et 38,6 % (27 systèmes) des personnes cis. Cela montre que la question du genre touche de nombreux systèmes multiples. Je vais donc vous partager quelques unes de ses paroles afin de rendre visibles des réalités plurielles, complexes, et profondément humaines. Par moments, je vous parlerai aussi de mon propre vécu afin de partager ce que j’ai ressenti en tant que système trans à traves mes questionnements, mon parcours et les émotions que la découverte de ma propre multiplicité a entrainé. Je remercie tous les participants du questionnaire, à qui, sans vous, cette vidéo n’aurait pas existé ; au système MBOX qui s’est chargé de mieux visibiliser les témoignages à travers des graphiques ; aux membres de tulpa.fr sur Discord pour leur soutien et surtout merci pour votre écoute.

 

Partie 1 : Découvrir sa transidentité dans un système multiple
La découverte de la transidentité est, pour beaucoup de personnes, un chemin long, parfois douloureux, souvent libérateur. Mais pour une personne multiple, ce chemin peut être encore plus complexe. Parce qu’il ne concerne pas un seul individu, mais plusieurs identités internes, avec des vécus, des genres, des relations au corps très différents. Dans les réponses que j’ai reçues, beaucoup de participants expriment à quel point la multiplicité a joué un rôle dans la prise de conscience de leur transidentité. Certains découvrent qu’iels sont trans à travers un alter, ou que leur propre identité de genre ne se stabilise pas parce qu’elle coexiste avec d’autres identités. D’autres encore pensaient être trans « en tant que singlet », avant de réaliser que cette identité concernait un alter bien précis — pas forcément tout le système. Témoignage Anonyme : « On pensait être un homme trans singlet pendant des années, avant de comprendre que c’était juste un de nos alters. Ça a remis en question toute notre construction identitaire. » Témoignage Kyo : « C’est en entendant un alter dire ‘je suis une femme’ que j’ai réalisé que moi, je ne l’étais pas. » Témoignage Etsu : « La multiplicité m’a permis de comprendre que mon rapport au genre était trop changeant pour appartenir à une seule personne. On a décidé d’embrasser ça. » Mon témoignage : « Quelques semaines après que mon ex ait conscientisé son propre système, elle a émis l’hypothèse que l’ombre à l’apparence féminine qui m’accompagnait depuis longtemps — comme une présence protectrice, mais constante — pouvait être une tulpa. Cette idée m’a fait buggué. J’ai posé un nom sur cette présence comme une évidence, mais je n’ai pas réussi à m’accepter tout de suite. Mon fonctionnement ne ressemblait pas à celui que je voyais chez mon ex. Je ne me reconnaissais pas dans les critères d’un TDI. Je ne vivais pas les mêmes choses. J’avais dû mal à assimiler que tous les systèmes sont différents. Ce que je voulais, au fond, c’était retrouver cette amie de longue date et communiquer avec elle par la pensée comme j’essayais de le faire vingt ans auparavant. Tout comme moi, elle avait changé en vingt ans. Peu après, une première little est apparue, dans un fort moment de dissociation. Elle était aussi bouleversée émotionnellement que moi. Puis, un an plus tard, ma première headmate et protectrice que je percevais comme une ombre a changé d’apparence, prenant une forme claire, reconnaissable, avec des traits empruntés à une de mes anciennes créations. Il m’a fallu encore du temps après la conscientisation — près d’un an et demi — et l’arrivée d’un headmate animal pour m’accepter pleinement en tant que système. Aujourd’hui, nous sommes cinq, avec une seconde little qui s’est manifestée en février dernier. Notre protectrice actuelle répond à un besoin de protection que je ressentais depuis l’adolescence, voire l’enfance. » Ce qui revient souvent, c’est ce mélange d’éclairage et de déstabilisation. La multiplicité peut apporter un langage, une compréhension plus fine des nuances identitaires — mais elle peut aussi brouiller les pistes, rendre les choses floues. Certains systèmes finissent par choisir une identité de genre « commune » au système — souvent fluide, non-binaire, ou simplement pragmatique — pour faciliter les interactions sociales, ou pour mieux cohabiter. Témoignage Clan L. : « On est trop différents pour se mettre d’accord. Alors à l’extérieur, on se présente comme genderfluid. Mais entre nous, chacun.e a son propre genre. » Et parfois, c’est précisément cette diversité interne qui aide à mettre des mots sur une transidentité vécue en silence depuis longtemps. Parce qu’on se regarde à travers les autres, parce qu’on se parle — intérieurement — et que quelque chose émerge de ce dialogue.

Partie 1 bis : Systèmes dits cisgenres, mais vécus multiples du genre
Parmi les 70 réponses reçues, environ 38,6 % des systèmes interrogés se définissent comme non trans ou cisgenres. Cela ne signifie pas pour autant que la question du genre est absente. Au contraire, plusieurs réponses révèlent des vécus intimes liés au genre, parfois profonds, parfois silencieux — sans projet de transition, mais avec un véritable impact émotionnel. Décalage vécu, mais non nommé comme “transidentité” Certains systèmes vivent avec des membres dont le genre est différent du genre assigné à la naissance, mais ne se considèrent pas comme trans. Ils préfèrent des formulations comme : « On est un système cis avec diversité de genre. » « On ne fait pas de transition, mais on ne vit pas tous le corps de la même façon. » Leurs réponses témoignent d’une cohabitation constante entre des identités de genre différentes, sans passage à l’acte médical ou social. Et pourtant, les ressentis sont là : inconfort, adaptation, malaise, et parfois douleur. Amya, membre d’un système non trans, écrit : “Un de nos alters a du mal avec notre voix. Il n’arrive pas à l’utiliser sans ressentir un malaise. Il essaie de parler moins, ou change de ton, mais ça ne règle pas tout. Il se sent un peu emprisonné.” Aurélie, dans un système identifié comme cis, dit : “On essaie de rester neutres dans les vêtements et les pronoms pour ne pas heurter personne, mais c’est pas toujours simple. Il y a des moments où on sent que certains doivent mettre leur genre ‘en pause’.” Un autre répondant anonyme résume ainsi : “On n’est pas un système trans. Mais on n’est pas vraiment cis non plus.” Ces vécus révèlent une zone grise, une expérience ni reconnue comme trans, ni vraiment comprise comme cis. Des alters masculins dans des corps reconnus comme féminins. Des alters féminins dans des corps perçus comme masculins. Et surtout : des adaptations intérieures pour ne pas créer de conflit dans le système, parfois au prix de renoncements personnels. Il ne s’agit pas de dysphorie au sens strict, mais parfois de gêne, de distance, de frustration, ou d’une sensation de ne jamais pouvoir pleinement s’incarner. Pourquoi cette parole compte Parce qu’on oublie souvent que le genre peut être vécu de manière intense même sans transition. Parce que des alters peuvent porter une souffrance que le reste du système ne ressent pas ou ne comprend pas. Et parce que ces récits nous obligent à ouvrir les cadres : ce n’est pas la transition qui fait le genre, c’est l’expérience intérieure. Quand on interroge la manière dont genre et multiplicité s’articulent, une chose ressort nettement : plus de 80 % des personnes interrogées disent que leur multiplicité a influencé, parfois profondément, leur compréhension de leur propre genre. Cela montre à quel point ces deux dimensions ne se vivent pas séparément, mais s’éclairent mutuellement.

Partie 2 : Accords et désaccords dans la transition au sein des systèmes
Lorsqu’on parle de transition dans un cadre trans, on pense souvent à un parcours individuel. Une personne, un corps, une identité. Mais pour un système, la transition est rarement un choix individuel. C’est une décision collective, parfois fluide, parfois conflictuelle. Certains systèmes trouvent une forme d’unité. Leurs membres partagent une même direction identitaire, ou bien se sentent suffisamment aligné·es pour soutenir une transition qui convient à tout le monde. Dans ces cas-là, la transition peut même devenir un projet commun, un moyen d’affirmer ce que le système est globalement. Comme ce témoignage l’exprime : « Nous avons toujours su que nous étions trans collectivement. La transition a donc été une évidence pour tout le monde. » (Kyo) Mais ce n’est pas toujours aussi simple. D’autres systèmes font face à des divergences très nettes. Une partie du système peut ressentir une forte dysphorie, pendant qu’une autre s’identifie pleinement avec le corps d’origine. La décision de transition devient alors une négociation, parfois une lutte. Par exemple, D. témoigne : « On a décidé de tous se mettre d’accord pour faire uniquement une mammectomie, même si ça dérangera sûrement certaines femmes du système. Pour les rassurer, on a décidé qu’on achèterait des faux seins. » Ici, on voit bien la complexité émotionnelle et la volonté de compromis : transformer le corps tout en trouvant des moyens de valider ceux et celles pour qui cette transformation peut être vécue comme une perte. Dans d’autres cas, c’est la voix, la pilosité, ou simplement le fait d’être genré différemment en société qui crée de la tension. Mika raconte : « On a dû se battre en interne pour arrêter la testostérone. Certain.es voulaient continuer, d’autres la vivaient très mal. On a trouvé un entre-deux. » Face à ces désaccords, certains systèmes mettent en place des stratégies d’écoute : conseil interne, vote, tour de parole. Des manières de faire avec, plutôt que contre. Un système raconte : « On a un ‘conseil’ interne. On parle de tout ce qui touche au corps. Les décisions importantes ne sont jamais prises seul·e. » Dans certains systèmes, ce n’est pas le désaccord qui complique la transition, mais le manque de réponse, l’impossibilité de savoir. Quand la communication est floue, ou encore en construction, prendre une décision devient un acte à la fois nécessaire et chargé d’incertitudes. Mon témoignage : J’ai commencé ma transition hormonale il y a cinq ans, et trois ans plus tard, j’ai découvert que nous étions trois. Je me suis alors demandé si j’avais encore le droit de continuer mon parcours, alors que j’avais du mal à communiquer avec mes autres identités. J’avais le sentiment qu’elles aussi étaient du genre féminin, mais sans en être tout à fait certaine. Ce qui a été difficile, c’était de ne pas pouvoir établir une communication par la pensée — parce que ce n’est pas notre mode de fonctionnement. Chez nous, la communication passe surtout par la visualisation, l’imposition, et parfois la transmission d’émotions. Cette absence de réponse claire ne m’a pas empêchée d’avancer, mais elle a laissé des traces : celle d’un doute, d’un choix un peu trop seul, fait pour tout le monde… sans pouvoir demander leur avis. Sur le conseil d’ami·es multiples, j’ai pris le temps d’expliquer en interne mon besoin, et les raisons pour lesquelles je poursuivais la transition. Et comme elles sont elles aussi du genre féminin, mes démarches vont probablement dans leur sens — même si je ne peux pas encore l’entendre clairement. Ce type de démarche, même sans réponse directe, témoigne d’une volonté de respect mutuel. La réalité, c’est que peu de systèmes ont un chemin tout tracé. La transition devient un terrain de dialogue, de tensions parfois, mais aussi d’inventivité. Entre compromis temporaires, ajustements progressifs, et parfois renoncements, chaque système fait ce qu’il peut pour honorer les voix en présence. Et si la transition dans un système ne suit pas les normes classiques, elle n’en est pas moins légitime. Elle est juste… plurielle. La transition, dans un système, n’est pas une démarche individuelle : elle se discute, se négocie, parfois même se confronte. 55,8 % des systèmes ont trouvé un accord, mais un tiers évoquent des divergences, parfois douloureuses. Cela souligne combien la transition est souvent un processus collectif, complexe, et émotionnellement chargé.

Partie 3 : Vivre le décalage et la dysphorie dans un corps partagé
Dans beaucoup de systèmes trans, la relation au corps est instable, mouvante, parfois douloureuse. Ce corps partagé, unique, est perçu, ressenti, habité de façons très différentes selon qui est au front. Il peut être un refuge pour certain·es, une cage pour d’autres. Quand plusieurs identités de genre coexistent dans un même corps, les moments de switch peuvent accentuer la dysphorie — ou, dans certains cas, l’atténuer. Mais souvent, il y a un décalage : un écart entre le genre ressenti par un alter et ce que montre le corps physique. Certain·es réussissent à développer une forme de détachement émotionnel vis-à-vis du corps, pour réduire la souffrance. C’est ce que décrit Kokoro : « On a réussi globalement à se détacher du corps hôte qui n’est pas nôtre. Les seuls moments où ça peut être difficile, c’est quand on va à la douche, sinon c’est OK. Les alters ont globalement tous compris que le corps physique n’est pas le leur, et qu’il n’est pas leur reflet à eux. (On en vient parfois à dissocier sous la douche ^^”). » Ce détachement peut fonctionner comme une protection, mais il ne règle pas tout. Chez d’autres, c’est un ressenti plus diffus, plus symbolique, mais tout aussi réel. « Ce n’est pas une douleur vive. C’est juste ce moment où tu regardes ton reflet et tu te dis : ‘Ce n’est pas moi. Mais c’est moi. Mais ce n’est pas que moi.’ » (anonyme) Mon témoignage Avant même de pouvoir dire “je suis une femme”, il y avait déjà en moi des présences féminines partout. Dans mes visualisations, dans les histoires que je me racontais, dans les personnages que je choisissais dans les jeux. C’était comme une manière détournée de me voir, sans encore oser me reconnaître. Parfois, dans des moments intimes ou de solitude, je me visualisais dans un corps féminin. Ce corps, je l’explorais en pensée, doucement, comme une soupape de sécurité, un refuge. Ce n’était pas un fantasme. C’était un espace de vérité intérieure. La seule marque de féminité que je me permettais de montrer, à l’extérieur, c’étaient mes cheveux longs. C’était mon trésor. Et pourtant, dans le miroir, je voyais un corps masculin : les poils, l’absence de poitrine, une voix ressenti comme masculine. Je ne sais pas ce que ressentaient les filles de mon système face à ce reflet. Mais moi, je me sentais en décalage. Comme si le corps racontait une autre histoire que la mienne. Aujourd’hui, après plusieurs années de traitement hormonal, et après une opération, certaines choses ont changé. Et ce corps intérieur que j’avais d’abord imaginé… je commence à le retrouver dans la réalité. La dysphorie dans un système n’est donc pas une seule réalité. C’est un mouvement intérieur, un ajustement quotidien, un équilibre parfois fragile. Ce qui est vécu comme un soulagement pour un·e peut être un inconfort pour un·e autre. Et parfois, même sans conflit entre alters, le corps reste un terrain délicat, entre mémoire, imaginaire et transformation. Mais lorsque ce décalage devient trop grand… lorsque le besoin d’alignement devient vital… alors se pose une autre question, plus large encore : celle de l’accès aux soins, au respect médical, et au droit d’exister dans ce corps-là. Une donnée qui parle d’elle-même : 90 % des systèmes disent avoir au moins un membre dont l’identité de genre diffère de celle perçue à l’extérieur. Cela confirme que dans la grande majorité des systèmes, le genre est vécu de manière plurielle, parfois en décalage avec ce que la société projette sur eux.

Partie 4 : Accès aux soins et relation au corps médical
1) Se taire pour être soigné.e
Lorsqu’un système trans décide d’entreprendre une transition médicale, le rapport au corps médical devient un enjeu central. Mais cette relation est souvent chargée de peur, de prudence, voire de méfiance. La multiplicité n’est pas comprise, souvent vue comme un trouble ou une pathologie psychiatrique. Elle peut entraîner des refus de soin, des jugements, voire des décisions contraires à la volonté du système. Certain.es choisissent donc de se taire sur leur multiplicité lorsqu’iels consultent. Pour ne pas être invalidé·es. Pour ne pas perdre l’accès à une opération attendue, ou à un traitement hormonal. Pour ne pas être psychiatrisé·es de force. « On n’a jamais parlé de notre système à notre endocrino. On avait trop peur qu’iels refusent de nous prescrire la testo. Alors on a fait profil bas. » (anonyme) « La chirurgienne était bienveillante, mais je n’ai pas osé lui dire que je n’étais pas seul·e. J’ai signé les papiers comme si j’étais un individu. » (E.) Dans d’autres cas, c’est la façon de poser des questions, ou le langage médical, qui rend le soin plus dur à vivre. « La psy nous a demandé ‘qui est le vrai vous ?’ On a buggé. On a répondu en mode automatique, comme si c’était une interview. » (L. du système Envol) Une adaptation constante Beaucoup de systèmes doivent adapter leur communication en fonction des soignant.es. Faire croire à une unité quand il y a pluralité. Choisir un prénom « collectif » pour ne pas faire buguer l’administration. Utiliser des formulations floues, éviter les détails, masquer les divergences internes. Ce n’est pas de la manipulation. C’est un mécanisme de survie face à un système médical normatif. « On s’est mis d’accord pour que ce soit l’hôte qui parle dans les rendez-vous. Même si ce n’est pas lui qui a le plus besoin de la transition. » (anonyme) Mon aparté personnel De mon côté, je n’ai pas vécu cette difficulté à faire reconnaître un système — tout simplement parce que, quand j’ai commencé mon parcours, je ne savais pas encore que j’étais multiple. Notre protectrice était déjà là, pourtant. Mais je ne le savais pas. Comme quoi, parfois, on est plusieurs sans le savoir… et on avance malgré tout.
2) L’incompréhension ou l’effacement par les soignant.es
Lorsqu’ils révèlent leur multiplicité, certain.es se retrouvent face à l’ignorance, voire au mépris. Etsu : « Notre psychiatre ne prend en compte que l’hôte. Il a dit que les autres identités n’étaient ‘pas réelles’, donc pas concernées par la transition. » Louna : « Je voulais parler de comment mes alters vivaient la transition. Il a ri. Il a dit que c’était déjà compliqué de comprendre les trans, alors les ‘plusieurs trans dans un même corps’… c’était trop. » Même dans les milieux où la transidentité est mieux comprise, la multiplicité reste marginalisée, suspecte, ou simplement ignorée. Cela crée une double invisibilisation, et un profond isolement.
3) Une charge mentale énorme dans les démarches médicales
La gestion administrative, les évaluations psychiatriques, les parcours imposés deviennent des épreuves encore plus lourdes pour les systèmes. Il faut souvent choisir un·e seul·e représentant·e, même quand le vécu est partagé entre plusieurs alters. Kyo : « J’ai dû me présenter comme si j’étais seul. Alors que c’est pas moi qui ai le plus besoin de cette transition. » Système Kai : « On a dû faire des compromis sur le prénom. Celui qu’on a mis sur la carte, c’est pas celui que chacun·e aurait choisi. » Le monde médical ne prévoit pas la pluralité. Il exige de la cohérence, de la simplicité, des cases. Mais les systèmes trans vivent dans la nuance, dans le mouvement, dans le négocié.
4) Des besoins spécifiques, encore trop invisibles
Au-delà des obstacles, les témoignages expriment un besoin de reconnaissance spécifique : – Être entendu·e comme système – Pouvoir parler de plusieurs vécus dans un même corps – Être accompagné·e sans être pathologisé·e Kanae : « On ne veut pas que le système médical comprenne tout. On veut juste qu’il arrête de nous réduire, ou de nier ce qu’on vit » Anonyme : « J’aimerais pouvoir dire : ‘voilà notre système, voilà ce que nous vivons’, sans craindre d’être interné·e. » Les personnes trans multiples demandent du respect, de l’écoute, de la nuance. Pas de traitement spécial. Juste une place dans les soins, comme les autres. La multiplicité rend visible ce que le système médical a encore du mal à entendre : Que l’identité n’est pas toujours une ligne droite. Que le corps peut être habité par des voix différentes, toutes légitimes. Et que le soin, s’il veut être juste, doit savoir accueillir cette complexité. Même dans les communautés trans ou multiples, le vécu des systèmes trans reste parfois mal compris, invisibilisé, voire rejeté. 27 % des répondant·es rapportent avoir subi du rejet, notamment dans des milieux où ils espéraient trouver du soutien. Ces expériences de non-reconnaissance fragilisent encore davantage des parcours déjà complexes

Partie 5 : Se reconnaître et être reconnu.e – entre les communautés trans et multiples
Lorsqu’on vit à la croisée de la multiplicité et de la transidentité, on espère naturellement trouver du soutien dans les deux communautés. On se dit qu’au moins quelque part, quelqu’un saura comprendre. Mais la réalité que beaucoup de personnes multiples trans ont exprimée, c’est que la reconnaissance n’est pas toujours là. Et parfois… on ne se sent chez soi nulle part.
1) Trouver du soutien : des espaces à double tranchant
Certain.es ont trouvé des espaces bienveillants, où leurs vécus pluriels et trans sont respectés. Souvent, ces personnes parlent d’un soutien fragmenté : la communauté trans pour les questions de genre, la communauté multiple pour les questions systémiques — mais rarement les deux en même temps. Système Saki : « On a trouvé du soutien dans chaque communauté pour chaque ‘champ d’expertise’. Mais jamais un endroit qui réunisse vraiment les deux. » Nao : « Notre Discord système est safe. Il y a plein de membres trans. C’est précieux de pouvoir parler des deux à la fois. » Le soutien existe, mais il est souvent compartimenté. Les espaces qui accueillent l’intersection trans et multiple restent rares.
2) Transphobie dans la communauté multiple, et inversement
Plusieurs personnes ont exprimé un malaise face à des attitudes transphobes ou excluantes dans la communauté multiple. Certain.es alters trans ne se sentent pas respecté.es ou validé.es dans des espaces pourtant dédiés à la pluralité. Et dans la communauté trans, la multiplicité est parfois ignorée, moquée ou considérée comme un “délire”. Riku : « La transphobie existe aussi chez les multiples : les alters transmasc dans un corps amab ou transfem dans un corps afab sont mal compris, mal traités. » Système Yume : « On nous a dit dans un groupe trans que parler de nos alters, c’était ‘confusant’. On ne s’y sent plus bienvenu.es. » Ces deux communautés peuvent parfois reproduire des dynamiques d’exclusion, faute de connaissance ou par peur de la complexité. Témoignage personnelle : Dans ma ville, il existe un groupe LGBT+ de rencontres amicales — ce n’est pas une association, mais un espace régulier d’échange. J’y suis allée avec mon ex, et nous y avons rencontré trois autres systèmes. Malgré les informations que j’avais reçues d’eux, le fait de sortir avec une personne ayant un TDI, et le visionnage de la chaîne Partiel.le pour m’informer, je ne me sentais toujours pas légitime. Pourtant, des signes étaient évidents. Deux headmates étaient déjà là. Dans ce groupe, la tulpamancie était très mal vue. Les propos tenus sur le sujet étaient durs. Cela m’a mise mal à l’aise, car je ne savais pas clairement quel type de système j’étais. Je doutais de ma propre multiplicité. Quelques mois plus tard, un des systèmes m’a posé une question alors que j’étais en pleine dissociation, et sans me regarder directement : “Pourquoi tu veux être multiple ?” J’ai répondu instinctivement par le prénom de notre protectrice. Elle a juste répondu : “Ah ! (prénom de la protectrice)”, puis est allée s’asseoir plus loin, sans prendre le temps d’échanger réellement avec moi. Sur le moment, j’ai ressenti de la compassion. Je savais que cette personne souhaitait être singlet. Et je me suis dit que cela devait être difficile pour elle de voir l’hôte d’un autre système chercher à établir un lien avec sa headmate. Je n’ai pas osé aller la voir, de peur de la blesser. Mais avec le recul, j’ai compris que cette expérience m’avait profondément traumatisée. Ce n’est pas seulement ce qu’elle a dit — c’est tout ce que cela révélait. J’ai eu l’impression que ce système ne me reconnaissait pas comme multiple. Et peut-être que d’autres, dans le groupe, pensaient comme elle. Peut-être même… mon ex. Mon témoignage révèle une blessure particulière : celle du rejet entre systèmes, au sein même des communautés multiples. Il ne s’agit pas ici d’un rejet extérieur, mais de normes internes qui excluent certaines formes de multiplicité — comme la tulpamancie ou les systèmes autodécouverts. Ce rejet horizontal, exercé parfois par d’autres multiples, peut être d’autant plus violent qu’il survient dans des espaces censés être accueillants, au moment où l’identité est encore en construction.
3) La fatigue d’expliquer, encore et encore
Plusieurs témoignages parlent de cette lassitude de devoir tout justifier, tout expliquer, même dans des espaces censés être inclusifs. Mika : « Même dans les groupes trans safe, on doit tout expliquer : pourquoi on parle en ‘nous’, pourquoi nos pronoms changent. C’est usant. » Anonyme : « On veut pas des espaces parfaits. Juste des endroits où on n’a pas besoin de s’excuser d’exister. » Ce n’est pas seulement le manque d’accueil qui est douloureux, mais la charge mentale constante d’avoir à se justifier.
4) Une volonté de créer des espaces à soi
Face à cette fatigue, certain.es choisissent de créer leurs propres espaces, adaptés à leurs vécus multiples et trans. Des serveurs, des forums, des blogs, parfois de petits groupes privés — là où on peut respirer un peu. Système Kai : « On a arrêté de chercher la validation dans les grands groupes. Maintenant on parle avec deux ou trois systèmes trans, et c’est suffisant. » L. : « On a créé un petit groupe entre systèmes transmasc. On partage nos doutes, nos stratégies. C’est safe, c’est doux. C’est vital. » Beaucoup finissent par se créer un foyer relationnel sur mesure, là où ils peuvent exister sans être simplifiés. Quand on est trans et multiple, on ne cherche pas une communauté parfaite. On cherche une communauté qui écoute. Une communauté qui reconnaît que les genres peuvent coexister dans un même corps. Une communauté qui comprend que les pronoms qui changent, ce n’est pas un caprice. C’est une réalité vécue. Et si ces espaces n’existent pas encore pleinement, alors peut-être qu’ils sont en train de naître, doucement — à travers ces témoignages, cette parole partagée, cette conférence.

Partie 6 : Messages à transmettre – Ce que les concerné·es aimeraient dire
À la fin du questionnaire, j’ai posé cette question simple : « Si vous pouviez transmettre un message à propos de la transidentité dans la multiplicité, quel serait-il ? » Et les réponses que j’ai reçues sont parmi les plus fortes. Parfois brèves. Parfois douloureuses. Parfois lumineuses. Toutes sincères. Ces messages ne sont pas des conclusions. Ce sont des paroles adressées au monde, aux autres, à nous, peut-être à soi-même.
1) Une légitimité à affirmer Kyo : « La transidentité d’un alter est aussi valide que celle d’une personne singlet. Chaque genre vécu dans un système mérite d’être respecté. » Anonyme : « Je suis un homme, même si ce corps est genré au féminin, même si je ne suis pas tout·e seul·e dedans. J’exist. » Ces messages rappellent que les vécus trans dans la multiplicité sont souvent remis en question, même au sein des espaces trans. Et que la reconnaissance commence par celle qu’on s’accorde entre concerné.es et surtout soi- même.
2) Le besoin d’écoute, pas de jugement Mika : « On ne vous demande pas de tout comprendre. On vous demande juste de ne pas rire, de ne pas nier. De ne pas dire ‘tu inventes’. » Saki : « Le respect ne demande pas de tout saisir. Il commence par croire ce qu’on vous dit de notre propre réalité. » La plupart des systèmes n’attendent pas un savoir absolu des autres — juste une suspension du jugement, une écoute réelle, une présence bienveillante.
3) L’isolement et la solitude à briser Kanae : « On se sent seul.e. Trop trans pour les systèmes, trop multiple pour les trans. Merci de nous laisser parler. » Louna : « J’ai cru pendant des années que j’étais le seul système trans. Je ne le suis pas. Et ça change tout. » Beaucoup de personnes concernées ont vécu leur pluralité et leur transidentité dans le silence, faute de modèles ou de reconnaissance. Ces témoignages montrent à quel point la parole est déjà une forme de soin.
4) L’inventivité et la force des systèmes Riku : « On a appris à se parler, à s’écouter, à prendre des décisions ensemble. Ce n’est pas un bug, c’est une autre façon de vivre. » Système Kai : « On a créé un conseil interne pour gérer la transition. Ce n’est pas parfait, mais c’est nous. C’est notre façon de faire famille. » Les systèmes développent des formes d’organisation et de solidarité intimes, créatives, puissantes, même face à l’adversité.
5) Appels à la reconnaissance Etsu : « Les systèmes trans existent. Ce n’est pas un délire, ce n’est pas une mode, ce n’est pas une ‘complication’. C’est une réalité. » L. : « Nous aussi, on veut avoir accès aux soins. À la parole. À la dignité. » Mon topos de la transidentité : « À une époque où la transidentité n’était pas connue du grand public, seulement de certaines personnes avec un parcours psychatrisant et maltraitant (toujours d’actualité), j’aurai aimé naître en tant que fille et je m’imaginais des histoires. Le topos que j’utilisais souvent dans mes écrits était celle d’un garçon protégée par une fille. Il s’agissait d’un symbolisme de ma transidenité que j’utilise encore narrativement aujourd’hui. Ne pouvant être une femme, je symbolisais mon identité par une présence féminine plus forte. Tel un effet miroir inversé de ma propre perception de moi-même. Cette vision de la transidentité me fait penser à de la multiplicité car sans le savoir j’invitais une figure protectrice à faire partie de ma vie. » Ces voix appellent à une reconnaissance institutionnelle, communautaire, humaine. Pas un traitement à part, mais une place à part entière. Ces messages, je ne veux pas les commenter. Je veux les laisser exister. Parce qu’ils disent déjà tout. Ils disent la douleur d’être invisibilisé .e. Ils disent la beauté de cohabiter. Ils disent la force de parler en nous. Et ils demandent qu’on écoute. Simplement. Qu’on écoute.

Partie 7 : Conclusion
1) Ce que ces voix nous apprennent Pendant cette conférence, vous avez entendu des fragments d’expériences. Des récits d’ajustement, de résistance, de douleurs, de forces aussi. Des paroles souvent invisibles, parfois inavouables, mais profondément vraies. Ce que ces témoignages révèlent, ce n’est pas une seule manière d’être trans et multiple. C’est une constellation de vécus, qui montrent que le genre ne se vit pas toujours seul ;e, et que l’identité peut être partagée, discutée, cohabitée. Être trans dans un système, c’est vivre son genre dans un corps qui peut ne pas nous appartenir totalement. C’est négocier, faire de la place, parfois céder, parfois s’affirmer. C’est parfois devoir choisir entre sa vérité intérieure et l’accessibilité aux soins. C’est vivre des switchs qui bouleversent la perception du genre. C’est aussi inventer des façons de faire famille, de se valider, de s’aimer dans un même corps.
2) Ce que ces vécus révèlent – Que la transidentité, quand elle s’exprime dans la multiplicité, n’est ni moins claire, ni moins légitime. – Que les démarches médicales, sociales, administratives ne sont pas pensées pour nous, et que cela doit changer. – Que la complexité de nos vies n’est pas une menace, mais une richesse humaine, politique, existentielle.
3) Ce que nous demandons Nous ne demandons pas la perfection. Nous demandons à être écouté·es sans être interrogé·es sur notre réalité. À pouvoir parler en nous sans être regardé·es comme illogiques ou dérangeant·es. À ne pas devoir choisir entre notre transidentité et notre multiplicité pour avoir droit aux soins. À pouvoir exister pleinement, dans toute la diversité de notre système.
4) Ce que je retiens personnellement Je retiens qu’il y a beaucoup de solitude dans nos vécus. Mais je retiens aussi qu’il y a une force immense dans la parole partagée. J’ai lu 70 témoignages ; 70 mondes ; 70 expériences de vie. Et je sais qu’il y en a des centaines d’autres. Cette conférence n’est qu’un début. Un point d’appui. Une tentative de dire : “nous sommes là”. Pas pour demander la permission d’exister. Mais pour rappeler que notre existence est déjà une forme de savoir, de lutte, et de beauté.

Partie 8 : Clôture
Merci à toustes les participant.es qui ont partagé leur vécu. Merci à vous d’avoir écouté. Et si vous ne deviez retenir qu’une chose de cette intervention, ce serait peut-être ça : Il n’y a pas une seule bonne manière d’être trans, pas une seule bonne manière d’être multiple. Mais chaque manière mérite d’être entendue.

Intervention proposée par:

  • Le Clan des Louves (Elle | Multiple): « Je m’appelle Megumi, hôte du Clan des Louves. Nous sommes trans, mlavoyantes et autistes. Passionnée par la fictrion, la narration, le dessin, je me suis mise à écrire pour moi-même puis à analyser les œuvres et à faire notre introspection. »